Pour beaucoup de monde, WhiteOut est la série la plus connue de Steve Lieber, celle où il a collaboré avec le formidable (et débutant à l'époque) Greg Rucka. Ce polar en terres antarctiques a connu deux albums avant d'être transposé (maladroitement) en 2010 dans les salles obscures avec la sublime Kate Beckinsale dans le rôle principal. C'est à cette époque que nous avons eu la chance de rencontrer le sympathique dessinateur. A cause de problèmes techniques (crash de disque dur, bug du fichier vidéo), nous avons mis énormément de temps à vous offrir cette interview d'un artiste qui, pourtant, mériterait largement d'être plus connu. Sa notoriété devrait d'ailleurs faire un nouveau bond en avant avec sa prestation sur Hawkeye et sur une nouvelle série issue de Marvel Now qui s'annonce savoureuse et nommée The Superior Foes of Spider-Man. Un succès qu'on lui souhaite tant Steve Lieber est un artiste charmant, accessible et ultra-talentueux !
interview Comics
Steve Lieber
Bonjour Steve Lieber, peux-tu te présenter aux lecteurs ?
Steve Lieber : C'est une carrière assez considérable, j'ai fait un peu de tout dans les comics américains : j'ai fait des super-héros, des histoires de guerres, du western, du fantastique, de l'horreur, Conan, G.I. Joe, je suis surtout connu pour WhiteOut, un récit de Greg Rucka que j'ai illustré pour Oni Press aux USA et qui a été publié en France par Akileos. C'est un thriller se déroulant en Antarctique et dont on a fait un film, récemment. Film qui ne vaut pas vraiment la peine d'être vu, d'ailleurs. Mais je suis très fier du livre. Aujourd'hui, mon projet en cours aux États-Unis s'intitule Underground. C'est un comics parlant de spéléologues. Deux rangers, spéléologues, rencontrent des problèmes en explorant des souterrains.
Tu as aussi participé au crossover Civil War ?
Steve Lieber : Ah, oui, j'avais oublié Civil War. Je fais tellement de choses que j'en perds le fil. J'ai illustré la section autour de Speedball, comment il est devenu Penance. C'était pour Marvel Comics. C'était le premier projet d'envergure pour Marvel depuis un moment. J'avais déjà travaillé avec eux longtemps avant mais ils avaient oublié mon existence et moi la leur. Puis ils m'ont retrouvé et ça a été très marrant. On retravaillera ensemble très certainement dans l'avenir.
Quelles sont tes influences ?
Steve Lieber : Ma plus grande influence vient de celui qui a été mon professeur, Joe Kubert. J'ai étudié à son école, c'est un grand artiste et un grand raconteur d'histoires. Pendant longtemps j'ai du m'appliquer à ne pas simplement le copier. Je le regardais alors qu'il corrigeait mes illustrations, il appliquait un calque sur mon dessin et me montrait comment le corriger. Je voyais alors mon idée prendre forme avec son dessin et ça, ça s'est imprimé dans mon cerveau. Depuis, j'ai étudié beaucoup d'autres artistes : Alex Toth, Alberto Breccia, un artiste français : Paul Jérôme qui m'a beaucoup influencé. Al Williamson, aux US... Des peintres, aussi. Beaucoup de peintres français du 19e: Degas, Lautrec... Mais à la fin, ce qui t'influence le plus, c'est une deadline. Quand on doit finir le travail dans les temps, c'est là qu'on découvre son propre style.
Comment as-tu rencontré Greg Rucka pour WhiteOut ?
Steve Lieber : Notre éditeur, Bob Shreck, nous a fait nous rencontrer. Il a amené Greg à ma table durant une convention, sans me dire qu'il était un scénariste travaillant avec lui. Il a juste placé Greg là, afin qu'il m'observe. Greg a aimé ce que je faisais et a dit à Bob qu'il aimerait travailler avec moi. Bob m'a ensuite donné un des livres de Greg, un de ses romans. C'était son premier, Keeper, je l'ai lu et (mime une explosion mentale). C'était génial et j'ai su que je voulais travailler avec lui.
Comment s'est passée votre collaboration ?
Steve Lieber : C'était le tout premier comic-book de Greg, il m'a donc laissé beaucoup de liberté sur le visuel. Il était très clair sur les requis par rapport au récit mais j'étais très libre sur le character design et leur positionnement. J'allais manger avec lui au restaurant et j'étalais une grande feuille sur la table et j'esquissais les personnages. Il me donnait ses retours et à la fin du repas, les personnages était définis.
Est-ce que tu t'es documenté sur l'Antarctique pour WhiteOut ?
Steve Lieber : J'ai beaucoup lu et fais beaucoup de recherches sur l’Antarctique. Je voulais savoir comment c'était là-bas, J'ai lu des carnets de bords, des journaux, des interviews. J'ai découvert que l'Antarctique est l'endroit le plus froid, le plus venteux et le plus sec de la planète. C'est un vaste désert. J'ai essayé de garder ça à l'esprit et je me suis acharné à reproduire ces aspects. ça a pris beaucoup de temps et j'ai détruit le tapis de mon studio en faisant ça mais j'ai réussi à rendre l'effet souhaité, à la fin.
Quel personnage de BD ou de comics rêverais-tu d'illustrer ?
