Dans les années 80 et 90, Rick Leonardi a été l'un des dessinateurs de comics les plus appréciés des fans de super héros. A l'oeuvre sur moult licences Marvel ou DC Comics, il a notamment pour fait de gloire d'avoir participé au design du costume noir de Spider-Man. Il a aussi réalisé un long run sur Spider-Man 2099, une vingtaine d'épisodes et un graphic novel. Plutôt discret ces dernières années où il a enchaîné les travaux d'adaptation de licence comme Alien, il revient sur le devant de la scène ces derniers mois en revenant aux dessins sur une nouvelle série Spider-Man 2099. Venu en France à l'occasion du festival BD de Chambéry, nous avons profité d'une escale parisienne de ce dernier pour rencontrer l'artiste et lui poser nos questions.
interview Comics
Rick Leonardi
Réalisée en lien avec les albums Spider-Man 2099, Star Wars - Le côté obscur – Le côté obscur, T12, Star Wars - Le côté obscur – cycle , T12
Bonjour Rick Leonardi, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Rick Leonardi : Ah, ok. Je m'appelle Rick Leonardi et je travaille dans l'industrie des comics depuis 1980. J'ai commencé par écrire un script que j'ai ensuite illustré et encré, j'ai ensuite ajouté les phylactères et je l'ai ramené à un format de comic-book - les planches que j'avais utilisées étaient énormes. J'ai envoyé le tout à New-York en tant que dessinateur et, quelques mois plus tard, on m'a envoyé une réponse qui disait en substance qu'ils ne pouvaient en aucun cas juger de mon travail d'illustrateur puisque le tout était entièrement encré, recouvert de bulles de dialogues... Et c'était trop petit ! Ils m'ont dit que j'avais un potentiel en tant qu'auteur mais bon, ils n'avaient aucune idée concernant l'illustration. A la suite de ça, j'ai réalisé, au crayon, trois pages de Conan prenant des poses avec son épée, à gauche, à droite, au-dessus de sa tête... Et voilà ! Ils m'ont dit "Très bien, venez, on va en discuter". Mon premier job a été d'illustrer une histoire de Thor, dans le numéro 303. ça avait été écrit, je crois, par Doug Moench et le script traînait là, dans l'attente d'un illustrateur. Il me l'a donnée, je l'ai illustrée et je crois que ça a été publié en 1981.
Quelles ont été tes premières influences ?
Rick Leonardi : Quand j'étais petit et que je lisais des comics, je ne les lisais que pour les illustrations. Par exemple, quand la série Nick Fury : Agent du S.H.I.E.L.D. est sortie et que Steranko l'illustrait, je les lisais. Mais quand il a quitté la série au sixième numéro, moi aussi j'ai laissé tombé. Je suivais donc surtout les dessinateurs. Je regardais attentivement ce que faisaient Jim Steranko, Barry Windsor-Smith... Mais ensuite, je me suis mis à travailler à rebours et je me suis intéressé à l'histoire des comic-books, notamment à cause de l'Histoire des Comics de Steranko, en deux volumes, que j'avais alors commandés. Avec ça, j'ai découvert Will Eisner et The Spirit ainsi qu'à des influences encore antérieures à celles-ci. Jusqu'à Prince Valiant, jusqu'à Winsor McCay ! Je suis donc devenu très féru d'histoire ! Tu trouveras beaucoup de gens qui pensent que les comics ont débuté en 1980 mais moi, je sais que non.
Comment décrirais-tu ton style ?
Rick Leonardi : Ma formation, c'est à dire les gens qui m'ont amené à travailler dans cette industrie, ces gens m'ont dit que mon boulot était de raconter une histoire. Pour moi, ça signifie que le moins on me voit, le mieux c'est. L'histoire passe en premier, je me contente de la raconter. Je n'essaie pas d'éblouir avec mon style ou d'épater la galerie avec des techniques incroyables; j'essaie juste de raconter une histoire. Si les gens lisent l'histoire et aiment l'histoire, ils n'ont pas besoin de se rappeler qui en était le dessinateur. J'ai fait mon boulot. Donc non, je n'ai pas de style à moi.
