interview Comics

Joe Casey

©Delcourt édition 2014

Les lecteurs de comics mainstream ont forcément déjà vu le nom de Joe Casey orner une des couvertures de leur série favorite. En ayant travaillé pour tous les gros éditeurs américains dès les années 90, l'auteur a pu raconter les aventures des X-men, de Superman, etc. Toujours aussi imaginatif, il s'est aussi lancé dans des récits indépendants comme Corps de pierre ou Codeflesh, que les éditions Delcourt ont eu le bon ton de publier. Joe Casey s'amuse aussi depuis quelques années à marquer les lecteurs avec des concepts originaux et un brin provocateurs comme Butcher Baker ou Sexe. Ce dernier est sorti au tout début de l'été et a su provoquer les premières chaleurs chez ses lecteurs qui ne s'attendaient probablement à trouver un aspect sexuel assumé à travers une véritable histoire. Totalement envoûtés par cette série, nous avons pris contact avec son créateur...

Réalisée en lien avec les albums Sexe T1, Codeflesh, Butcher Baker, Corps de pierre
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
6 septembre 2014

joe casey steve rude x-men children of the atom Bonjour Joe Casey, peux-tu te présenter ?
Joe Casey : Je m'appelle Joe Casey et je n'ai pas eu d'autre choix que d'écrire des comic-books. J'ai ça dans le sang et je l'aurai toujours. Voilà, en gros ça résume le pourquoi et le comment de ma carrière jusqu'ici.

Quelles ont été tes influences ?
Joe Casey : J'ai grandi dans les années 80, donc tout ce qui s'est passé à l'époque m'a influencé. Heureusement, les comics étaient extraordinaires durant cette décennie donc j'ai beaucoup d'affection encore aujourd'hui pour tout ce qui a pu avoir un effet sur moi durant ces années où j'étais très influençable.

Dès 1998, tu as enchaîné les scénario chez Marvel, Image Comics ou DC Comics. Quel regard portes-tu sur ces débuts tonitruants et quels sont encore aujourd'hui les titres que tu apprécies ?
Joe Casey : J'aime toujours l'ensemble de mes premières œuvres. Même les expériences qui n'ont pas vraiment bien tourné ont fini par devenir précieuses à mes yeux. Toutes ces choses ont été l'occasion d'apprendre, de grandir et m'ont aidé à me faire à un nom dans cette industrie.

Parmi les nombreuses séries pour lesquelles tu as travaillé chez Marvel, il y a bien évidemment Uncanny X-Men. As-tu pu aller au bout de tes idées sur la série ?
Joe Casey : Question difficile vu qu'alors, je n'étais pas sûr de savoir où je voulais emmener cette série. Je n'avais pas un "mojo" de fanboy en ce qui concernait les X-Men et je n'étais donc probablement pas le meilleur choix pour le titre. J'ai fait ce que j'ai pu à l'époque et je suis encore assez fier, aujourd'hui, de certains numéros.

joe casey steve rude x-men children of the atom Tu as aussi écrit X-Men: Les enfants de l'atome, qui racontait les débuts des X-Men. C'était pour toi un moyen de te créer ta propre mythologie X-Men ?
Joe Casey : Quand j'ai pitché Les enfants de l'atome, on était encore dans l'époque pré-Quesada/Jemas, ils n'étaient pas encore aux commandes. Le fait est que Marvel n'était pas au top, créativement parlant. Leurs séries s’adressaient principalement à un marché adolescent qui vieillissait à toute vitesse et perdait tout intérêt dans des crossovers limités et les pinailleries mutantes montées en épingle. Je me disais qu'il était plus que temps que Marvel planche sur des projets... disons, plus prestigieux, à la manière de ce que faisait avec succès DC Comics dans les années 80. Le seul projet de cette envergure auquel Marvel s'était jusqu'alors attelé - de manière réussie - était Marvels, avec Busiek et Ross, et cela datait déjà de cinq ans auparavant. Encore une fois, je n'avais pas de réelle affinité avec les personnages de la série X-Men mais je savais que le concept était très porteur et que, en plus, la toute première équipe des X-Men n'avait jamais eu de vraies origines. L'idée était alors de leur en fournir. Rétrospectivement, Marvel n'avait pas la moindre idée de ce que l'on faisait... Il a fallu que de nouveaux dirigeants arrivent pour que des projets comme Les enfants de l'atome deviennent monnaie courante.

