L'histoire :
Un jour de 1966, Yves Saint Laurent dessine dans son atelier. Sa collègue lui indique que les premiers et premières d'atelier attendent ses croquis pour pouvoir travailler. L'homme lui tend un croquis. Il s'agit d'un smoking, inspiré du vestiaire des hommes, mais pour femme. Il est le symbole absolu du pouvoir. Il veut que les femmes puissent y prétendre. Sa collègue lui parle d'une véritable révolution, mais Yves Saint Laurent préfère envisager cela comme une évolution. L'année qui suit, dans les rues de New York, Betty retrouve Yves Saint Laurent. Il lui demande ce qu'elle a fait à ses cheveux, qui ont un côté chic et sauvage. Elle répond simplement qu'elle ne les a pas lavés depuis cinq jours. Il regarde la manière dont elle est habillée : smoking de la dernière collection, sans chemise en dessous. Elle a les mains dans les poches. Et Yves Saint Laurent le sait, les poches ont un véritable pouvoir diabolique. Celle qui a des poches a un pouvoir de supériorité sur celle qui n'en a pas et qui se retrouve les bras ballants. Les vêtements induisent un geste, et celle qui a des poches a une attitude de dominante, tout en décontraction. Et il donne la preuve par l'exemple en observant une scène qui se déroule sous ses yeux. Le duo cherche à entrer dans un restaurant, mais ils se font recaler. Betty est habillée en homme, et cela n'est pas admis par l'établissement. Les femmes ne doivent pas porter le pantalon...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier ont déjà collaboré ensemble sur Oliphant. Ils réitèrent l'expérience sur un tout autre sujet, celui de la mode, en particulier du smoking, une révolution impulsée par Yves Saint Laurent. Ils prennent le point de vue de Betty, proche amie du couturier, qui s'est vue refuser l'accès à un restaurant en 1967, car elle portait un tailleur pantalon, et que cela n'était pas acceptable pour une femme convenable. Ce point de départ lance toute une réflexion autour d'un vêtement, le smoking pour femme, et par extension le pantalon pour femme. Véritable évolution pour la gente féminine, qui peut dès lors s'affranchir des codes traditionnels, s'approprier des pièces dédiées au vestiaire masculin. Les femmes peuvent réaffirmer leur place, reprendre le pouvoir, se mettre à la hauteur des hommes. L'interdiction d'accès à ces codes vestimentaires entravait la liberté, négligeait le confort. Les auteurs reviennent sur des femmes emblématiques qui se sont affranchies de ces carcans. Ils évoquent aussi un grand nombre de personnages tiers. Chacun a d'ailleurs droit à un paragraphe sur sa vie en fin d'ouvrage, où tous les protagonistes croisés sont cités et développés. Le texte est dense et didactique, il est compensé par des illustrations lâchées qui, à l'instar du smoking, s'affranchissent des codes de la bande dessinée. Benjamin Bachelier utilise différentes techniques de collage, de dessin ou encore de couleurs pour faire passer des messages. Cet album est instructif sur les impacts de la mode dans la société, en particulier sur l'émancipation des femmes.