Pendant longtemps, tu as travaillé pour Marvel ou encore DC Comics; quel est ton meilleure souvenir concernant cette période et quel est le personnage ou le titre sur lequel tu as le plus aimé travailler ?
Rick Leonardi : Je crois que certains des plus belles choses... Je crois que je vais me contredire, mais certains des plus beaux projets sur lesquels on a pu travailler ont été les Batgirl, sur lesquels j'ai collaboré avec Jesse Delperdang, qui encrait. Il a quitté l'industrie, depuis, mais le fait est qu'il est incroyable et il a réalisé de superbes encrages et ces albums étaient vraiment beaux. Les scripts étaient aussi très bons. Sur Nightwing, l'arc au cours duquel Nightwing voyage à Rome, Paris, Londres... C'étaient de bonnes histoires, aussi et Jesse Delperdang était là aussi à l'encrage. Les scripts sur Nightwing et sur Batgirl étaient probablement la crème en termes graphiques. Pour ce qui est de la production même, avec Spider-Man 2099 j'ai travaillé sur près de 20 numéros et un graphic novel, ça a été du boulot.
Tu as, à maintes reprises, collaboré avec Bill Mantlo. Notamment sur Vision, la Sorcière Rouge et sur La Cape et l’Épée. quel regard portes-tu, aujourd'hui, sur cette collaboration ?
Rick Leonardi : Sur de nombreux points, Bill était en avance sur son temps car il tirait ses histoires des gros titres des journaux. Maintenant, on a les Law and Order à la télé et tout le monde est habitué à ce procédé mais c'est Bill qui a lancé l'idée ! Bill s'intéressait au fait de pouvoir raconter des histoires vraies et il se servait de La Cape et L’Épée pour ça. Il étudiait aussi le droit au cours du soir et il est devenu avocat après avoir quitté le monde des comics. Finalement, il s'est fait renverser alors qu'il se trouvait à Central Park et il n'a rien écrit depuis... Je ne sais pas à quel point vous connaissez les détails de cette histoire, les gars, mais... Il faisait du patin à roulettes dans Central Park et il s'est fait renverser et le conducteur du véhicule n'a jamais été retrouvé. Mais... Il n'est plus vraiment autonome. Il est vivant, mais il n'écrit plus, ce qui est vraiment dommage. Mais oui, j'ai vraiment aimé travailler avec Bill, en particulier en raison du fait qu'il prenait son travail très au sérieux et qu'il lui tenait à cœur de raconter une histoire, de transmettre un message. Ce qui m'incitait à m'appliquer.
Pour beaucoup en France, tu es l'artiste culte qui a réalisé Spider-Man 2099 avec Peter David. Quel regard portes-tu sur nouvelle série Spider-Man 2099 ?
Rick Leonardi : Je n'ai participé qu'à un seul numéro donc je ne sais pas vraiment où les auteurs comptent emmener la série ni où va l'histoire. Je vais être honnête avec toi et te dire que ma grande crainte est que le fait d'amener le personnage de Spider-Man 2099
Comment as-tu imaginé le design de cette version de Spider-Man ? Avais-tu reçu des indications de Marvel ou de Peter David pour le design de Miguel O'Hara ?
Rick Leonardi : Non, non. Peter David voulait que le costume de Spider-Man ressemble à quelque chose que Miguel O'Hara aurait pu porter à Mexico, pour la fête du Jour des Morts. Il y avait donc une sorte d'iconographie mortuaire, une sorte de crâne... Et, ayant déjà travaillé sur le costume noir de Spider-Man, je m'en suis un peu servi. Peter m'a dit qu'il voulait qu'il puisse grimper au mur mais pas s'y fixer, car l'autre Spider-Man le faisait déjà. J'étais d'accord, pourquoi pas des petits crochets au bout de ses doigts, alors ? Peut-être que tu le sais déjà mais certaines araignées, à leur naissance, prennent de la hauteur, tissent leur toile et s'envolent avec le vent. Elles voyagent ainsi, utilisant leur toile comme un parachute alors on s'est dit "ouaiiiis, faisons ça !". Le costume se construit en pensant au personnage et c'est probablement la raison pour laquelle le costume a tenu aussi longtemps sans jamais connaître de changements.
