L'histoire :
A Paris, en 1982, Marguerite Duras, une femme déjà vieille, physique avachi par l’alcool, visage triste sur son col roulé, est arrêté par un homme mûr. Il lui dit qu’il a lu tous ses livres. Il lui dit surtout que tout le monde la trouvait belle, mais que lui trouve son visage plus beau aujourd’hui. Et il disparait. Rentrant chez elle, Duras songe à ce qui l’a fait vieillir, sa vie bien remplie bien sûr, les mariages, les divorces, l’alcool… Elle se rend compte qu’elle a beaucoup écrit sur elle, mais qu’elle n’est jamais allée au bout des choses. Elle se replonge dans ses 15 ans, traversant le Mékong pour aller dans une pension d’Etat à Saïgon. Elle est pauvre. Sa mère a fait une acquisition hasardeuse, roulée par des administratifs avec un terrain inondable au Cambodge. Après avoir traversé le fleuve brillant, la jeune fille croise le regard d’une jeune chinois, plus vieux qu’elle, dans une voiture de luxe, portant des habits européens. Alors qu’elle pense à tout l’argent qui entoure cet homme, il l’aborde contre toute attente et propose de l’accompagner à la pension. Dans la voiture, il lui prend la main…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Kan Takahama est désormais une mangaka installée, reconnue. Est-ce la raison pour laquelle elle a acceptée de s’attaquer à un monument ? On sait la difficulté de l’adaptation en BD de chefs-d’œuvre de la littérature. Probablement plus risqué que les adaptations cinématographiques, car la relation au texte est encore très présente. Pourtant, Takahama livre une adaptation très réussie, où le texte est finalement assez peu présent et vient surtout appuyer les questions existentielles de la jeune femme. Dans un prologue intéressant, elle explique son émoi d’adolescente à la lecture du roman, l’importance de Duras pour elle. « A dix-huit ans, j’ai vieilli » dit Duras. Et la mangaka de se demander à quel âge elle a vieilli, elle… C’est donc une œuvre très personnelle que la japonaise livre, et c’est probablement ce qui importe dans une adaptation. La capacité de l’auteur à s’approprier une matière parfaite, par conséquent dangereuse. La finesse du trait, la douceur des couleurs délicatement jaunies donnent une sensualité et une mélancolie proprement magiques à des pages souvent magnifiques. Les personnages ne sont pas beaux, ni laids, comme le souhaitait Takahama. Elle imagine que Duras aurait préféré qu’elle les dessine tout simplement banals, à la différence du choix de Jean-Jacques Annaud pour l’adaptation cinématographique avec deux acteurs magnifiques, la troublante Jane March et le parfait Tony Leung Ka-Fai. Ses personnages sont donc normaux, mais le désir qui les lie les transcende. Les paysages et les décors sont magnifiques et Takahama livre 160 pages d’une grande délicatesse, graphique mais aussi littéraire. La traduction de Corinne Quentin est efficace et garde une vraie poésie à l’ensemble. C’est une déclaration d’amour d’une femme à une œuvre qui a marqué, et marquera d’autres générations de jeunes femmes dans le monde.