Si le nom de Karl Kerschl n'est pas encore très connu en France, il ne fait aucun doute que cela devrait changer dans les mois à venir. Dessinateur talentueux, il nous ravit régulièrement par ses prestations sur des séries comme Gotham Academy ou Superman. S'il a déjà montré sa capacité à varier son style de manière régulière, Karl Kerschl le démontre un peu plus encore sur L'abominable Charles Christopher. Lancé sur son site internet, ses aventures animalières ont su générer de nombreux fans. Des qualités qui lui ont même permis d'être récompensé par un prestigieux Eisner Award. Alors que le premier album de cette série traverse enfin l'Atlantique, nous avons eu le plaisir d'interviewer son auteur...
interview Comics
Karl Kerschl
©Lounak édition 2016
Réalisée en lien avec les albums L'Abominable Charles Christopher T1, Gotham Academy T2, Gotham Academy T1
La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace. Remerciements à Emmanuelle Klein pour avoir rendu possible cette interview.
Pour commencer, peux-tu nous dire comment tu en es venu à travailler dans l'industrie des comics ?
Karl Kerschl : La carrière de dessinateur de comics a commencé à m'intéresser alors que j'étais au lycée. J'ai alors pris des exemples de mon travail et j'ai été les montrer à des festivals locaux. Un petit éditeur m'a alors engagé pour illustrer les aventures d'un de ses super-héros et j'ai plus ou moins appris sur le tas. Après quelques années, j'ai fait des petits boulots pour Marvel puis pour DC Comics.
Quelles sont tes références, artistiquement parlant ?
Karl Kerschl : Il y en a tant ! Et elles n'ont pas arrêté de changer à mesure du temps. Mes plus grandes influences sont Hayao Miyazaki, Moebius, Frank Miller, Bill Sienkiewicz, Jim Lee, Mike Mignola, Wendy Pini, Bill Watterson, Robert Bateman, Tetsuya Nomura, Bengus (un artiste dont l'oeuvre a, selon moi, défini Street Fighter), Haruhiko Mikimoto (qui a conçu les personnages de Macross)...
Ton style n'a eu de cesse d'évoluer au fil du temps. Comment le décrirais-tu, aujourd'hui ?
Karl Kerschl : Quand j'ai débuté, j'étais très influencé par les comics de super-héros des années 90 mais, à mesure que je m'intéressais de plus en plus à l'animation et aux jeux vidéos, c'est devenu un style plus proche de l'animation celluloïde classique – des personnages plats figurant sur des décors peints. Mais L'Abominable Charles Christopher est plus libre, dans sa forme. C'est le seul comics que je réalise avec un stylo pinceau et c'est une manière de m'exprimer bien plus libre, plus lâche. Je pense que la palette monochromatique et les « wash backgrounds » lui confèrent un aspect onirique et ça me plaît bien.
En France, nous avons découvert ton travail sur de nombreux titres de super-héros. Es-tu fan du genre et si quels sont pour toi les sagas les plus marquantes ?
Karl Kerschl : J'ai lu plein d'histoires de super-héros quand j'étais enfant mais je n'en lis plus vraiment aujourd'hui. Mes histoires préférées sont The Dark Knight Returns et All-Star Superman.
Ensuite il y a eu l'excellente série Gotham Academy. L'univers visuel diffère de tes autres productions. Comment as-tu défini le style adéquat le design de personnages inédits comme Olive Silverlock ?
Karl Kerschl : C'était comme un défi que de parvenir à faire porter le même uniforme à tous les personnages tout en leur conférant des détails bien particuliers. En participant à la création des personnages, j'avais une très bonne idée de qui ils étaient, chacun. J'ai donc été capable de refléter la personnalité de chacun à travers leurs postures, leurs expressions. Olive est le personnage principal et elle a un background très spécifique, j'ai donc voulu suggérer cela en lui conférant des yeux rouges et une chevelure blanche. Par la même occasion, cela la rend plus iconique, visuellement parlant.
Je trouve que ton style tend vraiment vers l'animation sur Gotham Academy. Est-ce une volonté initiale ?
Karl Kerschl : Absolument! J'ai essayé d'appliquer un style animé similaire à la série Teen Titans : Year One sur laquelle j'ai travaillé il y a quelques années et je trouve que c'est un procédé qui rend bien sur les titres pour les lecteurs de tout âge et mettant en scène des gamins. J'aime aussi énormément l'aspect de l'animation à partir de dessins réalisés à la main. Il faut une équipe très spéciale pour réussir à rendre un style pareil avec un rythme mensuel, cela dit, et les coloristes avec qui j'ai travaillé y ont été pour beaucoup. Ils ont littéralement insufflé de la vie dans ces planches !