Spider-Man 2099 est aussi la série sur laquelle tu as travaillé le plus longtemps. Pourquoi n'as-tu jamais réitéré une telle longévité sur une autre série ?
Rick Leonardi : C'est surtout dû à l'éditorial, au niveau des éditeurs et de la publication. Quand je suis allé chez >DC Comics, j'ai commencé avec Birds of Prey et je me suis dit "Ok, c'est parti, on va faire Birds of Prey !" et on a fait quelque chose comme trois numéros et là on nous a dit "Non, non, non, plus de Birds of Prey, les gars. Il faut aller sur Nightwing, maintenant !". Nous: "Ok..." On se met à bosser sur Nightwing et je trouve que ce qu'on fait est très bien mais là, eux nous disent "Stop ! Maintenant il faut aller sur Batgirl !" Encore une fois, on fait du bon boulot sur Batgirl et "Stop! Arrêtez et passez à autre chose !" Donc, malheureusement, ça ne dépend pas de moi. Je veux dire, personne ne se souvient de Vigilante mais on en a fait 10 numéros !
Tu es aussi celui qui a redessiné le costume de Spider-Man (avec Mike Zeck) lors de Secret Wars. Comment as-tu imaginé ce visuel ?
Rick Leonardi : Oh, ça a été très simple ! Tout ce que j'ai eu à faire était de regarder le croquis de Mike Zeck et d'en tirer trois vues: face, côté et arrière. Peut-être quelque ajustements, peut-être quelques améliorations mais en fait non. Très simple. Je n'essayais pas de transcrire quoi que ce soit de particulier.
Ta prestation sur la série Nightwing a elle aussi été remarquable. Est-ce que cela fut difficile de se familiariser avec l'univers des séries Batman ?
Rick Leonardi : Pas vraiment. Pour moi, Batman est le meilleur personnage. Point à la ligne. Et je pense que c'est surtout une question de préférences personnelles. Je crois que le monde se divise en deux catégories: ceux qui aiment Superman et ceux qui aiment Batman. J'aime Batman. Je suis ce genre de mec. Il est facile à comprendre et donc, son monde aussi. Là où c'était intéressant, c'était avec Batgirl. Leur Batgirl était la version Cassandra Caine qui n'avait jamais appris à parler et n'avait jamais connu de figure paternelle. Je me suis un peu retrouvé en elle et je me suis dit "voilà un personnage très intéressant avec une histoire très intéressante" et, bien sûr, les gens de DC Comics ont pris leurs jambes à leurs cous, ils n'ont pas eu le cran de s'occuper de ce personnage. Je vais avoir des ennuis pour avoir dit ça.
Depuis le milieu des années 2000, nous te voyons beaucoup moins. Pourquoi ?
Rick Leonardi : Oui. Eh bien... Il est possible que je me sois exilé. Je ne sais pas. Un exilé clandestin, c'est possible ? Je ne sais pas. J'ai travaillé sur de nombreux projets indépendants, ces dernières années. Mais pour être honnête, j'ai aussi fait pas mal de choses avec Dark Horse : Aliens vs Predator, Green Lantern vs Aliens, Dark Vador vs Darth Maul, General Grievous... J'ai été occupé ! Mais ces deux dernières années, j'ai surtout travaillé sur Sherlock Holmes, la série en noir et blanc Watson & Holmes. Je ne sais pas si vous avez ça ici, en France ? C'est Sherlock Holmes mais à New York et Holmes et Watson sont tous les deux noirs. Donc là encore une interprétation très intéressante et très audacieuse du mythe. Je me suis retrouvé de plus en plus impliqué dans ce projet, dès le deuxième numéro. J'ai pas mal écrit sur ce titre. J'avais lu beaucoup de Sherlock Holmes, toute ma vie et, donc, je m'y connaissais beaucoup plus sur le sujet que le reste de l'équipe. C'était tout à fait logique et naturel.
