Le nom de Nathan Fox fait saliver les amateurs de comics depuis quelques mois. Son style intense et original, qui évoque parfois celui de Paul Pope, a littéralement explosé au sein de l'immense Fluorescent Black (chez Milady Graphics) à la fin 2011. Le dessinateur américain a même été choisi par Todd McFarlane himself pour succéder au non moins colossale Greg Capullo sur la série Haunt. Nous sommes revenus avec lui sur son parcours, son goût pour le 9ème art européen et sur ses derniers travaux. Malgré le succès, Nathan Fox s’est montré particulièrement accessible. Le sympathique dessinateur a même hâte de visiter la France, ses festivals et d'y croiser ses fans. Voici un avant-goût pour eux, et pour tous ceux qui ne le connaissent pas encore...
interview Comics
Nathan Fox
Réalisée en lien avec les albums Fluorescent Black, DMZ – Edition Hardcover, T4
Bonjour Nathan Fox, peux-tu te présenter aux lecteurs ?
Nathan Fox : J’ai grandi en ne lisant que des comics du genre Garfield ou Calvin & Hobbes. Quand je suis arrivé à l’Université, mes colocataires ont fait toute mon éducation et j’ai découvert les comics mainstream, indépendants et européens. Inutile de dire que j’ai immédiatement adoré, mais je n’avais jamais pensé que je finirais par en faire mon métier. J’ai terminé mon cursus, puis je suis parti faire une école d’art visuel à New-York où j’ai commencé à envisager sérieusement ce métier. Quelques années après, j’ai livré mon premier essai sur Batman Black & White pour DC Comics et j’étais particulièrement heureux de travailler aussi bien dans l’illustration que dans les comics. Dernièrement, mon dernier projet se nomme Haunt avec Joe Casey et Todd McFarlane chez Image comics et il s’agit de mon premier titre mensuel.
Quelles sont tes influences ?
NF : Mon éducation s’est faite autour de l’art, de l’illustration, de la peinture, des films et de la photographie. Mes influences les plus fortes viennent de Lucien Freud, Robert McGinnis et les travaux de Yoshitoshi, pour en citer quelques unes. Il y a bien sûr énormément de dessinateurs comme Otomo, Samura, Caniff, Bernet, Berthet, Darrow, Burns et Moebius.
Comment décrirais-tu ton style ?
NF : Hum, du graphisme et des coups de pinceaux vifs avec beaucoup de mouvements !
En France, nous t’avons découvert avec Batman. Es-tu fan du personnage ?
NF : Je suis un énorme fan de Batman. Pas du genre en lui-même des super héros, mais Batman est l’un des plus célèbres personnages jamais créés aux USA. J’ai lu énormément de comics du Dark Knight. Le personnage et son design m’ont toujours captivé et un jour j’ai eu la chance de travailler dessus. J’aurai tué pour ça !
Tu n’es pas fan des autres super héros ?
NF : Pas vraiment. Mais en grandissant, j’en ai aimé et apprécié d’autres. C’est toujours pareil : ils ne meurent jamais vraiment, leur âge et leur coupe de cheveux ne changent pas beaucoup, ils n’abandonnent pas et atteignent leurs objectifs ! Le grand méchant revient toujours et attaque toujours le héros. Il y a aussi les collants et tout le reste, j’en ai lu pas mal, mais si j’avais le choix, je préférerais prendre des lectures moins mainstream, plus indépendantes ou même des BD européennes. De toute façon, j’adore lire de tout. Bon, comme tout artiste américain, je serais ravi de travailler chez Marvel ou DC Comics et sur tous leurs personnages ! Ce n’est pas ce que je préfère, mais je serais néanmoins ravi. Je travaille actuellement sur Haunt. C’est un super héros et il a de nombreux points communs avec les autres, en tout cas jusqu’à ce que Joe Casey et moi arrivions. La raison pour laquelle j’ai accepté de faire ce titre est la possibilité de travailler avec Joe et de prendre une tournure originale et complètement nouvelle à l’histoire. Moins super héros et plus d’horreur, une saga à la narration bien indépendante. Cela va être amusant de voir comment cela se développe.
Et si tu pouvais choisir de travailler sur le super héros de ton choix. Lequel serait-ce ?