Ces derniers jours, nous avons pu découvrir L'Abominable Charles Christopher. Peux-tu nous expliquer la genèse de ce titre ?
Karl Kerschl : En 2007, avec mes partenaires de mon studio de Toronto, on a décidé de produire et de mettre sur le web des comics sur lesquels on travaillerait entre deux boulots réguliers. Le mien, c'était L'Abominable Charles Christopher. Ça s'inspire de ma jeunesse, quand je partais camper et marcher dans les forets de l'Ontario, au Canada. J'ai toujours adoré dessiner des animaux et je n'en ai pas souvent l'occasion, dans les comics de super-héros. C'est donc un vrai plaisir que de pouvoir faire ça, une fois par semaine. Ce devait aussi être, à l'origine, une revisite de l'épopée de Gilgamesh, du point de vue d'Enkidu mais ça, ça vient de très, très loin. Le mettre en ligne sur le web était la manière la plus simple de pouvoir toucher un très grand nombre de lecteurs et d'être motivé par les retours permanents de ceux-ci.
Est-ce ce que le format du webcomic a impliqué, pour toi, une approche différente ?
Karl Kerschl : C'est vraiment le format strip qui m'a amené à repenser mon approche de la narration graphique. Dans une page tirée d'un comics mensuel, j'ai beaucoup plus de cases avec lesquelles m'amuser et je peux prendre mon temps et prolonger les choses. Mais avec le format strip, je dois me montrer bien plus efficace en termes de rythme. C'est comme d'avoir un éditeur incorporé !
Est-ce que, parfois, tu as modifié ton approche en terme de dessin ou d'histoire suite à des réactions de lecteurs ?
Karl Kerschl : Ce n'est pas mon style, non. Mais, parfois, j'aime opérer des changements dans l'histoire suivant les retours des lecteurs. Quand je dis ça, je parle surtout de changer certaines scènes ou bien de mettre l'accent sur des parties qui intéressent les lecteurs. Parfois, je me montre un peu indulgent.
Dans L'Abominable Charles Christopher, tu as choisi de faire parler les animaux. As-tu à un moment penser les faire s'exprimer de manière incompréhensible pour nous ? (un peu comme pour Groot ou mon chat !)
Karl Kerschl : J'ai fait le choix délibéré de ne pas mettre en scène un seul humain (ou, du moins, de ne jamais montrer leurs visages) et de me concentrer uniquement sur les animaux. Les seuls qui parlent de manière inintelligible (voire pas du tout) sont les animaux domestiques car ils ont oublié comment communiquer.
Y a t-il un animal en particulier que tu n'as pas inclus dans l'histoire car il te posait des difficultés à le dessiner ?
Karl Kerschl : Pas vraiment. J'ai quelques difficultés à en dessiner certains (les lapins me posent problème. Les ours, aussi) mais ce sont des personnages clés dans l'histoire, alors je me force et je croise les doigts pour que ça passe.
L'univers de L'Abominable Charles Christopher est vraiment original. Quelles ont été tes influences sur ce titre ?
Karl Kerschl : Miyazaki a énormément influencé ce comics. Ce n'était pas intentionnel, mais c'est là, jusqu'au design de Charles Christopher lui-même. Je vois un peu ça comme un Princesse Mononoke se déroulant en Amérique du nord.
Un second volet est prévu pour la fin de l'année, à quoi peut s'attendre les lecteurs qui ont déjà adhérer à cet album ?
Karl Kerschl : Le tome deux se déroule dans un décor complétement nouveau ! Et on y rencontre un nouveau personnage principal avec lequel Charles Christopher pourra interagir, un personnage qui ne lui veut peut-être pas que du bien.
En marge de la suite de L'abominable Charles Christopher, quels sont tes prochains projets ?
Karl Kerschl : Oui ! Tout en continuant de produire de nouveaux épisodes de L'Abominable Charles Christopher pour le web, j'ai aussi commencé une nouvelle série intitulée ISOLA, qui sera publiée par Image, l'année prochaine. C'est une sorte de mélange de ce que j'ai pu faire en matière de super-héros et de L'Abominable Charles Christopher. Un des personnages principaux est un tigre.
Merci Karl.
