Shinichi Ishizuka est un mangaka au parcours atypique, qui a commencé sa carrière bien tard. Néanmoins, il sait nous donner des frissons avec ses séries, du danger de la montagne dans Vertical aux notes de saxophone de Blue Giant, le tout avec des émotions intenses. Il nous délivre avec ses œuvres un message sur l’importance de la passion et sait décrire la vie avec brio ainsi que des personnages au grand cœur. Qui est réellement cet auteur ? Est-il aussi touchant que ses personnages ? La réponse en interview…
interview Manga
Shinichi Ishizuka
Vous avez commencé votre carrière tard, à 30 ans. Qu’est-ce que vous faisiez avant et qui vous a poussé à tout abandonner pour vous lancer dans le manga ?
Shinichi Ishizuka : J’ai été étudiant plus longtemps que la moyenne des gens. A la sortie de l’université au Japon, j’ai passé 5 ans aux États-Unis à continuer mes études. En rentrant au Japon, j’ai travaillé dans une entreprise qui a fini par faire faillite. J’avais 28 ans, et je me suis dit que c’était le moment d’essayer autre chose. J’ai alors eu un prix pour une de mes créations vers l’âge de 30 ans, c’est ce qui m’a mis le pied à l’étrier. Pour ce qui est du moment décisif qui a fait que je me suis dit que je pourrais choisir le manga comme une autre voie, cela remonte à l’époque où j’étais étudiant et j’ai vu un camarade, sur la base d’une lecture de manga, choisir la voie vers laquelle il allait aller. C’est là que j’ai réalisé le pouvoir que pouvait avoir ce media sur la vie des gens et que je me suis dit que, à un moment ou un autre, si l’occasion se présentait, j’essaierais de m’y frotter.
Shinichi Ishizuka : Je pense que c’est une des premières œuvres de Minetaro Mochizuki que j’ai lue à l’époque où j’étais lycéen. J’ai du mal à mettre vraiment des mots sur la sensation que j’ai ressentie à ces lectures, mais j’ai le souvenir très clair qu’elles m’ont rempli d’énergie, cela m’a vraiment donné la force d’aller de l’avant et je crois qu'aujourd’hui encore, dans Blue Giant, c’est cet élément là que l’on retrouve et qui vient de Bataashi Kingyo. C’est vraiment une œuvre que j’apprécie beaucoup dans la production de Minetaro Mochizuki et il y a quelque chose de très jazzy dans sa série.
Il est dit que vous avez commencé le dessin en vous achetant une méthode à 300 yens et que vous vous y êtes mis tout seul, est-ce vrai ?
Shinichi Ishizuka : Oui c’est vrai ! Comme nous l’avons évoqué, j’ai commencé à 28 ans en visant le prix des jeunes auteurs. Donc, un soir au retour du travail, je me suis arrêté dans une librairie. J’ai dit « excusez-moi » aux enfants devant le rayonnage jeunesse et j’ai prix un petit livre de quelques feuilles. C’était une méthode de base pour pratiquer le dessin et c’est bien comme ça que je m’y suis mis !
Shinichi Ishizuka : Oui c’est vrai, je pense qu’il y a un vrai parallèle avec Dai. Au départ, il n’y avait personne près de moi pour m’enseigner les façons de faire et Dai commence complètement par ses propres moyens également. De ce côté-là il y a quelque chose qui ressemble.
Comment vous est venu l’appel de la montagne et qu’est-ce qui vous a poussé à faire un manga sur ce sujet ?
Shinichi Ishizuka : Au départ, quand je suis allé dans la montagne, je n’avais pas grand-chose à faire (rires) ! En fait, à l’époque, quand je dessinais Vertical, on me demandait souvent ce qu’est l’alpinisme et, de mes différentes lectures, j’ai retenu que l’alpinisme c’est comme la vie. Maintenant, avec le recul, je me rends compte que c’est comme le processus d’une vie humaine que de grimper une montagne. Et la raison pour laquelle j’ai voulu en faire le thème d’un manga, c’est à l’époque où je pratiquais un peu l’alpinisme et la montagne au Japon : j’avais une image très japonaise de ce sport, c'est-à-dire des gens barbus, à fond, équipés comme des porte-avions, alors qu’aux Etats-Unis, on était dans une démarche ludique, tout le monde rigolait, on était entre copains. Et même dans les passages difficiles, on aurait tendance à croire que le visage et l’attitude changent, mais au contraire tout le monde s’entraidait et gardait le sourire, et c’est cette vision-là de la montagne, de cette manière de pratiquer la montagne, que j’avais envie d’exposer et de faire partager. Au Japon, l’alpinisme à une image un peu repoussante d’un sport vieillot et un peu fermé, alors qu’aux Etats-Unis c’était plus convivial, plus détendu, les gens avaient des lunettes de soleil sur le crâne, c’était « fashionable » ! Et c’est cette image là que j’avais envie de changer.