NF : Je ne suis pas sûr. J’ai toujours eu une idée pour Wolverine où il y aurait beaucoup de personnages nouveaux. Il me faudrait peut-être l’aide d’un scénariste pour mener ce projet à terme. En tout cas, ce que je fais sur Haunt m’inspire à de nombreux niveaux, comme lorsque j’avais fait Zodiac avec le même Joe Casey. Je pense que je pourrais me contenter de dessiner seulement si on me propose un récit solide ou que je puisse l’écrire.
Qu’as-tu pensé de cette expérience sur Batman ??
NF : C’était un rêve devenu réalité. Je ne sais pas si je peux me rappeler du bonheur que cela fut. Je voulais juste dessiner pour gagner ma vie et même si ce fut difficile, j’ai tenu. Devenir un auteur professionnel était incroyable et depuis, j’ai pu apprendre de la profession et des autres auteurs.
Ensuite, nous t’avons revu sur DMZ. Comment es-tu arrivé sur la série ?
NF : J’avais illustré une couverture d’un des épisodes de Fight for tomorrow, une série de Brian Wood. Il a aimé mon approche. Du coup, l’éditeur de DMZ a souhaité voir ce que je pouvais donner sur une histoire et Brian m’a appelé pour travailler comme artiste fill-in (NDT : auteur qui supplée le dessinateur attitré, le temps d’un ou plusieurs épisodes) sur la série.
Comment cela s’est passé avec Brian Wood ?
NF : J’étais déjà fan de son travail avant qu’il ne m’appelle, donc c’était véritablement énorme de me retrouver à contribuer sur un de ses titres. Je savais que je ne pouvais pas me foirer et je n’avais pas l’intention de le faire. J’ai donné le meilleur de moi-même et je voulais que Brian et Riccardo ne regrettent pas ma présence sur Tirs amis. Travailler avec Brian est génial, nous avons plein de points communs en termes de narration et d’approches de l’histoire. Cela a demandé énormément de travail, mais je ne l’ai pas fait pour rien. Le script de Brian était génial et sa narration m’a fait progresser.
Quel regard portes-tu sur ta participation à DMZ ?
NF : Comme beaucoup d’artistes, en regardant derrière soi, tous voudraient refaire certaines choses. Mais je suis sincèrement content de ce qu’on a fait, que se soit sur les personnages ou sur l’histoire. Pour DMZ, j’aurais probablement regardé divers ouvrages historiques et essayé d’avoir pas mal de sources documentées pour me faire un bon guide. Personnellement, j’ai commencé à lire ce type de livres lors des conflits en Irak et en Afghanistan, dans lequel mon pays s’est engagé. Ou comment l’ignorance de beaucoup de gens a conduit à la guerre, aux nombreux chocs qui en découlent, tout ça pour le pétrole. Notre pays est capable d’autre chose, de privilégier un large débat et de changer l’issue. Je dirais, au final, que cela fut un honneur et un immense plaisir de faire une partie d’un récit laissant les commentaires possibles.
Fluorescent Black est sorti en fin d’année en France. Commet le présenterais-tu aux lecteurs ?
NF : C’est une biographie d’un futur proche, un récit punk de science-fiction qui se déroule à Singapour, où la science et la technologie sont bien plus développées que de nos jours. Nous avons fait le plus puissant des récits de Heavy Metal (NDT : la revue disparue Metal Hurlant en France) d’après certains ! En plus, il y a du sang, du sexe, de la violence et des manipulations génétiques sur les humains, les animaux et même sur les insectes avec des moustiques à deux têtes, des rats qui ne mangent que des composants électriques et plein de choses ragoûtantes. C’est ce que tout le monde veut lire, non ?
L'univers de Fluorescent Black est très violent, comment l'avez-vous imaginé ?
NF : Ha. Violemment, je suppose. Je dois admettre qu'il a mis du temps à germer dans ma tête, jusqu'à ce que l'on définisse certaines limites et que l'on se débarrasse des choses inutiles – on a gardé un monde structuré en deux classes. D'un côté, on a la société extrêmement riche et saine et de l'autre tous ceux qui n'ont rien d'autre à faire que se défendre et se protéger. Toute cette utopie est poussée sans ses limites. Intégrer cette société riche est impossible et se retrouver tout en bas, dans un monde sans foi ni loi semble obligatoire. Seul l'argent peut aider. Quand en plus, tu te fais oppresser et que les déchets sont jetés dans ton monde, que peux-tu faire ? J'ai essayé de synthétiser tout cela dans mes dessins. Heavy Metal était la plate forme parfaite pour le publier et j'ai donc laissé ma conscience et mes hésitations sur le palier. J'y ai mis mes couilles, c'était l'idée....
