L'histoire :
Dans un village de Chine, Arong, une fillette de 10 ans, vient de se faire bander les pieds. La douleur est si intense qu’elle doit attendre plusieurs jours que cela passe avant de pouvoir se tenir debout. La petite Chunxiu s’inquiète pour Arong qui lui conseille de profiter de son jeune âge pour se faire bander les pieds à son tour, tant qu’elle n’est pas aussi « vieille » qu’elle pour le faire. Seulement, Chunxiu n’a pas du tout envie de le faire, la demoiselle préférant s’amuser avec les autres enfants du village. La mère d’Arong, qui s’occupe de bander les pieds des petites filles contre rémunération, a confectionné des petits souliers pour Chunxiu car la mère de cette dernière est venue lui demander conseil. Seulement, en apprenant la méthode pour le bander les pieds, la mère de Chunxiu ne se sent pas capable d’ignorer la douleur de sa progéniture et confie le labeur à la mère d’Arong...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Auteur d’Une vie chinoise, Li Kunwu revient ici avec un one-shot engagé traitant d’une ancienne tradition chinoise qui consistait à bander les pieds des petites filles pour les empêcher de grandir, les petits pieds étant très recherchés et appréciés dans les milieux aisés. Pour nous retranscrire ce qu’ont vécu les femmes victimes de cela, le récit nous invite à suivre l’histoire de Chunxiu, une fillette dont la vie bascule lorsque sa mère, désirant pour sa fille un avenir confortable, décide de lui faire bander les pieds contre son gré. Au-delà du procédé particulièrement inhumain dans sa mise en œuvre (il s’agit tout de même d’une forme de mutilation et de torture), cela est déterminant et définitif dans la vie de celle qui a les pieds bandés : elle sera très courtisée et pourra se permettre de choisir un mari, mais ne pourra plus jamais marcher comme avant ni retrouver une vie ordinaire. Quant à l’abolition de cette tradition au 20ème siècle, cela va être un vrai drame pour les femmes comme Chunxiu qui ont sacrifié leur corps. La dimension humaine est bien évidemment le cœur du récit car on s’attache à Chunxiu, et ses sentiments ainsi que tout ce qu’elle va subir nous sont parfaitement communiqués, certains passages étant de fait très éprouvants et saisissants. Le réalisme de la situation renforce l’immersion du lecteur, l’aspect biographique ajoutant toujours un plus dans un titre, et on ne peut que trouver le rendu tout à fait captivant. En fait, il s’agit ici d’un devoir de mémoire car, comme le rappelle l’auteur en fin de volume, la population oublie petit à petit les pieds bandés et les terribles épreuves endurées par les femmes concernées, cette coutume étant de plus méconnue dans les autres pays. Pour ce qui est des graphismes, ceux-ci sont réalisés à l’encre de Chine. Le travail est de relative bonne facture : les décors (tant les paysages que les meubles ou bien encore les objets et tenues d’apparat) font l’attention d’un soin particulier, les personnages sont expressifs et se veulent réalistes, certains cadrages sont intéressants... Cependant, le style de l’auteur, bien qu’expressif, est particulier et on notera des défauts concernant les proportions et les perspectives. Au final, ce titre, bien que traitant d’un sujet dur, est une petite pépite à découvrir.