Ramirez… Ce simple nom devrait vous faire trembler car cet assassin mexicain d’un nouveau genre a secoué le monde de la bande dessinée. La série Il faut flinguer Ramirez fait un carton grâce au talent de Nicolas Petrimaux qui n’a pas raté sa cible, loin s’en faut. Son premier album en solo est étonnant de maîtrise, d’originalité et d’intelligence avec en plus un dessin de tueur ! On connaît peu ce nouvel artiste qui a pourtant plus d’une corde à son arc (ou plus d’une arme à son arsenal) et qui est capable de travailler aussi bien pour la BD, le monde de la publicité ou les jeux vidéos... Rencontre d’une étoile montante qui a marqué les esprits pour son (quasi) premier fait d’armes !
interview Bande dessinée
Nicolas Petrimaux
Tu as démarré dans l’animation et les jeux vidéo. Peux-tu nous en parler ?
Nicolas Petrimaux : Le jeu vidéo, c’est un débouché. C’est un truc que je voulais faire dans mes études. Mon entourage était fait de personnes qui travaillent déjà dans ce milieu là avec de gros niveaux. Les studios ont changé aujourd’hui mais à l’époque, c’était chez Ubisoft ou Darkworks qui faisaient des jeux de PlayStation 2 par exemple. C’était cela que j’avais envie de faire : bosser avec des gens qui ont du talent et sur des productions qui m’intéressaient dans des univers cools à développer. Le problème, c’est que quand je suis sorti de l’école, je n’avais pas forcément le niveau pour y travailler. J’ai fait donc ce qui s’offrait à moi et c’était un peu plus simple ou archaïque. Dans ma première boîte en 2005 chez Visiware, on faisait des jeux en pixel art sur décodeur qui se trouvaient sur des chaînes cryptées. C’est l’équivalent des jeux qu’on a aujourd’hui sur portable. Je travaillais donc sur ces trucs là comme première expérience et ça m’a appris plein de choses. De mon côté, je continuais à dessiner et côtoyer des gens super forts. Je me posais souvent des défis pour essayer de progresser et apprendre de nouvelles techniques. C’est ensuite venu au fur et à mesure avec des productions de plus en plus prestigieuses et le summum était les dernières boîtes pour lesquelles j’ai travaillées. On me confiait vraiment du travail de haut niveau.
Tu continues encore aujourd’hui ?
NP : Non, j’ai pour l’instant dû mettre ça en standby. J’ai eu simultanément des projets avec des grosses productions de jeux vidéos et en même temps l’éditeur de BD Glénat qui était ok pour que je fasse le bouquin de mes rêves. Les deux arrivant en même temps, j’ai essayé de faire tout en même temps. Glénat a accepté que je travaille encore dans les jeux vidéos et que je prenne le temps de faire un bon premier tome. Puis, de l’autre côté, Arkane Studios pour qui je travaillais, a compris que j’avais ce projet BD et ils m’ont lâché la bride en me disant que leur porte serait toujours ouverte.
Tu as beaucoup d’expériences différentes du coup…
NP : J’ai eu trois expériences différentes en tant que salarié. Cela m’a permis de rencontrer plein de gens avec qui j’ai gardé contact et qui sont ensuite devenus des clients ou qui m’ont amené d’autres clients. Je me suis mis ensuite en free-lance il y a plus de dix ans sur des projets différents comme de la pub ou des montages... J’ai pu faire plein de choses différentes et c’est ce qui me plaisait car pour moi, il n’y a pas que le dessin. Il y a l’écriture d’un scénario, la structure, la mise en couleurs, faire des logos... J’ai pu découvrir plein de corps de métiers différents qui m’ont évité la routine de faire seulement du dessin.
Raconte-nous tes débuts en bande dessinée.
NP : La première histoire que j’ai publiée, c’est dans un recueil d’histoires courtes en BD, Brumes. Je l’ai édité par le biais de la maison d’édition Capetial ethnique. On était trois et j’avais deux associés. J’ai dessiné l’histoire de Mathieu Salvia qui est aujourd’hui édité chez Glénat Comics. J’ai eu ensuite plus de succès avec l’épisode 4 de Doggy Bagg El Diablo. Puis j’ai dessiné Zombies Chronologies avec Olivier Péru qui m’a appris plein de choses.
Dans la façon de raconter une histoire ?
NP : Dans la structure du récit oui. Il travaillait avec beaucoup de contraintes car il y avait un format de 46 pages dans une collection déjà « chartée ». Je n’avais qu’à m’occuper du dessin et je voulais délivrer la meilleure copie possible à cette époque. Il y avait aussi un challenge de rendre le tout cohérent par rapport à la série qui existait déjà. Comme j’ai une narration façon comics, j’ai tendance à m’étaler. Là, c’était intéressant d’avoir un scénariste qui était habitué aux albums franco-belges et qui savaient en combien de pages on pouvait raconter une séquence. Alors qu’il raconte un événement en une page, il m’en faut potentiellement trois parce que je fais plus discuter mes personnages ou que je découpe plus les dialogues ou je laisse la place à des temps morts et des cases sans bulle. C’était intéressant de travailler avec la méthode de quelqu’un d’autre.
Puis vient Il faut flinguer Ramirez. Comment est née la série ?
