interview Comics

Glenn Fabry

©Urban Comics édition 2016

C'est lors de l'édition 2016 du Lille Comics Festival que notre route a enfin croisé celle de Glenn Fabry. Artiste culte ayant enchanté les lecteurs de la revue culte britannique 2000A.D. mais aussi les fans de comics outre-Atlantique avec Hellblazer, Preacher ou The Authority, il nous tardait de poser quelques unes de nos questions à cet illustrateur capable d'enchaîner les pages intérieures et les couvertures avec un talent monstre. Une rencontre détendue faite autour d'une pause clope !

Réalisée en lien avec l'album Preacher T4
Lieu de l'interview : Lille Comics Festival

interview menée
par
11 novembre 2016

La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.

Glenn Fabry Peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Glenn Fabry : Le tout premier comics que j'ai réalisé... C'était à l'âge de 18 ans. Je l'avais réalisé pour les besoins d'un groupe punk, les Stranglers, vous en avez peut-être entendu parler, ou pas. Je crois bien qu'ils sont toujours en activité, d'ailleurs. J'ai travaillé là-dessus pendant près de six semaines, je venais juste de quitter les Beaux Arts. Et, un an après avoir quitté les Beaux-Arts, j'ai eu l'opportunité de travailler pour une revue britannique, 2000AD, que l'on connait surtout pour les aventures de Judge Dredd...

Rogue Trooper, Slaine....
Glenn Fabry : Oh oui, j'ai d'ailleurs travaillé sur Slaine de 1984 à 1989. Après 2000AD, je me suis retrouvé sur deux revues parentes: Crisis et Revolver et c'est en travaillant pour Revolver que j'ai rencontré un certain Garth Ennis, qui est par la suite devenu l''auteur de la série de comics adaptée en série télé, Preacher. Il se trouve aussi qu'à l'époque, on est passé des impressions en noir et blanc à la couleur, et que, finalement, peu de gens se sont avérés capables d'utiliser la peinture. Ils se contentaient en général du dessin en noir et blanc avec un peu d'aquarelle. Mais moi, je savais peindre. Et, avec quelques autres gars, on s'est retrouvé à faire un grand nombre de couvertures. Garth travaillait alors chez Vertigo, pour DC Comics, aux Etat-Unis, sur un comics intitulé HellBlazer et il n'appréciait pas trop l'artiste en charge des couvertures dont il avait hérité en reprenant la série. Il s'est alors dit « Pourquoi ne pas demander à Glenn Fabry d'en faire quelques unes, des couvertures ? Il en a déjà faites pour moi auparavant. » Je m'y suis alors attelé et ça s'est très bien passé. J'ai fini par réaliser 25 couvertures pour HellBlazer avant de faire celles de Preacher. Pendant cette période, je réalisais surtout des couvertures. Avant ça, je faisais surtout des strips, de la bande dessinée, ce genre de trucs. Mais j'ai fini par faire des couvertures et ce pendant près de dix ans avant de revenir aux pages intérieures, ce que je fais encore aujourd'hui. Et je suis actif dans ce métier depuis 34 ans.

Glenn Fabry Comment vois-tu les différences entre la réalisation de pages intérieures comparé à des couvertures ?
Glenn Fabry : Avec les pages intérieures, on s'applique à raconter une histoire, à développer des personnages. On peut s'amuser, raconter des blagues idiotes... On est plus dans le cadre d'une narration où – mais on peut dire ça de pratiquement l'ensemble des arts graphiques – on essaie de donner l'illusion du mouvement. Certains dessins particulièrement bien réalisés, même s'ils ne représentent que des objets statiques, peuvent donner l'impression de bouger. Ça peut avoir l'air plus animé qu'une simple photographie. Voilà le genre d'énergie qu'on peut trouver dans les pages intérieures. Donc, oui, je préfère en général faire des pages intérieures. Le souci, avec les pages intérieures, c'est que ça prend sacrément longtemps à faire et que ça n'est pas aussi rémunérateur que de faire des couvertures ! [rires] Mais, là, en ce moment, je travaille sur une série intitulée Mute, pour Dark Horse. C'est écrit par Duncan Jones, un réalisateur de films, et qui devrait sortir l'an prochain. J'ai fait les couvertures, les pages intérieures... Ça m'aura pris 5 ans, au total, ce qui est considérable mais je suis plutôt satisfait du résultat, même si on pourrait me reprocher d'avoir pris aussi longtemps à le faire !

Tu as travaillé avec de grands noms, durant ta carrière. Quelle a été la collaboration au sein de laquelle tu t'es senti le plus à l'aise ?
Glenn Fabry : Je crois que la collaboration qui m'a le plus amusé, ça aura été les différents projets sur lesquels j'ai travaillé avec Garth. On a fait un graphic novel pour Marvel, intitulé Thor: Vikings qui était très marrant. Il y aussi eu quelques projets, ensemble, pour Wildstorm, comme The Authority: Kev qui était hilarant. C'est le genre de truc dont tu lis le script et puis tu te dis « Noooon, sérieux ? ».

Glenn Fabry


Quel est ta perception des super-héros ? C'est pas forcément ce qu'il y a de plus familier pour un artiste britannique, même si tu as travaillé sur Thor et sur The Authority.
Glenn Fabry : Le style graphique des super-héros est généralement très codé, très spécifique. Mais j'ai déjà travaillé sur ce genre de titres auparavant et j'ai passé un temps fou à plancher sur l'anatomie histoire d'être sûr que mes personnages paraissent... probables. Le fait est que je n'ai rien contre, on peut faire des choses très fun, avec les super-héros.