L'autre titre majeur est Earth's Mightiest Heroes. Cette série revient sur les débuts des Avengers. A l'époque, les Avengers n'étaient pas aussi populaires qu'aujourd'hui. Est-ce que la vision des Avengers d'aujourd'hui correspond à celle que tu avais autrefois ?
Joe Casey : L'écriture de ces mini-séries autour des Avengers tenait essentiellement au fait que j'étais un pur fan. Les Avengers étaient mon comic préféré quand j'étais enfant, alors pouvoir écrire autour de ses personnages et de leurs versions classiques était quelque chose d'énorme pour moi. C'est assez ironique mais ce que j'ai fait de mieux sur joe casey charlie adlard corps de pierre rock bottomles Avengers est probablement ce qui a été le moins vu. C'était un numéro de Hulk Smash Avengers qui se déroulait (dans la chronologie de la parution de leurs aventures) à la fin des années 70, au moment où, enfant, je suis tombé amoureux du comic. J'ai pu réaliser un rêve de gosse avec ça. Mais en ce qui concerne les publications actuelles, je n'y prête pas vraiment attention.

Ces dernières années, en France, nous avons pu découvrir des récits comme Corps de pierre ou Codeflesh, tous les deux dessinés par Charlie Adlard. Corps de pierre est un titre assez incroyable, où as-tu eu l'idée de ce type voyant son corps devenir pierre progressivement ?
Joe Casey : Je ne suis pas très sûr de savoir d'où est venu ce concept. Mais je me souviens avoir été intrigué à l'idée d'explorer l'idée la métaphore d'un super-pouvoir qui serait en fait une horrible maladie et de jouer là-dessus le plus sérieusement possible. ça a touché tous les points que je souhaitais pouvoir atteindre et les illustrations d'Adlard étaient superbes. Comme je disais à l'époque de la promotion du livre, c'est une histoire épique à dimension humaine.

L'aspect humain très présent dans Corps de pierre se mêle à un contexte lourd (un divorce) et une mise en abîme du héros. Comment as-tu trouvé le juste milieu entre le drame et le fantastique ?
Joe Casey : En ramenant le fantastique à un unique élément et en construisant une explication à peu près logique pour ce dernier. C'est aussi simple que ça. Le reste était décrit de manière très directe, très réaliste.

joe casey codeflesh charlie adlard Avec Codeflesh, tu as offert aux lecteurs un polar vraiment différent. La narration est assez inhabituelle et se déroule par épisode d'une dizaine de pages. Comment as-tu géré cet impératif et surtout était-ce difficile d'installer une atmosphère et un univers crédible en si peu de pages ?
Joe Casey : Pas du tout. Ecrire au sein d'un format aussi court fait partie de ce que tout écrivain doit savoir faire. On n'a pas souvent l’occasion de le faire dans les comics américains alors quand l'opportunité se présente à moi, je suis toujours intéressé à l'idée de voir combien je peux faire tenir en un nombre restreint de pages.

Il y a un esprit assez Martin Scorcese dans Codeflesh, était-ce une inspiration ?
Joe Casey : Il est une source d'inspiration personnelle mais en ce qui concerne Codeflesh, la principale source était un amour partagé - entre moi et Adlard - de Will Eisner. En particulier de ce qu'il a fait avec le Spirit.