Shinichi Ishizuka : Je pense que le meilleur moyen de propager quelque chose, c’est de cibler la jeunesse et, à mon sens, ce qui attire la jeunesse c’est d’abord l’apparence, puisque c’est immédiat. Rendre alors esthétique ce qui est compliqué, c’est un moyen de toucher un public très large et qui aura lui-même la possibilité d’aller plus loin dans les choses. Donc commencer par l’extérieur, les apparences et les rendre vraiment attirantes c’est le meilleur moyen pour arriver à mon but.
Vous nous avez raconté votre passion de l’alpinisme et la musique, qu’en est-il du dessin ? Est-ce une passion ou juste le vecteur de transmission de vos passions ?
Shinichi Ishizuka : Le dessin c’est vraiment quelque chose sur lequel il faut que je fasse des efforts, et ça je le ressens et j’en suis totalement conscient. Je pense que mon personnage est très passionné et qu’il avance dans l’apprentissage de son instrument, j’ai l’impression finalement de progresser avec lui à chaque fois. Mais d’un autre côté, comme vous le soulignez, sans passion on ne va nulle part, donc il y a un peu des deux.
Shinichi Ishizuka : Pour la représentation, j’ai tenté de m’imaginer avec une caméra sur l’épaule, en suivant vraiment l’action, parce que j’ai le sentiment, même dans les moments où il s’agit de représenter la montagne, que si on s’éloigne de l’action, on commence à perdre de vue la globalité de l’histoire, donc j’essayais vraiment de garder en tête l’idée que j’étais un cameraman. Je pense qu’il n’y a pas tellement de différence entre un mangaka et un réalisateur, on utilise le même type de mécanismes.
Et quid de la représentation du son ?
Shinichi Ishizuka : Moi, comme tout le monde, je n’ai pas l’expérience d’avoir entendu du son sortir d’une feuille de papier, donc j’y vais vraiment avec mon cœur et j’essaye de faire de mon mieux. Je tente des choses différentes, il m’arrive de mettre des onomatopées, et quand je me rends compte que ça ne donne rien, je tente avec des lignes de vitesse ou des lignes d’action. Quand c’est n’est pas satisfaisant non plus, je passe avec un fond noir, mais j’hésite en permanence et je me challenge à chaque fois.
Shinichi Ishizuka : Entre Dai et Sanpo, il y a effectivement beaucoup de points communs du point de vue psychologique. En revanche, il ne faut pas perdre de vue que Sanpo est un adulte qui est déjà formé alors que Dai est quelqu’un que l’on prend en cours d’apprentissage, c’est le stade d’avant, l’adolescent qui est en train de se former. Tous les deux sont très différents de moi parce que qu’ils sont beaucoup plus passionnés et font les choses beaucoup plus sérieusement que moi. Quelque part, ils sont le modèle vers lequel j’aimerais tendre. Ce sont quasiment des icônes pour moi ces personnages.
D’un expert maître de son art qui aide les autres à un novice en quête de faire partager le jazz au monde en devenant le meilleur musicien dans son domaine, le ton de vos mangas transpire le positivisme, le bonheur d’une vie simple et remplie de passions. Au final, dans cette grande leçon de vie, peut-on vraiment être heureux sans avoir une vie dédiée à sa passion ?
Shinichi Ishizuka : C’est assez difficile, mais je pense que ce que je dessine au fond dans mes mangas, c’est la relation entre les gens, comment ils s’influencent, comment ils fonctionnent entre eux. Je crois que, même passionné, seul on ne peut pas avancer quoi qu’il arrive, et les relations que crée la passion, au fond, c’est ça qui façonne les gens. On peut se perdre dans sa passion aussi, ça peut-être à double tranchant. Alors est-ce que le bonheur est possible sans passion ? Parce qu’au fond, c’est ça la question. Je ne pourrai pas être catégorique mais je ne pourrai pas dire que le bonheur n’est pas possible si on n’est pas passionné. Mais il y a beaucoup de formes de bonheur, comme soutenir un passionné, ça peut être le moyen d’accéder à son propre bonheur car la vie est quelque chose de trop large pour la limiter à une seule passion ! Il y a beaucoup de façons différentes d’accéder à un bonheur, mais dans le cas précis de Dai, ce qui fait son bonheur c’est sa passion.
Merci !
Merci aux éditions Glénat, notamment à Charlotte Perenne, ainsi qu’à Sébastien Ludmann pour la traduction.
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BLUE GIANT © Shinichi Ishizuka / SHOGAKUKAN