L'histoire :
Madeleine, une petite mamie aveugle de 80 balais (environ), habite dans une maison isolée tout en haut d’une falaise en bordure de l’océan, à côté du port normand de Troumesnil. Chaque jour (ou presque), elle descend faire son marché sur le quai. Et chaque jour (ou presque), monsieur le Maire tente de négocier avec elle un déménagement vers la résidence des Hortensias pour personnes âgées. Car l’érosion naturelle de la mer grignote petit à petit la falaise, donc la propriété de Madeleine, jusqu’à menacer sérieusement sa maison. Mais Madeleine est têtue : c’est la maison qu’elle a jadis achetée avec son mari Jules (disparu en mer depuis des dizaines d’années) et dans lequel le couple a tendrement vécu. Il est hors de question qu’elle la quitte ! Elle refuse de voir – et pour cause, elle est aveugle – que le dernier massif de roses qu’elle arrose chaque jour vient de tomber 50 mètres plus bas dans les récifs. Le maire angoisse, car en cas d’accident fatal, c’est lui qui sera tenu pour responsable. Or justement, une grosse tempête est annoncée, avec de puissantes vagues qui devraient mettre à rude épreuve le rocher de craie haut-dessous duquel habite Madeleine. Sous l’impulsion de son épouse, le maire ruse donc via un plan d’évacuation un peu foireux…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Bruno Duhamel nous souhaite ses vœux de bonne année 2018 avec cette fable écolo-sociale un brin alarmiste et néanmoins bien centrée sur les problématiques de notre époque. En première ligne au cœur de son sujet : l’érosion naturelle de la mer sur la côte normande qu’il connait bien (il y est né), un phénomène accéléré par le réchauffement climatique. Pour ne pas devoir quitter sa maison, son héroïne, une petite mamie aveugle, fait du déni ; et cela angoisse terriblement le maire, qui est responsable en cas d’accident. On se souvient des conséquences dramatiques de la tempête Xynthia (29 morts à la Faute-sur-Mer) et cette question de la responsabilité est aussi un sujet de l’album. Le caractère obtus de Madeleine fait ici échos à l’immuabilité des forces de la nature ; son obstination et son sens de l’honneur sont à la mesure de l’angoisse et de la fourberie du maire, premier magistrat responsable, contraint de jouer un bien mauvais rôle. L’idée de résistance en terres normandes rappellera en outre Astérix à certains, le débarquement américain à d’autres. Enfin, la question de l’isolement tragique du 4ème âge, du maintien à domicile, sous-tend l’ensemble, sans chercher à donner de vaines leçons. Pour soulager le propos, Duhamel insuffle un peu d’humour dans les dialogues et surtout beaucoup de tendresse dans le traitement narratif et graphique de ses personnages. On évolue ici dans un registre très proche des Vieux fourneaux, ce qui n’est pas la pire des références. Son somptueux dessin semi-réaliste est sans doute l’un des plus aboutis dans le genre : à la fois subtil, complet, bon-enfant et d’une redoutable efficacité.