L'histoire :
Septembre 1934. Wang Ziyang est potier dans la Mandchourie occupée par l’envahisseur japonais. Un jour, des militaires rassemblent tous les hommes valides du village et exigent que 15 d’entre eux les suivent jusqu’à leur camp pour devenir des travailleurs à leur service. Une fois là-bas et après une journée de travail, les 15 hommes ont le droit de se reposer dans une cellule commune et, le lendemain, se retrouvent à nettoyer un champ de tir avant de revêtir de nouveaux habits : des tenues numérotées. Désormais, ils seront appelés avec ces numéros... La rencontre avec d’autres « travailleurs » chinois du camp confirme ce qu’ils avaient déjà compris : ils sont prisonniers. Pire encore, ils sont désormais considérés comme des cobayes, des maruta. Au cours des nombreux jours qui vont suivre, toutes sortes d’expériences vont être faites sur eux : résistance aux gaz, au froid, à l’électricité, prélèvements sanguins à répétition, amputation, entraînements aux opérations chirurgicales... Jusqu’au jour où l’un d’eux va lancer une évasion. Pour Wang Ziyang, le maruta 454, la traque commence...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Réalisé en grande partie sur le témoignage de Wang Ziyang, le maruta 454 qui a réussi à s’échapper d’un camp d’expérimentations de l’armée japonaise en Mandchourie, ce manhua est d’autant plus important qu’il aborde un sujet peu connu du grand public et peu adapté à son attention, et ce quel que soit le média (à peine quelques films et documentaires). Tout comme les nazis, les japonais ont profité de leurs conflits pour mener des expérimentations sur des être humains, et ce dans plusieurs buts, notamment développer leurs connaissances sur les armes chimiques ou bien encore lancer des épidémies dans les territoires occupés. Avec un scénario qui nous plonge d’emblée dans la peau - et le stress – d’un prisonnier évadé et chassé (celui-là même qui a révélé ces horreurs au monde entier), Paul-Yanic Laquerre réussit à nous accrocher dès la première page avant d’amener un flash-back qui nous explique comment Wang Ziyang est devenu un numéro. Puis, il revient sur son évasion, la traque, et sur l’entrée du jeune homme dans la résistance. L’histoire est assez bien menée, parfois un peu trop verbeuse mais remplit à merveille son rôle : témoigner. Au niveau des dialogues, on regrettera un peu le choix des nombreux mots et expressions en chinois (voire en japonais) dans le texte associés à un lexique en fin de volume, nous obligeant ainsi à couper la lecture pour chercher la traduction, ce qui est d’autant plus dommage que ledit lexique est accolé à la dernière planche de l’album, révélant en passant la fin de l’histoire au lecteur ! De simples astérisques avec les explications sur chacune des pages concernées auraient évité cela. Le rythme, déjà un peu lent, et parfois l’ambiance même, sont donc systématiquement cassés toutes les 3 pages, empêchant ainsi l’immersion totale dans le récit. Si le scénario, intéressant et historique, rend malgré tout cette œuvre indispensable, les graphismes nous font émettre quant à eux une légère réserve. Certes, le trait imagé du dessinateur Pastor, qui appartient au studio chinois de Song Yang, est stylisé et particulier, se concentrant particulièrement sur les personnages et leurs sentiments, travaillant sur le ressenti du lecteur plus que sur un réalisme précis. Aucun risque en cela de le trouver conventionnel. Les graphismes jouent beaucoup sur les ombres, présentent des lignes et des remplissages jetés sur le « papier » (probablement numérique) sans s’encombrer de retouches pour un rendu final très « premier jet », « authentique », qui donne un aspect « vrai » qui colle bien à ce récit issu d’un témoignage... Mais la lisibilité en pâtit souvent, d’autant que la colorisation est assez sombre et peu nuancée, et que de nombreuses scènes se déroulent dans la pénombre. Il est fort probable que ce genre de couleurs rendrait mieux sur un écran lumineux (c'est-à-dire sur le support où les graphismes ont été conçus, ou tout du moins colorisés) que sur du papier. A défaut d’un découpage recherché, Pastor nous offre par contre des plans originaux et une relative absence de décors voulue lors de la partie concernant l’emprisonnement, le lecteur étant ainsi privé de repères tout autant que l’étaient les prisonniers. Les quelques scènes d’action sont par contre confuses et difficiles à comprendre et, pas mal de protagonistes se ressemblant assez, cela n’aide en rien et le lecteur se retrouve parfois un peu perdu. Après une fin un tantinet trop abrupte, un bonus de 4 pages reprend l’histoire de ces camps expérimentaux depuis leur création jusqu’à l’après-guerre, un complément très bien réalisé et indispensable à la démarche de cet album (où l’on apprend d’ailleurs que les coupables de ces crimes n’ont jamais été punis puisque les américains leur ont à l’époque offert l’immunité contre le résultat de leurs recherches !). Au final, cet ouvrage est tout de même indispensable et prouve s’il en est besoin que le 9ème art a aussi un rôle à jouer au-delà du divertissement.