interview Bande dessinée

Olivier Péru

©Soleil édition 2010

Tantôt au scénario (Lancelot), tantôt au dessin (Kookaburra universe 6), tantôt aux couleurs (La loi des 12 tables), tantôt en couverture (L’évangile selon Satan), Olivier Péru le touche-à-tout a aussi livré avec son frère Stéphane (aujourd’hui disparu) une première trilogie fort sympathique : Shaman. Aujourd’hui, il nous allèche avec un titre aussi éloquent que prometteur : Zombies. Avec Sophian Cholet au dessin, il nous plonge dans une humanité putride post-apocalyptique, dans le pur respect des films de Roméro. Pour les fans de mort-vivants, c’est jouissif ! Dégainez vos tronçonneuses, on fait une percée en interview !

Réalisée en lien avec l'album Zombies – cycle 1, T1
Lieu de l'interview : Le cyber-espace

interview menée
par
5 juillet 2010

Bonjour Olivier. Pour faire connaissance avec les internautes qui ne te connaissent pas, qui es-tu ? Comment en es-tu arrivé à faire de la bande dessinée ?
Olivier Péru : En apprenant à lire sur les X-men ! Après, ça a été tout seul. J'ai passé mon enfance à lire tout ce qui me tombait sous la main, et écrire ou dessiner des histoires fantastiques. Puis, quand j'ai été un peu plus grand, j'ai envoyé mes travaux chez tous les éditeurs. En ce temps-là, il n'y avait pas de net, et mes courriers enfiévrés ont longtemps reçu de gentilles réponses qui m'expliquaient que je ne correspondais pas aux standards de la maison. Puis un jour, Thierry Mornet et Jean-Marc Lofficier m'ont donné une chance de publier dans une revue aux éditions Semic. Ensuite, ça s’est accéléré, les albums, l'argent, la drogue, la médiatisation, les paparazzis... et une interview planète BD !

A part Shaman, qui constitue une trilogie complète, tu as dernièrement fait des tomes 1 sans suite (Zak Blackhole, Guerres parallèles), participé à des collectifs, multiplié des collaborations très variées (Kookaburra 6 au dessin, Lancelot 2 au scénario), ou réalisé des couvertures sur des séries-concepts (Dossier Tueur en série, Carnets secrets du Vatican, Evangile selon Satan)? C’est difficile de faire son trou dans le 9e art ? Ou c’est un appétit féroce pour tout dévorer, tel un zombie ?
O.Péru : Shaman a eu la chance de rencontrer un franc succès malgré une aventure éditoriale mouvementée. Publiée à l'origine chez Nucléa2, la série a connu son dénouement et quelques rééditions aux éditions Soleil.
En ce qui concerne Zak Blackhole, je crois que ça a été le seul faux pas de ma carrière et, avec du recul, je suis content qu'il soit arrivé si tôt dans ma vie professionnelle. J'ai dessiné cet album un peu rapidement sans trop m'investir au niveau scénario et en profitant de l'opportunité pour m'amuser avec mon copain JL Cano qui était aux manettes pour l'occasion. Le résultat n'a pas été à la hauteur de ce qu'on pouvait faire de mieux et le livre est passé totalement inaperçu. Je crois même pouvoir dire que des tas de facteurs ont joué contre nous et toute la chaîne de vente a été défaillante mais je tiens à préciser que ce n'est pas de la faute de Soleil. Je suis le premier responsable de cet échec puisque je ne me suis pas donné à 100%. Mais ce qui me tracasse le plus, c'est les rares lecteurs qui ont acheté ce tome 1. Je profite de l'occasion pour m'excuser auprès d'eux et leur dire que j'ai appris de cette leçon. Je ne fais plus un seul livre sans me donner à fond dedans.
Quant au premier tome des Guerres Parallèles, je suis sincèrement désolé pour les gens qui avaient fait un accueil chaleureux à cet album, mais je crois que je ne pourrai jamais travailler sur la suite... C'est une série que j'ai commencé avec Stéphane, mon frère aujourd'hui disparu. Je n'aime pas aborder le sujet, je tiens à ajouter que depuis, je dessine de moins en moins. Je fais des illustrations ou des couvertures par ci par là mais mon envie de faire des pages est partie avec Steph. Les planches, le dessin, la couleur, c'était notre truc à tous les deux, tout seul je ne suis bon qu'à raconter des histoires.
Quant à la question de faire son trou, le plus dur c'est d'obtenir une première publication, après ça roule tout seul. Mais avant, il faut être à l'écoute de tous les conseils, accepter tous les boulots d'illustrateur ou de scénariste, même les plus mal payés, et puis avec du talent et de la persévérance, on finit par transformer sa passion en vrai métier. Il faut beaucoup travailler et progresser pour se hisser au niveau de ce qu'exigent les grands éditeurs de la BD. Mais avec du café, des nuits blanches et des petites amies compréhensives, on finit par y arriver.

