L'histoire :
Le soir du 28 février 1953, un orchestre joue un concerto de Mozart dans les studios de la Maison de la Radio du Peuple de Moscou. Au piano, la soliste Maria Ioudina tutoie la grâce… au point que le directeur Andreïev reçoit un coup de fil du Kremlin. C’est Staline, en personne : il lui demande un enregistrement du concert. On viendra le chercher le lendemain… Une sueur froide parcourt l’échine du directeur : le concert est diffusé en direct, mais pas enregistré. « On va tous mourir ». Une seule solution : retenir les musiciens de l’orchestre et les obliger à recommencer, en enregistrant cette fois. La pianiste refuse : le dictateur a envoyé toute sa famille au goulag, plutôt crever que de jouer pour lui. Le directeur parvient à la décider, contre 20 000 roubles. Puis au moment de se lancer, le chef d’orchestre fait une syncope : trop de pression, de peur, sa vie est en jeu… Le directeur fait donc réveiller un autre chef d’orchestre, amené manu-militari au studio. Au terme de l’enregistrement, le résultat est acceptable… mais différent. Tous angoissent terriblement, lorsque 3 officiers du NKVD se pointent pour récupérer le disque. La soliste a tout de même le temps de glisser un petit mot dans la pochette, délicatement hostile. Quelques heures plus tard, le petit père des peuples reçoit son cadeau. Il découvre rageur le petit mot et écoute le concerto. Soudain, il tombe raide mort, victime d’une attaque cérébrale foudroyante. Quand sa gouvernante s’en aperçoit, elle appelle le Kremlin. C’est Beria, sinistre ministre de l’intérieur, qui reçoit l’appel et prend les choses en main, un sourire sardonique sur le visage…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les auteurs préviennent en introduction : inspirée de faits réels, cette histoire demeure une fiction. Toutefois, en accord avec de la folie furieuse du dictateur et de son entourage, ils n’ont guère eu besoin de forcer leur imagination pour mettre en scène l’atmosphère politique ultra tendue qui a du régner au moment de La mort de Staline. C’est précisément cet épisode historique romancé, que Fabien Nury et Thierry Robin, un tandem inédit, nous proposent de suivre ici. Passé la problématique musicale du début, afin de se mettre dans le juste ton, on assiste en effet aux palabres, chantages et conjectures dans les hautes sphères, un cafouillage alimenté par une quête hystérique du pouvoir. Union Soviétique + hiver + dictature… le décor est sinistre, le climat délétère, les évènements tragiques, l’angoisse permanente, et paradoxalement, le ton est bien celui de la comédie. La cruauté légendaire du tyran nourrit le cynisme de Nury pour décrire des situations kafkaïennes. Un climax bidonnant est d’ailleurs atteint en la matière lors de l’autopsie dans le garage (on rit jaune, nerveusement)… On sent bien que dans l’esprit des acteurs de l’époque, l’engrenage de leurs décisions mène au goulag dans la plupart des cas. Dans une ambiance politique ténébreuse, Thierry Robin délivre quand à lui une partition graphique impeccable, des encrages semi-réalistes en clairs-obscurs très contrastés. Un second tome viendra compléter cette Agonie première de 56 planches…