L'histoire :
Agé d’une dizaine d’années, Hua Tang est régulièrement rossé par son père, qui tabasse aussi sa mère. Un soir, ce père se montre un peu trop violent et sa mère meurt sous ses coups. Hua s’enfuit alors et s’en va toquer à la porte de la discothèque tenue par Mr Dent, le puissant patron de la mafia locale. Il lui propose un deal : qu’il l’aide à tuer son père et ensuite le gamin travaillera pour lui, jusqu’à remboursement intégral des dettes de sa famille. Dent est épaté par l’aplomb de ce gamin. Il le met à l’épreuve en lui confiant un flingue. Hua rentre chez lui et tue de sang-froid son père, selon la méthode du coussin conseillée par Dent. Puis il revient docilement chez Dent pour payer sa dette. Bluffé par la détermination du gamin, le boss l’intègre à sa « famille » en le confiant aux bons soins de KGB, un colosse. Pendant les années qui suivent, ce dernier assure la formation de Hua, à tout type d’armes et de combats, avec la bienveillance d’un (vrai) père. Quelques années plus tard, l’humanité est soudain contactée par une puissance extraterrestre qui l’informe qu’elle est le fruit d’une triple expérimentation, sur 3 planètes différentes. Les extraterrestres annoncent aussi qu’il va falloir accueillir parmi les terriens une autre humanité en perdition sur sa planète. Celle-ci est d’ailleurs déjà en route… Or cette intégration forcée n’est pas du goût des terriens. C’est dans ce contexte géo-galactico-politique trouble que Hua Tang, devenu un tueur indépendant très prisé, est contacté par un mystérieux commanditaire. Ce commanditaire est un regroupement des plus puissants industriels de la planète, qui lui confient un improbable contrat : assassiner trois obscurs individus qui vivent dans le dénuement. Mais pourquoi donc ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec ses récits de science-fiction à la fois très imaginatifs et inspirés par des questions de fond, l’écrivain Liu Cixin est devenu en quelques années l’un des tous meilleurs du registre – et pas qu’en Chine ! Il a une propension folle à nous immerger dans des défis du futur qui font sacrément écho à notre humanité d’aujourd’hui. Et c’est encore le cas avec Nourrir l’humanité, ici adapté en BD avec un brillant savoir-faire narratif par Sylvain Runberg. Ne vous attardez pas sur ce détail de série Z qui convoque les aliens à entrer en contact avec la Terre, pour lui annoncer sa colonisation par une tierce espèce humanoïde. On ne voit jamais ces extraterrestres, ils ne sont qu’un prétexte pour nous pousser dans les retranchements de nos fondamentaux sociaux, dont ici… le fric. Le héros Hua Tang est un tueur indépendant, récemment affranchi de ses accointances mafieuses. Or une coalition de gens puissants le paie une coquette somme pour exécuter un triple contrat pour le moins étrange : buter trois personnes sans intérêt. Pourquoi elles ? Quel danger représentent-elles ? Pourquoi Hua est-il arcbouté sur un tarif modeste, alors qu’on lui offre plus ? Plus généralement, qu’est-ce que ça signifie, une « juste somme » ? Et combien faudrait-il d’argent à chaque individu du monde pour éteindre en lui/elle toute soif de richesse ? Et sans doute bien d’autres moteurs sociaux… Les ressorts utiles à faire émerger ces questions sont certes parfois un peu excessifs. Ils ont toutefois le mérite de chatouiller de vraies fibres philosophiques et sociales. Et Runberg a le privilège de pouvoir s’appuyer sur les talents graphiques de Miki Montllo, avec lequel il a déjà fourni une autre saga de SF en 4 tomes, Warship Jolly Roger. Son dessin semi-réaliste est du même tonneau : abouti, vertigineux, dynamique, ambiancé, contrasté, en tout point parfait pour ce one-shot d’anticipation à la fois explosif et riche de sens.