Avec un gros potentiel et un premier tome de mise en bouche particulièrement soigné, ce Zombies là promet d’être le début d’une longue série ? Combien de tomes sont prévus ?
O.Péru : Avec Sophian, nous avons beaucoup discuté de ce sujet et on donnera une première véritable fin au tome 3. Ceci dit, on s'est attachés à nos persos, on ne veut pas « tous » les tuer et on a déjà des cartons bourrés d'idées pour les orientations que pourrait prendre l'histoire si l'on développe une sorte de second cycle à partir du tome 4.

Quatrième question et déjà la plus conne : tu es donc fan de zombies ?
O.Péru : Oh Oui !!! J'adore ça ! En film, en jeux vidéo, en BD et en littérature, dès qu'il y a du Z, ça m'intéresse, c'est plus fort que moi. J'ai vu le Dawn of the Dead très jeune et ça a été une de mes premières claques cinématographiques, depuis je ne m'en suis jamais remis.

Comment s’est produite la rencontre avec le dessinateur Sophian Cholet, autour de ce projet ? Lui aussi, il kiffe les zombies ?
O.Péru : Sophian est lui aussi un amoureux de la culture Zombie ! Et en ce qui concerne notre love story, on doit remercier Jean-Luc Istin, notre directeur de collection. Lors du festival d'Angoulême 2008, Sophian lui a présenté son travail de dessinateur et lui a fait part de ses envies de Zombies. Jean-Luc Istin m'a appelé en me disant qu'un jeune et talentueux dessinateur n'attendait plus qu'un scénario pour passer de l'autre côté du stand.
Ensuite, en quelques mails et coups de fil, tout était réglé ! On s'est tout de suite très bien entendus avec Sophian. On avait les mêmes envies, beaucoup de références culturelles et de goûts en commun et puis on voulait réaliser une BD qui marque les esprits. Bref, on est bien content de s'être trouvés et maintenant on envisage d'adopter un zombie.

Comment bosses-tu avec lui ? (qui storyboarde ? discutez-vous ensemble de l’évolution de la série ? lui livres-tu le scénar au fur et à mesure ou tout d’un coup ?)
O.Péru : Sur ce premier tome, après la lecture du script que je lui envoyais, Sophian préparait des story-boards sur lesquels on faisait des ajustements quand c'était nécessaire puis il réalisait ses pages crayonnées et encrées dans la foulée. Une fois les pages terminées, on ajustait souvent les dialogues ensemble afin que le tout se lise à la perfection. J'ajouterai (et je n'écris pas ça en pensant que Sophian lira cette interview) que cette année de boulot avec mon co-auteur a été un vrai régal ! Certains albums se font dans la douleur, celui-là, c'était tout l'inverse. Et en plus, on en vend déjà des palettes entières... c'est presque incroyable !
En ce qui concerne la série, on a pas mal discuté des pistes, de la logique de l'histoire et de quelques points essentiels qui touchent à la vie de notre héros principal. Une question nous taraude : Sam va-t-il mourir ? On commence à avoir la réponse, mais on peut encore changer d'avis...