Comptes-tu alors continuer à participer à l'écriture, comme sur Watson et Holmes mais sur d'autres séries, par exemple ?
Rick Leonardi : Oui. Un auteur écrit quelque chose comme ça [montre Watson et Holmes] très vite. Peut-être en une demi-journée ou en deux jours. Moi, le dessinateur, je passe un bon mois là-dessus. Un mois! Donc s'il y a des erreurs, des contradictions, des soucis dans l'histoire. C'est moi qui vais les voir, pas l'éditeur et peut-être même pas l'auteur non plus. C'est donc logique que bon nombre de dessinateurs fassent "Stop, une minute, là !". J'ai fait ça. Et en même temps, ça explique peut-être mon exil [rires]. Je n'en dirais pas plus.
Connais-tu des auteurs ou des titres français et, si oui, qu'en penses-tu ?
Rick Leonardi : Je pense que Jean Giraud est fabuleux. Et je lui pique des trucs en permanence ! Il peut, à l'évidence, dessiner tout ce qu'il veut mais il a une grande éthique, il ne triche pas. Il donne le meilleur de lui-même, dans chacune de ses cases, pour raconter son histoire. On devrait tous aspirer à prendre ce travail aussi sérieusement que le faisait Mœbius. Je ne l'ai jamais rencontré donc je ne sais pas quelles sont ses autres qualités mais, pour moi, il est l'un des dessinateurs les plus consciencieux et des plus éthiques et aussi un des plus admirables que je connaisse.
Que penses-tu de l'industrie des comics, aujourd'hui ?
Rick Leonardi : C'est une grande question. J'ai parfois l'impression qu'on ne s'intéresse plus autant qu'avant au fait de vendre des imprimés. On se satisfait de 20 000 unités quand on en vendait des millions. ça m'amène à me demander quel est notre métier, en vérité. Est-ce qu'on s'efforce d'établir des personnages juste pour pouvoir les adapter au cinéma ? Est-ce qu'on s'accroche au copyright ? Est-ce qu'on s'acharne juste à conserver les droits en maintenant de maigres ventes papier et ce jusqu'à la sortie du film ? "Je ne sais pas !" [NDT: en français] C'est l'impression que j'ai, parfois. Mais il arrive qu'on ait un très bon personnage qui s'empare de l'imagination des gens et rencontre le succès et ça, c'est aussi une très bonne chose. Mais c'est rare. Je suis aussi inquiet du fait qu'on voit de plus en plus d'arrière-plans générés informatiquement, en images de synthèse. ça a son utilité mais il faut encore pouvoir raconter une histoire. Je ne sais pas qui est en charge d'apprendre aux auteurs à raconter une histoire, de nos jours. Ce ne sont pas les ordinateurs qui vont s'en charger.
Trouves-tu encore le temps de lire des comics ?
Rick Leonardi : Pas vraiment. Je regarde en général si Mike Mignola a sorti quelque chose. Je lis tout ce qui touche à Hellboy ou ce que fait Duncan Fegredo. Et je suis toujours à la recherche du dernier Blueberry.
Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'un autre auteur afin de comprendre son art, ses techniques, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Rick Leonardi : Pas facile, celle-là... Giraud, peut être... En fait, le type du passé que j'aimerais observer serait Milton Caniff, qui faisait Terry et les Pirates. J'aimerais vraiment regarder Milton Caniff réaliser un de ses strips. Parce qu'on entend souvent les gens parler de noircir avec des points: on réalise son dessin jusqu'à un certain niveau puis on pointe ses noirs. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que ça implique ? Milton Caniff était un des premiers à faire ça: à un moment, il s'arrête, pose son stylo, prend son pinceau et il y va. J'aimerai voir ce qu'il fait à ce moment-là.
Merci Rick !
Remerciements à Laurent Nucera de la librairie Apo(k)lyps pour l'organisation et à la librairie Diable Blanc Comics, à Alain Delaplace pour la traduction, à Mickaël Géreaume pour les corrections, son chapeau et la mise en forme.