Nous t'avons également vu reprendre la série Haunt après le départ de Robert Kirkman et de Todd McFarlane. La vision que tu en avais était plus portée sur l'horreur et s'appuyait sur l'excellent travail de Nathan Fox. La série s'est néanmoins arrêtée et nous n'avons pas trop su pourquoi. Quelles en sont les raisons ? Regrettes-tu certains choix ?
Joe Casey : Todd McFarlane a pris la décision, d'un point de vue commercial, d'arrêter de publier la série. C'est à lui qu'il faut poser la question. Mon seul regret et que l'on n'ait pas pu aller plus loin ou que Nathan n'ait pas pu en tirer plus de ce qui a été fait. Je pense qu'on s'en sortait bien. Conclure sur un encart en deux parties était un peu nul, de mon point de vue.

joe casey mike huddleston butcher baker Ces dernières années, tu multiplies également les récits plus libres en terme de contenu. Je pense tout d'abord à Butcher Baker qui mélange super héros, humour et provocation avec réussite. Comment as-tu eu l'idée de ce titre ?
Joe Casey : J'aime penser que tout ce que j'ai fait prend autant de libertés que je me suis autorisé à prendre au moment de le faire. Butcher Baker était juste une incursion dans le comics gonzo, quelque chose de dingue dans son exploitation du sexe et de la violence. Je suis sûr qu'on pouvait aller encore plus loin mais je suis quand même très fier de ce livre.

Est-ce que les qualités artistiques de Mike Huddleston t'ont permis d'imaginer des situations inédites pour toi ?
Joe Casey : Pas vraiment. J'ai bien compris l'étendue des talents et compétences de Huddleston, mais j'ai surtout essayé de nous pousser, lui et moi, au delà de tout ce qu'on avait pu faire avant ça. Bien sûr, je n'aurais pu le faire qu'avec un artiste possédant son talent.

Est-ce que, pour toi, Butcher Baker est aussi une façon de malmener un genre «les super héros» dans lequel tu ne retrouves plus aujourd'hui ?
Joe Casey : Je ne pense pas avoir cherché à faire ça. Je me suis contenté de raconter une histoire particulière en employant un certain archétype pour cela. J'adore les super-héros, j'adore leur concept même. Mais une part de l'attrait qu'ils exercent sur moi vient de leur capacité à toujours se relever. On peut raconter n'importe quelle histoire avec les concepts et les personnages super-héroïques.

Cet été, nous avons pu découvrir le premier album de Sexe. Peux-tu revenir sur la genèse de cette série et la présenter à ceux qui ne l'ont pas encore découverte ?
Joe Casey : D'un côté, Sexe est l'histoire de Simon Cooke, un super-héros à la retraite qui tente de mener la vie d'un homme normal. De l'autre, c'est l'histoire de Saturn City et de ses habitants, de la façon dont ils ont été affectés par la carrière de super-héros de Simon et comment la retraite de ce dernier les a touchés. Ça parle du fait d'accepter de devenir adulte après avoir passé sa vie coincé par des problèmes d'adolescent. Ça parle de grandir... Et de s'envoyer en l'air.


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Sexe connaît un très gros succès aux USA (à raison), comment l'expliques-tu ?
Joe Casey : De manière évidente, le sexe se vend dans tous les secteurs de la culture (et par-delà). Ce n'est pas surprenant. Je suis quand même étonné que ça marche aussi bien à l'extérieur des Etats-Unis.

Par certains aspects, Sexe m'a fait penser aux Eyes wide Shut de Kubrick. Était-ce une inspiration ?
Joe Casey : Je suis heureux et même fier de pouvoir dire que Kubrick est, de manière générale, une grande source d'inspiration pour moi.

joe casey ziggy marley jim mahfood marijuanaman La partie graphique de Sexe est très soignée. Il y a plein d'idées assez géniales comme le surlignage de certaines lignes de texte. Est-ce venu lors d'un échange avec Piotr Kowalski ?
Joe Casey : Presque tout provient de la collaboration que j'ai pu développer avec Kowalski. C'est un grand artiste de comic-books et, évidemment, la première raison faisant que Sexe a ce style graphique si particulier.