On devine, à travers ce premier tome, que tu as vraiment cherché à respecter le mythe et le decorum du zombie, tel qu’ils ont été magnifiés par Romero dans ses films. C’était le but de la démarche ?
O.Péru : C'est une question que je ne me suis pas posée mais si c'est l'impression que donne la BD, je pense que oui, inconsciemment, j'ai voulu respecter les standards du maître du genre. J'aime bien le côté zombie enragé qu'exploitent certains films récents, mais je crois que j'ai plus de tendresse pour les zombies qui ont bercé mon enfance... ceux qui font des aaaaaaaaaaaahhhh soporifiques en marchant à deux à l'heure.

Quelle marge de manœuvre t’autorises-tu par rapport au contexte post-apocalyptique de Romero ?
O.Péru : Une marge totale. J'ai beaucoup de respect pour le maître mais je trouve malheureusement que ses derniers films sont moins excitants et pertinents. Sa vision post-apo zombie me parle moins. Ses personnages et les situations dans lesquelles ils se fourrent sentent les années 80. Georges, si un jour tu lis ces lignes, je te demande pardon...

Jusqu’où ces aventures vont-elles amener le héros ? (sans en dire trop, pour faire monter la mayo, on veut bien un petit scoop !)
O.Péru : Difficile de répondre à ça sans déflorer l'histoire. Au niveau symbolique, nos personnages vont aller vers une chose que l'apocalypse leur a volée : leur humanité. Cette quête intérieure va se traduire par des épisodes d'espoir et de renoncement mais elle va surtout nous permettre de tirer les personnages vers ce qu'il convient de faire après avoir survécu. Leur combat pour exister dans un monde éteint ne cessera jamais, mais pour faire mieux que survivre, ils devront reconstruire quelque chose, une « mini » civilisation plus que fragile.
Et concrètement, disons simplement qu'on en saura plus sur la maladie qui a mangé le monde et sur la fille disparue de notre héros...

Le titre emprunté à l’œuvre de Dante (La divine comédie) est-il une référence à la descente aux enfers ?
O.Péru : Complètement ! On a longtemps cherché un titre à ce premier album puis on a eu l'idée de citer Dante et on a immédiatement pensé aux parallèles entre notre bébé de 46 pages et ses cantiques. On s'est dit que ça collait avec notre message et avec le voyage intérieur de notre personnage. Et puis ça sonne bien !

Y a-t-il une forme de jubilation à faire table rase d’une humanité décadente pour tout reconstruire ? (en mieux ?)
O.Péru : Oh, oui ! Réécrire un nouveau monde, c'est une forme de rêve éveillé, un défi permanent et stimulant. On doit penser à tout pour recréer un univers idéal et logique malgré le contexte. Et puis sans tomber dans la moralisation de bas étage ou les pseudos discours politiques, on peut aussi se laisser aller à quelques férocités jouissives et pratiquer le cynisme comme un exercice très sain pour la santé. Ce n’est qu'un détail mais je pense que si on avait fait ce tome 1 quelques années plus tôt, Georges Bush Junior aurait pu faire l'objet d'une scène mémorable et la Maison Blanche se serait teintée de rouge.

Les zombies sont actuellement très à la mode dans le 9e art. Ne crains-tu pas d’exploiter un filon ? De contribuer à saturer le registre ?
O.Péru : On a fait notre BD par amour, le mot est fort mais je crois qu'il est juste. On aime vraiment les zombies avec Sophian et depuis mon premier Romero (j'étais très jeune) je me suis toujours promis qu'un jour je raconterais mon histoire de zombies.
Du coup, l'idée d'exploiter un filon ne nous vient même pas à l'esprit. À propos du marché, je ne crois pas qu'on puisse le saturer et je ne suis même pas sûr qu'on puisse parler de « mode Zombies ». Depuis des jeux vidéos comme Resident Evil ou d'autre titres avec « dead » dedans, le zombie est devenu une icône culturelle, et c'est par la génération jeu vidéo que le mort-vivant est revenu au cinéma.
Il s'y est installé depuis déjà 5 ou 6 ans (ce qui commence à faire long pour une mode) et, à mon humble avis, il n'est pas prêt d'en sortir.
Quand à saturer le registre, je me souviens avoir lu les premiers Walking Dead en anglais à leur sortie (ça remonte à loin maintenant) mais depuis, je n'ai pas découvert de nouvelles séries de zombies. Je sais qu'il y en a quelques unes mais je n'ai pas l'impression qu'elles aient beaucoup attiré l'attention. Libre à nous d'avoir autant de succès que nos copains de Walking Dead !

