L'histoire :
Simon se réveille en pleine nuit, victime d'un cauchemar. Il a vu son grand-père sur un lit d'hôpital, terrassé par un chevalier vengeur. Il faut dire que pour Simon, Armand est un papi adulé, une référence absolue qui a rythmé sa vie d'enfant avec ses blagues, ses imprudences et sa douce folie de vieil homme. Un grand-père qui a donné au jeune garçon, devenu adolescent, ce que son père trop absent ne lui donne pas, et que sa maman Juliette ne peut remplacer malgré ses efforts. Mais le cauchemar devient réalité : le grand père Armand se retrouve entre la vie et la mort, à l'hôpital. Son fils Grégoire, jeune quadra un peu égoïste, désespéré par tous les ratages de sa vie, comprend qu'il s'agit de sa dernière occasion de renouer un dialogue interrompu il y a plus de 20 ans. Car le vieil Armand, porté par des convictions politiques extrêmes, s'était engagé dans les Waffen SS contre les bolchéviques pendant la seconde guerre mondiale. Il s'est rendu coupable d'horreurs qui hantent ses nuits, et entachent les souvenirs de la famille entière. La solitude renfermée de son fils, l'amour de sa sœur Rose (vieille femme tiraillée entre Armand et Grégoire), l'innocence du jeune Simon, vont petit à petit rapprocher tous les membres de cette famille. Torturé entre sa haine pour cet homme et le lien filial qu'il ne peut dénouer, poussé par sa femme à renouer le dialogue avec son père – et par la même occasion avec son propre fils – Grégoire va accomplir un chemin personnel plein de questionnements et de sentiments contraires…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C'est un nouveau virage à 180 degrés qu'entreprend Alan Fredman, par ailleurs connu pour illustrer des albums humoristiques avec son compère Jim. Tout comme l’avait déjà fait le même Jim, en compagnie de Fane, avec Petites éclipses, Fredman abandonne ici le registre de l’humour, pour aborder très sérieusement le domaine de l’essentiel. Cette chronique familiale met en jeu la complexité des sentiments humains, la force du lien paternel et la difficulté du pardon. Un projet très ambitieux, dont on comprend qu'il est murement réfléchi, et qui plonge le lecteur dans un univers de questions profondes et de doutes. Le dessin s’inscrit à merveille dans la remarquable veine de la collection Ecritures : noir et blanc, style vif (utilisation abondante des hachures, aspect crayonné des décors et des personnages), personnages semi-réalistes. Exigeant, ce « roman graphique » s’inscrit donc aux frontières de la littérature, en pleine connexion avec son époque. Le propos est complexe, mais l'album est émaillé de scènes drôles ou étranges, de pages muettes de souvenirs, ou de dialogues nerveux qui donnent à l'ensemble rythme et respiration. Pas une once d'ennui à travers ces 170 pages qui se dévorent d'un trait. Quelques très belles pleines planches, des idées ambitieuses, même si les sentiments sont parfois exacerbés. La suite est déjà conçue nous dit-on, qui devrait traiter de la nécessité pour les bourreaux d'accepter leurs crimes, pour que la souffrance de leurs victimes soient reconnue. Pas plus léger que le tome 1 donc, mais on tournera les pages en confiance, après cette première étape impressionnante.