Steve Lieber : Tous mes personnages préférés dans les comics sont tellement liés à leurs créateurs que je ne saurais... Mon artiste préféré est Jaime Hernandez de Love & Rockets et je ne peux pas imaginer quelqu'un d'autre illustrant ces personnages. Si je devais illustrer les personnages d'un autre auteur, ce seraient des personnages issus de séries télé. J'adorerai illustrer Deadwood, The Wire,... Je ferais un très bon comics sur le personnage d'Omar, j'irai jusqu'à aller à Baltimore pour ça, s'il le fallait. Mais dans les comics, tous les personnages que j'aime appartiennent à leur créateur.
Peux-tu nous parler d'Underground ?
Steve Lieber : Underground parle de deux park rangers dans le Kentucky. Il y a là un superbe réseau de caves souterraines inexplorées que la localité voudrait convertir en attraction touristique. Les rangers ne le souhaitent pas, de peur d'endommager le site. Mais la ville a vraiment besoin de cette ressource financière alors certains habitants prennent la situation en main et décident d'ouvrir en grand l'accès à ces souterrains ce qui fait déboucher ce simple différent sur un conflit des plus violents. L'essentiel du récit se centre alors sur cette poursuite des park rangers par les villageois. Il n'y a pas à proprement parler de méchants ou de gentils, c'est un conflit d'intérêt rendu vicieux par la dangerosité de l'environnement. Je me suis intéressé au sujet des caves souterraines après avoir lu des articles sur les différentes façons dont meurent des spéléologues, chaque année. Ils meurent dans des conditions atroces: enterrés vivants, brûlés vif par des explosions de guanos de chauve-souris, ils se noient dans très peu d'eau car ils sont bloqués horizontalement, ils se coincent entre des rochers et leurs amis doivent leur briser la clavicule pour les en sortir... C'est un environnement horriblement dangereux jusque là inexploité dans les comics. Il y a beaucoup de récits qui ont lieu dans un souterrain mais ça parle généralement de dinosaures ou de cités perdues, or il y a bien assez de dangers rien qu'avec les rochers, les chauve-souris, l'eau et le froid et je voulais voir si j'étais capable de retranscrire ça sur le papier. J'ai essayé de l'écrire moi-même mais je n'y arrivais pas. Je ne visualisais pas les personnages. Mon collaborateur, Jeff Parker, a grandi à 45 minutes du Kentucky et il connaissait donc bien mieux que moi la population locale, même après mes recherches. Une fois qu'il m'a rejoint, l'histoire a pris forme et nous étions vraiment très excités. Le succès financier n'était pas notre objectif, nous voulions seulement faire ce comics.
As-tu eu des lectures marquantes dernièrement (NDR : en 2010 !) ?
Steve Lieber : Euh, Love & Rockets, Acme Novelty Library de Chris Ware, j'aime beaucoup Fear Agent de Rick Remender et Tony Moore. Je suis un grand fan des comics Marvel de Jeff Parker comme Agents of Atlas, Fall of the Hulk ou X-Men First class. Quand je lis ces comics, j'oublie que c'est un de mes amis qui les a faits et je veux juste en voir la suite. Je suis un grand admirateur de ce que fait Jim Woodring, le dessinateur du rêve américain. Les dessinateurs de Fudge, Tardi. J'aime Epileptic, de David B, plein de choses. Je ne me limite pas à un type de comics, je cherche quelqu'un ayant une certaine vision du monde.
Si je t'offrais un pouvoir cosmique capable de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie, qui irais-tu visiter ?
Steve Lieber : Jim Woodring, oui. La psychologie de son travail me fascine. Je n'arrive pas à comprendre comment il arrive à écrire des histoires qui pourraient se contenter d'être aléatoires et drôles mais arrivent quand même à toucher à une vérité absolue. Je ne sais pas comment il fait ça. Je pense qu'il est un des plus brillants auteurs de comics aujourd'hui et je ne sais pas comment il fait ça.
Si je t'offrais une gomme magique capable de changer un détail ou une partie d'un album déjà créé. Sur quoi souhaiterais-tu l'utiliser ?
Steve Lieber : Une des choses les plus difficiles pour moi, avec le retour sur le devant de la scène de WhiteOut, en raison du film, est de re-parcourir des planches vieilles de dix ans. C'est comme de revoir les photos que tes parents ont prises de toi alors que tu es nu dans la baignoire à l'âge de trois ans. C'est juste embarrassant. C'est vraiment comme une enfance, ça parait être il y a une éternité. Quand ils ont re-publié les livres, aux US, j'avais effectivement une gomme magique. Ils ont re-masterisé les planches et j'ai pu corriger des détails comme un œil par ci par là... A un endroit j'avais dessiné 6 doigts à la main d'un personnage... J'avais commis tellement d'erreurs en dessinant à toute vitesse à trois heures du matin ! WhiteOut est rempli de petites erreurs de ce genre que je suis heureux de pouvoir corriger aujourd'hui.
As-tu vu le film WhiteOut et qu'en as-tu pensé ?
Steve Lieber : Oui, j'ai vu le film et j'ai dit à mes amis d'attendre qu'il sorte en DVD puis de louer autre chose (rires). Ce n'est pas le film que j'aurais fait, pour dire les choses de manière diplomatique. Désolé de vous décevoir, achetez le comics !
Merci Steve !
Remerciements spéciaux à Alain Delaplace pour la traduction et à Jean-Philippe Diservi pour la relecture, à Emmanuel Bouteille et Richard Saint-Martin d'Akileos pour l'organisation de cette rencontre.