C'est en 2009 que Zivorad Radivojevic a fait ses ses premiers pas dans une bande dessinée franco-belge avec One. Depuis lors, l'artiste serbe étonne avec un style parfaitement adapté à l'exercice, qui ne cesse de s'affiner au fil des albums. Après deux séries en collaboration avec Sylvain Cordurié, le dessinateur a été embarqué par Jean-Luc Istin dans l'aventure Alice Matheson, une série aux atmosphères angoissantes. Alors que le troisième tome (son second à lui) arrive chez les libraires, nous avons sollicité Zivorad pour qu'il nous parle de lui et de son métier...
interview Bande dessinée
Zivorad Radivojevic
La traduction a été réalisée par Alain Delaplace.
Bonjour Zivorad, peux-tu te présenter et nous dire comment tu es arrivé dans les comics ?
Zivorad Radivojevic : Ça remonte à 1980, 81. La maison d'édition de Nori Sad, Forum Marketprint, organisait un concours visant à sélectionner des dessinateurs yougoslaves pour travailler sur un épisode de Tarzan. C'est Bojan Kovacevic, un des mes bons amis et aussi un très grand dessinateur (Rubine, Arcanes, Arctica...) qui m'a amené à y participer. Je n'avais que 16 ans mais j'ai remporté la troisième place du concours, ce qui m'a grandement motivé à poursuivre dans cette voie. J'ai alors commencé à illustrer Tarzan avec l'aide et les conseils de Bojan. Plus tard, j'ai illustré le comics Apache pour une revue comics basée à Sarajevo. J'ai d'ailleurs eu la grande joie d'obtenir un prix pour ce comics. Enfin, j'ai continué à travailler en illustrant plusieurs titres et séries, en réalisant de nombreuses couvertures... C'était une belle époque pour les dessinateurs.
Quelles ont été tes influences ?
Zivorad Radivojevic : En premier lieu, Alex Raymond et Harold Foster. Après eux, je dirais, chronologiquement : Frank Frazetta, John Buscema, Jean Giraud, Hermann, Paolo Eleuteri Serpieri, Antonio Hernández Palacios, Youri Jigounov, Olivier Vatine, Rudy Nebres, Bojan Kovacevic, et plein d'autres ! Ce sont tous de très grands artistes, aux styles très différents mais qui ont eu une grande influence sur mon travail. Mais celui qui a eu la plus grande influence sur mon travail, au dessin tout comme en peinture, ça a été mon père, Slobodan Radivojevic-Sremac. Un très grand artiste. Qu'il repose en paix.
Enfant, étais-tu un grand fan de comics et, si oui, quels sont les titres cultes pour toi ?
Zivorad Radivojevic : En Serbie, il y avait des comics très populaires qui venaient d'Italie, de France ou des Etats-Unis. J'aimais beaucoup Prince Valiant, Asterix, Umpah pah, Flash Gordon, Tarzan, Conan, Blueberry, Tex Willer, Zagor te-ney, Alan Ford, Superman, Spiderman, Batman et beaucoup d'autres encore.
Comment est perçu le métier de dessinateur de comics, en Serbie ?
Zivorad Radivojevic : Suite à la disparition de l'ancienne Yougoslavie et de l'inflation qui en a suivi, le marché s'est effondré et de nombreuses maisons d'édition ont mis la clé sous la porte. Tout ça pour le plus grand malheur des fans, des auteurs et des illustrateurs. C'était dramatique. Aujourd'hui, en Serbie, il est très dur de gagner sa vie grâce aux comics. A l'époque, il m'a fallu me tourner vers d'autres formes d'art comme la peinture ou la musique. Après un break de près de 20 ans, je suis revenu aux comics grâce notamment à Bojan Kovacevic et à Csaba Kopeczky. J'ai réalisé une planche d'essai pour One et, à la suite de ça, j'ai entamé ma collaboration avec Sylvain Cordurié.
En France, nous t'avons découvert sur la série ONE avec Sylvain Cordurié au scénario. Avais-tu déjà réalisé quelques albums auparavant ?
Zivorad Radivojevic : Non, c'était mon tout premier album en français. Ce fut un grand plaisir pour moi.
Quel regard portes-tu sur ONE et cette première expérience dans la bande dessinée franco-belge ?
Zivorad Radivojevic : One a été une super expérience, pour moi. Après une pause aussi longue que la mienne, la façon de réaliser les comics avait changé, les standards de l'industrie étaient différents. Les cases étaient dorénavant en format 16:9 au lieu de 4:3, par exemple, ce qui changeait l'aspect de toute la planche. Il m'a fallu m'adapter et cela a requis de planifier chaque planche longtemps à l'avance. Bojan et Sylvain m'ont été d'une grande aide pour parvenir à me remettre en selle. J'avais l'impression de débarquer de la planète Mars (même si je ne suis pas dans le film [NDT : Zivorad fait sans doute référence au film The Martian avec Matt Damon]. L'assistance de Bojan m'a permis de parvenir à de bons résultats et Sylvain, de son côté, m'expliquait à chaque fois ce qu'il attendait exactement. Il a été très patient et je les remercie encore une fois, tous les deux pour leur aide.
