Véritable coup de massue, la lecture de Polar de Victor Santos nous avait confirmé le talent de l'artiste espagnol et sa grande maîtrise des atmosphères. Après une première interview où nous sommes revenus sur son parcours, l'occasion de parler de quelques points précis avec lui ne pouvait pas nous échapper...
interview Comics
Victor Santos
La traduction de cette interview a été réalisée par Jean-Philippe Diservi.
Quels sont les retours sur Polar ?
Victor Santos : L'accueil de Polar a été très très bon. D'une certaine façon, c'est un hommage au cinéma français, celui de Jean Pierre Melville. Par conséquent, le fait que Polar soit publié en France était quelque chose de très important pour moi. Quand les propositions de publications en Espagne, Italie et Allemagne se sont présentées, j'espérais aussi qu'il y en ait une pour le public français. Parce que c'était un peu comme un juste retour des choses. J'ai ainsi pu rencontrer des lecteurs qui connaissent l’œuvre de Jean Pierre Melville et qui possèdent donc cette sensibilité. Pour moi, c'est très satisfaisant car le public espagnol, et j'imagine le public américain, que je n'ai pas rencontré physiquement, rattachent Polar au genre Noir, celui de Frank Miller. C'est du aux références visuelles, qui renvoient à Frank Miller, mais aussi à Steranko. Pour autant, le rythme que je voilais imprimer à l'histoire, le calme et la violence qui s'alternent, viennent directement de Jean Pierre Melville. Alors je ne sas pas comment vraiment le dire, mais cela m'a vraiment fait plaisir de voir que cette hommage était perçu. J'ai été très touché. C'est un peu comme si tu étais vraiment fan de quelque chose que ton entourage ne connaîtrait pas, et que d'un coup, tu arrives dans une maison où tout les habitants captent : "Ah, ça c'est le Cercle Rouge, ça c'est le Samouraï ! "... C'est quelque chose qui m'a vraiment comblé..
Ton travail graphique est plus poussé que d'habitude sur Polar...
Victor Santos : Je venais d'enchaîner beaucoup de chapitres pour des comics issus de franchises : Godzilla et Mice Templar. Je travaillais de front pour toutes les deux et même si j'adorais les dessiner, le rythme était harassant : un épisode par mois. A cette époque, je produisais entre 40 et 50 planches par mois. Je me souviens de cet été surchargé et sans vacances, de cette fatigue installée. Et c'est à ce moment là que j'ai ressenti la peur de me lasser, de perdre le plaisir de dessiner. Je suis allé au bout de mes contrats et je me suis retrouvé sans obligation professionnelle. Plus rien à faire ! Alors c'est là que j'ai voulu faire quelque chose pour moi. Et rien que pour moi. Il n'était pas question de replonger dans la frénésie du dessin. Au contraire, je voulais pouvoir dessiner tranquillement. Je voulais m'appuyer sur une histoire qui transmette aussi cette forme de lenteur ou de sérénité, comme dans le cinéma de Melville ou même le film Drive, qui est aussi en connexion avec le polar. Je voulais pouvoir exprimer ça mais aussi l'éprouver pour moi-même. Une vie paisible, où je me laissais le temps de concevoir doucement les choses. Il ne s'agissait pas forcément de pouvoir dessiner lentement, mais plutôt de se donner le temps nécessaire à bien penser les choses, bien les imaginer avant de les mettre en images. Parce que lorsque je travaillais pour le marché américain, je recevais le scénario, il s'agissait alors de vite le lire, d'enchaîner en faisant la planche, de l'envoyer pour validation et pour d'en faire une autre et puis une autre et encore une autre. C'était comme travailler dans une usine de fabrication de saucisses ! En fait, j'ai voulu faire quelque chose d'authentique, qui m'amènerait de la tranquillité au lieu de générer du stress. Et on en revient au rythme de ces films que j'ai cités....
Tu retrouverais du plaisir en retournant sur des comics tirées de franchises ?