Fluorescent Black est très spectaculaire et m'a rappelé sur certains aspects Katsuhiro Otomo. Fait-il parti de tes influences sur cet album ?
NF : Otomo a toujours été une influence majeure pour moi et Matt. Je sais que j'ai contribué à cela, car j'ai demandé à Matt d'écrire puis de réécrire l'histoire en lui montrant ce type de références visuelles, jusqu'à ce que cette société dystopique soit parlante. Ce fut un long travail et il serait difficile, voire impossible, de ne pas être influencé. Par contre, je voulais vraiment que Fluorescent Black transpire la puissance et ne me rappelle pas Akira lorsque je l'avais lu. Mon souvenir de lecture est que c'était mémorable et que cela avait développé sa propre mythologie, ses personnages et son univers. Matt et moi souhaitions rendre immersive la lecture de Fluorescent Black, un peu comme si le temps s'arrêtait et que la narration t'emmenait loin. Nous avons ainsi apporté beaucoup d'attentions aux détails et à l'environnement, aux lumières et aux scènes les plus simples. A l'origine, le scénario devait s'étaler sur deux épisodes de 48 pages. Quand nous avons commencé, nous nous sommes rapidement rendu compte que nous pouvions en faire quatre fois plus. Nous nous sommes limités à 3 chapitres. Lorsqu'on nous a laissé faire plus de pages, nous étions ravis et nous savions qu'en condensant bien, nous conservions l'essence même de tout ce que l'on voulait et qu'ainsi nous montrions notre passion pour des génies comme Otomo et d'autres.
Quand on voit Max, on pense immédiatement à Sid Vicious, le défunt bassiste des Sex Pistols...
NF : Sid a été la première et la plus solide inspiration de Matt pour Max. Donc, oui. Nous avions besoin d'une bande de personnages un peu punk rockers capables de survivre à Johor Bahru. « Par tous les moyens possibles et en emmerdant tout le reste » est la seule chance de survie.
Tu es le nouveau dessinateur d'Haunt, comment as-tu succédé à Greg Capullo ?
NF : Je ne l'ai pas fait ! Je fais mon propre truc et je me fiche de ce qui a été fait avant. Il n'y a rien de plus compliqué que de succéder à Greg Capullo. C'est un maître dans tout ce qu'il fait. Lui et Kirkman nous ont laissé de sérieux outils pour que Joe et moi nous amusions. Nous partons cependant dans une direction totalement différente et mon travail personnel représente un vrai départ, même pour Todd dont le style narratif paraîtra sage, comparativement. Après tout, Robert, Greg, Ryan et Todd nous ont bottés le cul durant 18 épisodes, nous ne pouvions pas faire la même chose. Donc on est parti dans une direction complètement différente. Si vous lisez l'anglais, faites attention car nos épisodes sortent en ce moment même !
Comment t'es-tu retrouvé sur Haunt ?
NF : J'ai souvent travaillé avec Joe et alors que nous essayions de faire un nouveau truc, Todd nous a approché. Lorsque Joe m'a dit qu'il nous laissait une liberté totale et que Todd souhaitait une direction plus indépendante et horrifique pour sa série, j'ai accepté de suite.
Ton style est du coup très différent de celui de Capullo. Pour avoir vu les premières pages, c'est assez impressionnant. Que peux-tu dire aux fans de Haunt ?
NF : Merci. Je ne suis pas vraiment sûr que l'on doive me comparer à Greg pour qui j'ai énormément de respect. Mon travail est très différent et ne laissera pas les fans de Haunt insensibles. Mais étant fan de Haunt moi-même, ma seule volonté est de garder le niveau de qualité de la série. J'aime les personnages et le concept du titre. Il dispose d'un potentiel absolument énorme qui ne peut qu'être développé. Qu'est-ce que signifie véritablement être vivant ? Peut-on être hanté par un parent ou par un spectre ? Est-ce qu'il a d'autres fonctions ? Jusqu'où pouvons-nous aller ? Quel est l'ultime pouvoir ? etc. Greg et Kirkman ont établi de bonnes bases et ils les ont bien exploitées. Toutes les questions et même plus encore font que l'on a envie d'en savoir plus sur Haunt, sur le monde dans lequel il évolue...