Tu as ensuite continué à travailler avec Sylvain Cordurié sur le diptyque Cyber. Sur cette série, tu changes d'univers. A-t-il été simple pour toi de t'acclimater aux exigences de l'histoire ?
Zivorad Radivojevic : Le genre cyberpunk m'intéressait beaucoup et j'ai donc accepté avec plaisir. Tout particulièrement, aussi, du fait que j'avais déjà travaillé avec l'auteur et que ça s'était très bien passé. Sylvain m'a donné une bonne idée de ce qu'il souhaitait pour les costumes des cyborgs : quelque chose de complexe et de sophistiqué. Cela requérait une certaine vision et aussi une grande attention à porter au design. Il a ensuite fallu s'attaquer aux armes, à l'atmosphère de la cité futuriste, aux hélicoptères et autres engins... Mais c'était rafraîchissant, pour moi, car c'était la première fois que je m'attaquais au genre. Ça n'a pas été simple mais ça a été formateur sur le plan créatif.
A présent, nous te voyons à l'œuvre sur Alice Matheson. Comment es-tu arrivé sur ce projet ?
Zivorad Radivojevic : Sur les recommandations de Sylvain. Jean-Luc [NDT: Istin, l'auteur] recherchait un designer autre que Philippe, sur le projet. Et il m'a sélectionné pour travailler sur les tomes deux et trois. Merci à tous les deux !
Le premier album a été illustré par Philippe Vandaele. Le second et le troisième sont assurés par toi. Vous êtes-vous concerté pour le design des personnages et des décors ?
Zivorad Radivojevic : Bien entendu. Il a fait un super boulot et m'a donné de très bonnes références concernant les personnages et le style général des illustrations. On s'est souvent concertés au sujet de scènes qui étaient reprises du premier tome. Il visualise très bien les choses et anticipe chaque case avec brio. J'ai aimé travailler sur ces deux tomes d'Alice Matheson. Ça m'a grandement aidé à trouver mes marques, à développer un style plus détendu et à équilibrer les noirs et blancs. En résumé, une très bonne expérience.
Alice Matheson est une série dont la parution s'effectue à un rythme assez élevé. Comment as-tu prévu de garder le rythme ?
Zivorad Radivojevic : Jean-Luc avait pensé à tout. On a simplement commencé à travailler très en avance sur chaque épisode, ce qui nous laissait le temps de plancher sur le suivant. Sans ça et avec mon approche très détaillée du storyboarding et du travail en général, je n'aurais pas pu tenir le rythme plus de 3 ou 4 mois.
Comment se passe la relation avec Jean-Luc Istin ? Est-il très différent dans sa manière de travailler comparativement à Sylvain Cordurié ?
Zivorad Radivojevic : J'ai d'excellentes relations avec Jean-Luc et je pense que tous les deux sont de grands artistes, chacun à sa manière. Je les ai rencontrés tous les deux et ce sont des gens biens, très professionnels. Leurs méthodes sont très similaires et ils arrivent à fournir à l'illustrateur une description très claire de ce qu'ils souhaitent. Tous les deux m'ont aussi laissé un espace pour exprimer mes propres idées.
Trouves-tu le temps de travailler sur d'autres projets ?
Zivorad Radivojevic : Les choses telles qu'elles sont actuellement ne me laissent guère de temps pour d'autres projets. Comme je l'ai mentionné auparavant, j'ai une approche méticuleuse en ce qui concerne les recherches et les esquisses et je suis aussi très prècis au niveau de mon encrage et de ma mise en page. En pratique : non, je n'ai pas le temps de travailler à autre chose.
Souhaiterais-tu écrire tes propres histoires à l'avenir ? Si oui, dans quel genre ?
Zivorad Radivojevic :J'adore la science-fiction, l'histoire et la fantasy, la mythologie. Il y a quelques temps, j'avais commencé à travailler sur une histoire parlant des pionniers du far-west. Quelque chose s'approchant du Betty Zane de Zane Grey. Le comics s'intitulerait Kodiak (comme l'ours). Dès que j'aurai plus de temps, je commencerai à y travailler.
Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter et pourquoi faire ?
Zivorad Radivojevic : Je pense que je choisirais Steven Spielberg. C'est un très grand artiste. Enfant, j'adorais les dinosaures et peut-être qu'un jour je dessinerai un comics sur le sujet. Qui sait ? Je crois que je suis un grand enfant !
Merci beaucoup Zivorad !