NP : Avec Zombies, j’avais enfin un album qui aurait en plus de la visibilité car il faisait partie d’une série qui fonctionne bien chez Soleil. Je me suis dit que c’était ma carte de visite pour les éditeurs. J’allais donc proposer un scénario et le structurer correctement. Je suis parti dans un récit que j’avais envie de raconter et qui faisait écho à tous les films des années 80-90 qui ont bercé mon adolescence : Die Hard, L’arme fatale, Le flic de Beverly Hills... Un truc d’actions qui ne se prend pas la tête mais bien construit avec plein de bons dialogues et où tu ne t’ennuies pas. C’est du spectacle et j’avais envie d’offrir ça aussi. La création du scénario a été ensuite plutôt simple et naturelle où tu pars de l’idée principale et tu développes le reste au fur et à mesure. Par exemple, l’idée de l’aspirateur m’est venue le jour où j’en ai acheté un. Je savais que mon héros avait besoin d’une couverture mais je ne l’avais pas encore défini. En sortant du magasin et en déballant le carton et en clipsant le balai, j’ai eu le déclic ! Ça correspondait bien au décalage que je voulais entre l’univers des mafieux et un objet ringard.
Est-ce que tu sais où tu vas dans cette série ?
NP : Le projet date d’il y a cinq ans. Je ne me considère pas comme scénariste et je ne pouvais donc pas imaginer un tome un sans en connaître la suite. Cela aurait été comme un numéro de cirque où je serais sûr de tomber ! Je voulais donc avoir confiance en moi et faire un bon parachute et rassurer l’éditeur avec qui je signais. J’ai donc écrit tout le script comme un film de deux heures. On a eu ensuite une discussion avec l’éditeur pour savoir en combien d’albums on allait découper l’histoire. Tout le déroulé était très clair. L’enjeu principal sera dévoilé dans le tome deux et le personnage principal va évoluer. Il a vraiment un point de chute et cela a rassuré l’éditeur.
Et cela fera combien de tomes ?
NP : C’est une trilogie.
Cette série correspond parfaitement à tout ce que tu es : ton goût pour le cinéma et son découpage, le dessin en numérique, les allusions à la publicité...
NP : Oui en effet. Je n’ai pas eu beaucoup le choix. Ceux qui me connaissent et qui ont lu l’album m’ont dit que c’était assez personnel comme bouquin. Ils m’ont dit que c’est exactement ma personnalité, notamment avec l’humour où ils avaient l’impression que j’étais à côté d’eux et que je leur racontais l’histoire en prenant des voies débiles ou en amusant la galerie. Je ne pense pas que je ferai plusieurs séries aussi personnelles. Il y aura d’autres projets mais qui n’auront sûrement pas la même intensité. Les gens n’aiment pas entendre cela mais c’est vrai. Je me souviens que Jean-Pierre Jeunet avait dit après Le fabuleux destin d’Amélie Poulain que c’était son meilleur film. Il le savait et je le comprends tout à fait. Il a été sincère et il a pensé avoir fait un film très personnel.
Ton graphisme est marquant dans la série. Comment le travailles-tu?
NP : Avec beaucoup d’anticipation. Même si l’encrage est important dans mon dessin, je n’aimerai pas éditer une version noir et blanc de Ramirez car la couleur est pensée pour aller avec le trait. Quand je fais l’encrage, je pense à la couleur et je me laisse des espaces vides. Du coup, l’album en noir et blanc n’est parfois pas très lisible et c’est la couleur qui vient tout mettre en place. Il y a un story board, j’encre directement dessus et je dessine en sculptant mon dessin. Je mets ensuite des aplats de couleur pour délimiter les zones. Puis Je fais un étalonnage global comme au cinéma. Les couleurs sont brutes et « vilaines ». Par exemple, j’utilise le même bleu sur la veste de Ramirez et en fonction de l’ambiance, je rajoute de la luminosité différente et la couleur s’adapte à la teinte globale. J’aime bien qu’en regardant le dessin, on comprenne dans quelle ambiance on est. Les séquences se distinguent bien et c’est agréable aussi pour le lecteur. Une fois que j’ai mes aplats et l’étalonnage, je sépare les couches de profondeur. Je peins par dessus mon noir et je donne de la distance sur les décors ou les personnages de second plan.
Tu vas sûrement nous réserver une énorme surprise à la fin de la série ?
NP : Pas qu’à la fin ! (Rires). Il y a un dénouement qui va être brutal mais c’est difficile de répondre sans spoiler. Je sais juste où je vais mais j’espère que cela va marcher. C’est un peu comme poser la dernière carte sur le château que j’ai bâti. Moi j’ai juste construit le palier et j’espère ne pas m’écrouler sur le tome deux. Du coup, j’espère qu’on arrivera à la dernière carte du tome trois avec un grand suspense et une grande attente. On est souvent tous très exigeants envers le cinéma et les fins des films. Du coup, j’essaie de prendre du recul et de me poser tout un tas de questions sur l’histoire pour qu’elle reste crédible et que ça fonctionne. Même si on doit aussi ne pas se focaliser sur des détails car on peut jouer avec l’absurde. Par exemple, certains lecteurs n’ont pas aimé que Ramirez soit sur une banquette arrière d’une voiture à deux portes ! Mais vu que Ramirez est le pire assassin mexicain qu’il soit, il est partout et même dans ta boîte à gants ! Je n’expliquerai pas comment il a fait car c’est une sorte de magicien et c’est le meilleur. Le mec peut être dans le placard de la cuisine et il attend que tu entres et que tu ouvres ta poubelle pour te piéger ! C’est le concept de Ramirez. Tu peux rester sur le seuil de la porte et dire que tu ne veux pas l’acheter car ce n’est pas l’histoire que tu veux que l’on te raconte. Mais si tu es ok avec ce concept, rentre, assieds-toi et fais-toi plaisir !
Si on te donnait le pouvoir cosmique de rentrer dans le crâne d’un auteur, qui ce serait et pour y trouver quoi ?
NP : Je rentrerai dans la tête de Sergio Toppi pour y trouver la classe...
Merci Nicolas!
A Guigui...