Connais-tu personnellement un ou des zombie(s) ? Sont-ils réellement aussi bêtes et carnivores qu’on veut bien les présenter ?
O.Péru : Oui aux deux questions ! J'en ai déjà croisé quelques uns dans ma vie ! Ils regardent Star Epidemy ou Croc Star mais en général, ils ne sont pas si méchants...

Hormis la suite de Zombies, quels sont tes autres projets ?
O.Péru : En BD, je travaille sur quelques nouvelles séries aux univers très différents :
« In Nomine », une sorte d'Indiana Jones médiéval avec un jeune homme très doué au dessin : Denis Béchu ;
« Nosferatu », une série qui va ranimer le mythe du grand vampire et le dépoussiérer grâce à Stefano Martino, un artiste venu du fumetti ;
et « La Guerre des Orcs », un one shot dont le titre résume assez bien l'histoire, avec Daxiong au dessin.
Autrement, j'ai deux romans qui sortent au mois d'octobre :
un polar fantasy, « Druide » (aux éditions Eclipse)
et un roman jeunesse, « Les Haut-Conteurs » (aux éditions Scrineo Jeunesse).
Et avec tout ça, la télé et le ciné me font du pied pour que je travaille de plus en plus sur des projets audiovisuels. Donc, ça ne chôme pas vraiment.

Quels sont tes références en matière de BD (ou autres arts) ? Quelles sont tes dernières lectures coups de cœurs ?
O.Péru : En matière de référence, je n'ai pas grand chose à vous mettre sous la dent. Je n'ai pas de grand maître du dessin ou du scénario, par contre j'ai grandi en lisant les X-men (ce qui a sans doute fortement contribué à former mon imaginaire) et des romans d'horreur. Ensuite, j'ai découvert Otomo et Vatine, deux auteurs qui m'ont invité à découvrir de nouveaux horizons.
Voilà pour mes influences et en ce moment, je ne lis malheureusement pas grand chose à part les albums des copains et j'ai un gros coup de cœur pour Escobar, la prochaine série de mon zami Louis (le dessinateur de Tessa). Il me fait lire l'album au fur et à mesure qu'il avance sur les pages et c'est TOP ! Vous découvrirez ça dans quelques mois en librairie, mais je prends direct ma carte au fan club si vous en montez un !
En littérature, c'est l'inverse de la BD, je lis beaucoup, en revanche je suis très difficile, et dernièrement j'ai bien aimé Mort aux cons de Carl Aderhold. Tout est dans le titre. Et au cinéma, j'ai été soufflé par l'Elite de Brooklyn.
En jeu vidéo, mon dernier kiff s'appelle Deadspace (je n'ai pas allumé ma Xbox depuis des mois et j'en ai honte). À la télé, j'ai adoré la série Sons of Anarchy !
Pour la musique, j'ai des goûts plutôt poussiéreux et en ce moment, j'écoute du Bach.

Si tu avais le pouvoir cosmique de pénétrer dans le crane d’un autre auteur de BD (pour comprendre sa technique, percer ses secrets?), ce serait chez qui et pour y trouver quoi ?
O.Péru : Je m'offrirai bien un voyage dans les années 70, j'irai voir dans le cerveau de Jack Kirby et je m'y installerai confortablement pour éplucher ses dossiers mentaux. Ce grand monsieur est à la BD US ce que Homère ou Shakespeare sont à la littérature et la tragédie. Je serais tenté de dire qu'il a tout inventé et qu'il a dessiné ou écrit tous les grands héros qui m'ont fait rêver quand j'étais enfant. Je suis sûr qu'il a laissé des tonnes d'idées et d'histoires en jachère dans un coin de sa tête, j'aimerais bien les lire.

Merci Olivier !
O.Péru : Fin de l'interview ! Je me permets juste de rajouter un petit mot, MERCI !!!
Mordez tous ceux qu'ont pas encore Zombies ! Faut propager le virus !