As-tu le temps de faire autre chose ?
NF : J'essaie régulièrement de progresser sur Dogs of war lors de mon temps libre. C'est un roman graphique pour la jeunesse parlant de chiens soldats, de leurs exploits et de la camaraderie qu'ils génèrent en temps de conflit. Le livre sera composé de trois courts récits se déroulant durant la première et la seconde guerre mondiale et lors de celle du Vietnam. C'est une histoire vraiment géniale et un plaisir de travailler dessus. Il faut que je me dépêche de le terminer afin de le sortir. Gardez les yeux ouverts, cela sortira en 2012 ! J'ai aussi d'autres projets avec Matt Wilson, que nous avions évoqué à l'époque où nous avons œuvré sur Fluorescent Black. Il y a aussi d'autres scénaristes avec lesquels j'aimerais retravailler, comme Joe Casey ou d'autres, que j'ai côtoyés auparavant. Et aussi des nouveaux. Plus que tout, je souhaiterais aussi publier mes propres récits illustrés. On va voir comment ça se passe par la suite.
Connais-tu quelques auteurs français ?
NF : J'en connais quelques uns, bien sûr et je suis assez curieux d'en découvrir d'autres. Ma fille apprend le français mais elle est encore trop jeune pour me traduire le genre de lectures que j'achète. Donc je me reporte sur des traductions un peu bancales disponibles en version anglaise. Donc soit j'attends la traduction, soit je tente de traduire moi-même. Je suis vraiment inspiré par la bande dessinée européenne. J'espère atteindre un jour le niveau de vos auteurs qui peuvent écrire, dessiner, faire les couleurs. J'adore Bilal, Hergé ou Tardi entre autres et j'aime beaucoup certains auteurs espagnols, asiatiques lorsque ceux-ci sont traduits ! Beaucoup de mes recherches se font sur des livres du monde entier. Si je pouvais, je souhaiterais voyager plus et apprendre autant de langues que je peux.
Voudrais-tu travailler pour le marché européen ?
NF : Bien sûr. J'ai soumis autrefois mes travaux, mais je n'ai eu aucune réponse. Espérons que cette traduction de Fluorescent Black et mes apparitions dans des titres Marvel, Vertigo et DC Comics puissent aider à cela dans le futur.
As-tu des lectures favorites ?
NF : J'adore L'habitant de l'infini d'Hiroaki Samura et tout ce que je peux trouver de Jordi Bennet et Eduardo Risso.
Si tu avais un super pouvoir, à quoi te servirait-il ?
NF : Oh mec, voler ! La seule chose que j'ai toujours voulu faire est de pouvoir voler. Malheureusement, cela n'arrive jamais mais peut être qu'un jour... Je croise les doigts !
Qu'aurais-tu fait si tu n'avais aucun don pour le dessin ?
NF : Je pense que j'aurais continué à travailler la narration au travers de l'art. Avant d'être dessinateur dans le milieu des comics, j'ai travaillé auprès d'un imprimeur. Je connais donc l'odeur de l'encre et les façons de travailler le papier. Lorsque j'ai commencé dans les comics, j'espérais pouvoir en vivre et être un jour exposé dans des galeries. Peut-être que je pourrais encore faire du story-board et réaliser des films. C'est dingue comme j'ai progressé dans ce milieu.
Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre auteur pour comprendre son génie, qui choisirais-tu ?
NF : Oh, je crois que ce serait Yoshitoshi (NDR : Tsukokia), sans aucun doute. Quand j'étudiais l'art à l'école et que tout me gonflait, nous avons eu le droit à une visite du musée Nelson Atkinsoù une exposition sur le Japon se tenait. Venant du Texas, j'avais énormément d'idées préconçues sur l'art et la culture japonaise. Autant dire que lors de la visite, j'ai été choqué. Je n'avais jamais vu une quelconque œuvre de Yoshitoshi, mais cette exposition Beauté et violence – je crois que c'était son nom – m'a marqué à vie. Je suis revenu de là-bas avec des images plein la tête. Depuis, je suis persuadé que l'homme lui-même peut tout exprimer dans le dessin. Cela a été un véritable enseignement.
Merci beaucoup Nathan !