Petite curiosité dans ta carrière, tu es aussi l'auteur d'un héros inattendu : Marijuanaman. Comment t'es venu cette idée ?
Joe Casey : Je suis ami avec Jim Mahfood depuis de longues années. À la base, Ziggy Marley et Mahfood se sont rencontrés et Jim m'a fait les rejoindre pour écrire ce qui était alors une idée de Ziggy. Je n'ai pas vraiment de règles ou de principes en ce qui concerne les drogues, mais l'idée de pouvoir travailler avec Mahfood était trop alléchante pour que je refuse. Cette collaboration s'est déroulée de manière extrêmement fluide, ça a été très créatif et ça partait dans tous les sens. On bossait tous les deux sur chaque planche et ça a donné au titre une certaine forme d'énergie.

Peux-tu nous présenter The Bounce, qui devrait arriver prochainement en France chez Delcourt ?
Joe Casey : C'est une histoire de super-héros qui est très personnelle. Qui m'est très personnelle, en tout cas. Elle traite bien plus des différents aspects de ma vie que mes autres travaux. Ça parle du changement, de l'évolution et la manière dont on se perçoit soi-même ainsi que le monde qui nous entoure. On y trouve aussi le sens ultime de la vie donc je dirais que ça vaut la peine d'être lu.

joe casey david messina the bounce Quels sont tes prochains projets ?
Joe Casey : J'ai des tonnes de trucs en route. Le seul dont je peux parler est une nouvelle série sous licence propriétaire, réalisée avec le dessinateur Paul Maybury et intitulée Valhalla Mad. Trois divinités sont en vacances sur Terre. Quoi de plus marrant ?

Connais-tu des artistes ou des comics français ? Si oui, qu'en penses-tu ?
Joe Casey : Je pense être assez familier des comics et auteurs français. Principalement ceux connus de tous. Evidemment, Mœbius est un des plus grands de ceux-ci. Peut-être le plus grand. L'ensemble de sa carrière est une immense source d'inspiration. Jodorowski, aussi. Mais, pour être franc, ma bande dessinée préférée est Monsieur Jean, une série de Dupuy et Berberian. Pour une raison que j'ignore, ces BD me parlent. J'adore le rythme, l'humour et l'approche humaine des personnages, tout ça.

As-tu un comic-book préféré ? Trouves-tu encore le temps de lire des comics ?
Joe Casey : Cela fait quarante ans que je lis des comics, alors oui, j'ai beaucoup de comics favoris. Quant au temps d'en lire, j'en ai beaucoup moins qu'avant. Je finis par être tellement occupé à en écrire que j'en lis assez peu. Sans compter le fait que je suis devenu regardant, avec le temps. Il en faut beaucoup pour m'impressionner, de nos jours. ça ne veut pas dire que je ne peux pas apprécier la bonne vieille culture pulp/trash, c'est juste que je pense que la vie est trop courte pour perdre mon temps à insulter mon intelligence en lisant des comics qui ne me sont clairement pas destinés.

joe casey piotr kowalski sex sexe Que penses-tu de l'industrie des comics aujourd'hui ?
Joe Casey : Je pense, pour t'épargner une réponse interminable, que l'on a l'industrie que l'on mérite. Elle est ce qu'elle est, pour le meilleur et pour le pire. Je suis juste reconnaissant de pouvoir naviguer en son sein et d'avoir pu réussir à faire à peu près tout ce que je voulais y faire.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre son génie ou son art, qui irais-tu visiter ? Et pourquoi faire ?
Joe Casey : Je ne sais pas si je pourrais compter sur les artistes eux-mêmes pour m'aider à comprendre leurs travaux ou bien la manière dont ils les ont réalisés. Je suis bien plus intéressé par ce que je peux retirer, personnellement, de leur oeuvre. À partir de là, rencontrer un artiste en personne peut s'avérer être plus décevant qu'autre chose. En tous cas, je serais certainement décevant, si quelqu'un venait à me choisir dans le cadre de cette question.

Merci Joe !

Remerciements spéciaux à Thierry Mornet pour la mise en relation et à Alain Delaplace pour la traduction.


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