Tu as souvent versé dans la provocation ou dans la violence, dans tes illustrations, notamment dans tes couvertures. Y'a-til des choses que tu t'interdis d'illustrer ?
Glenn Fabry : [rires] Si, si, il y a des limites. J'imagine que je refuserai de dessiner des actes de violences à l'égard d'enfants, ce genre de choses mais, oh, les choses qu'on me demande en commissions... Toujours des choses horribles. J'ai fait des choses... [rires] Il y a effectivement Glenn Fabry des choses atroces que je me refuse d'illustrer mais si on peut y trouver quelque chose d'à la fois sombre mais aussi drôle comme... [rires] Par exemple dans Kev, où on a un vieux bonhomme travesti en femme et à qui on enfonce une orange dans le fondement alors qu'il est sur le point d'être dévoré par un tigre, ce genre de choses.

On retrouve souvent ça, dans ton oeuvre: de la violence et de l'humour. Est-ce inséparable de tes créations ?
Glenn Fabry : C'est juste que les gens ont fini par ne plus me demander que ça. J'ai fais pas mal de recherches pour mes différents travaux, je me suis rendu à des autopsies, par exemple. Et là, il faut trouver le moyen de se distancer de ce qu'on voit. Mais ça vient surtout du fait qu'on m'a en quelque sorte catalogué. Les gens se disent « Ouais, j'ai une idée bien tordue, là. Je vais demander à Fabry de me la dessiner. » Et là, suivant ma charge de travail du moment, « Ah, ouais, ok, pourquoi pas ? »

Si un génie sortait d'une lampe et t'accordait la possibilité de pouvoir travailler dans le genre et avec l'auteur de ton choix, quel genre et qui choisirais-tu ?
Glenn Fabry : Ca va être assez glauque mais voilà: j'ai passé dix-sept ans de ma vie à travailler sur un projet particulier avec un de mes amis, Alan Mitchell. Le plan, c'était de finir Mute avant de travailler ensuite avec Alan pour finaliser ce projet, un comic-book intitulé Farthing and Hicks. Mais voilà, Alan nous a quittés il y a trois mois de ça. Après dix-sept ans passé là-dessus, j'aurais adoré pouvoir mener le projet à terme avec Alan. On avait déjà écrit une grande partie du script, les personnages étaient définis, tout ça. Je vais donc le finir sans lui et j'aurais préféré qu'il soit encore là. Ça m'aurait bien dépanné.

Vu que tu fais partie de l'équipe créatrice derrière Preacher, avec Dillon et Ennis, et que Preacher a été adapté en série télé, es-tu devenu riche et célèbre ?
Glenn Fabry : Non. [rires] Je suis plutôt connu dans le domaine des comics, les conventions... les gens du milieu savent en général qui je suis mais pour les autres, c'est plutôt « Eh, toi ! Dégage de là ! ».

As-tu eu l'occasion de voir la série ?
Glenn Fabry : Oui, oui.

Glenn Fabry


Qu'en as-tu pensé ?
Glenn Fabry : J'ai bien aimé. Beaucoup de gens se plaignent que la série n'a au final que peu de points communs avec l'histoire du comics mais le fait est que c'est plutôt une sorte de prologue à celle-ci. Le dernier plan issu de la série correspond au tout premier plan du comic-book. Ils ont pensé que pour une série intitulée Preacher qui ne se destine pas forcément d'emblée aux fans de comics, il serait bon que l'on puisse voir le personnage principal prêcher un petit peu, chose qu'il ne fait pas du tout dans le comics: il se contente d'arriver là, en prêtre, et il commence à buter tout le monde avec son pouvoir de persuasion.

Tu lis toujours des comics ?
Glenn Fabry : Fut un temps, j'en lisais pas mal. Quand je travaillais chez Vertigo, je figurais sur ce qu'ils appellent la Comps List. Ça voulait dire que, chaque mois, ils m'envoyaient l'ensemble de leurs publications. Mais, dès lors que j'ai cessé de travailler pour eux, ils ont Glenn Fabry arrêté de me les envoyer ! Et j'habite à peu près à 8 kilomètres de la boutique de comics la plus proche et, le plus souvent, je n'ai pas le temps de m'y rendre parce que je m'efforce de finir ce sur quoi je travaille.

Y'a-t-il un artiste qui te paraît sortir du lot, dont le travail te surprend ?
Glenn Fabry : J'ai toujours été un grand fan de Richard Corben. Adam Hugues fait de super trucs, aussi. Simon Bisley, Mike Mignola, Mike McMahon... Tous les bons, ce qui fait qu'il y en a trop pour tous les citer. En réalité, j'aimerais bien qu'ils soient plus mauvais, ça me permettrait de récupérer leurs postes ! [rires]

Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'une personne célèbre, passée ou présente, afin de comprendre son art, ses techniques ou simplement sa vision du monde, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Glenn Fabry : J. C. Leyendecker. C'était un illustrateur américain, connu pour avoir réalisé les couvertures du Saturday Evening Post. Son style était le parfait mariage entre le cartoon et le réalisme. Toute l'énergie d'un cartoon mais avec l'intelligence d'un Delacroix ou d'un De Vinci. Il savait exactement ce qu'il faisait.

Merci Glenn !