Victor Santos : Oui bien sûr. Ce qui est très positif avec ce genre de projets, c'est qu'ils sont souvent très dynamiques, un peu comme dans une École de dessin, tu peux tester pas mal de choses, comme changer de style par exemple. Je pense à certains auteurs, qui ont leur style et qui dessinent toutes leurs histoires de la même façon. Moi j'aime bien tester plein de choses différentes et ce genre de projets permet de grandes variations pour chacun d'entre eux. Il ne s'agit pas non plus de changer radicalement. Je veux dire qu'un jour, je ne suis pas Bruce Tim ou Darwyn Cooke et le lendemain Neal Adams ou Bill Sienkewicz, mais j'aime quand même changer certaines choses. Par exemple pour Godzilla, j'utilisais beaucoup d'ombres et un style très propre, car le 1er dessinateur, Phil Hester, avait un style très anguleux avec des traits très nets et je voulais faire quelque chose très similaire. Par exemple pour Evil Empire, je ne voulais pas faire la même chose quand je suis arrivé sur la série et j'ai adopté un style très différent, avec un encrage plus «sale», en utilisant des techniques différentes, inspirées des lithographies ou du pointillisme... L'utilisation de ces différentes techniques me permet ensuite de les appliquer à mes projets personnels. Je prend les choses comme si l'éditeur me payait des cours de dessins, c'est plus ludique pour moi ! En fait, comme je ne suis pas l'auteur de l'histoire, j'en profite pour concentrer mes efforts sur le dessin, pour aussi améliorer ma narration graphique, mon story-telling. J'y prends donc beaucoup de plaisir mais ça m'épuise en même temps parce qu'une deadline porte bien son nom : c'est mortel comme elles sont rapprochées les unes des autres ! En fait, tu disposes d'une marge de manœuvre vraiment très étroite et les éditeurs essaient sans cesse de les restreindre encore plus. Pour le premier numéro d'une série on te dit « Non, soit tranquille, tu as 5 ou 6 semaines pour le faire ». Puis arrive le second : « Bon, là c'est 4 ou 5 semaines ». Et au fur et à mesure que tu progresses, on vient déjà te parler d'une suite qu'il va falloir faire encore plus vite. Et toi, tu as l'impression qu'on tire de plus en plus fort sur la corde, jusqu'à une extrême tension que tu finis par ressentir. Bosser longtemps sur ce genre de projets fini par te cramer. Et là, c'est le burn-out qui est tout proche. Mais sinon, oui, j'ai du plaisir (rires). .
Préfères-tu travailler en indépendant ou sur un gros titre ?
Victor Santos : Un peu des deux ! Je ne suis pas dessinateur en contrat avec Marvel ou DC, qui sont des éditeurs qui payent bien mais qui ont aussi beaucoup d’exigences en retour de l'argent proposé. Le rendu qu'ils attendent est très différent du mien. J'ai travaillé avec des éditeurs «à taille plus moyenne». Ceux qui font que je paye mes factures au quotidien sont IDW, Dark Horse, qui avait approuvé mes travaux. Ces éditeurs ont certes moins d'argent mais ils te laissent un plus libre dans ton travail. Ce qui compte, c'est d'aller vite alors pour que cela soit possible, il te laissent de la liberté. C'est une bonne chose. Je crois que je correspond à ce genre de boîte. Mon style, ce n'est pas vraiment Brian Hitch, je veux dire le style classique super héroïque qui est exigé. Mais j'ai aussi de la chance car je peux quand même travailler grâce à ces éditeurs. Alors oui, j'éprouve une certaine anxiété de travailler et une forme de nervosité liée à une quantité importante de travail . Je le fais pour pouvoir payer mes factures, mais aussi pour pouvoir me permettre d'économiser. J'aime fonctionner comme ça, parce que ça me permet aussi de vivre quand je n'ai plus de contrat. Ça me permet aussi de mettre ce temps à profit pour mes projets personnels, pour préparer Polar..
J'ai vu que tu avais aussi travaillé sur l'adaptation comics des Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin...
Victor Santos : Je viens juste de le terminer, c'est la fin de la série. C'est une franchise de Boom ! Pour ce cas, ce fut vraiment un travail plaisant. Déjà, j'avais bien aimé le film. Par exemple, quand on m'a proposé de travailler sur une adaptation de la série TV Sleepy Hollow, je ne l'avais pas vue. Après visionnage, j'ai bien aimé et elle traite des thèmes comme la magie ou la mythologies, qui correspondent bien avec ce que j'aime dessiner. Ce n'est donc qu'un peu tard que je l'ai aimé. Big Trouble in China c'est un film que j'avais vu alors que je n'étais qu'un enfant et je me suis bien éclaté sur ce job, assez exigeant d'ailleurs, en terme de délais, avec une superviseuse qui vient du milieu du cinéma. Et là tu sais que ça va être un peu plus compliqué pour toi, car ça ajoute encore une personne parmi celle qui vont regarder à la loupe ce que tu fais... Mais ce fut une très bonne expérience. Après, Fred Van Lente est un scénariste qui me plaît beaucoup. On a de nombreux amis en commun : il a travaillé sur Archer et Amstrong, avec un de mes amis, un auteur espagnol, Pere Perez, qui me disait tout le temps «Ce serait top si tu bossais avec Fred Van Lente, c'est un type génial». Et c'est ce qui s'est avéré, on a eu beaucoup de plaisir à travailler ensemble. En plus, je cherchais à ce moment là une histoire pour laquelle je pouvais amener un style plus léger, plus cartoony. Tu vois, pouvoir faire un Jack Burton et ses bouffonneries. Comme des auteurs précédents dans la série avaient adopté ce style, proche de l'animé, cela me permettait de jouer la carte du divertissement. J'ai eu la chance que la superviseuse ne me retoque pas !.
Merci Victor.