L'histoire :
Le Lieutenant Féraud a été transformé à son insu en machine de guerre appelée Taillefer, un soldat doté d'un exosquelette métallique tirant son énergie de la révolutionnaire pile au radium qu'il a inventée. Aujourd’hui, il est chargé de retrouver un appareil photo perdu lorsque l'avion de reconnaissance qui le transportait a été abattu par les allemands au dessus de Château-Thierry. Si les derniers télex envoyés par le pilote disent vrai, les clichés pourraient démontrer que les troupes allemandes se sont séparées au sud de Paris, offrant la possibilité d'une contre-offensive française. Tiraillé par ses convictions pacifistes, Féraud se laisse convaincre par Galliéni que ces clichés seraient décisifs pour que le maréchal Joffre lance cette contre-offensive forcément victorieuse. L’objectif est d’arriver à une fin rapide de la guerre, donc finalement d’épargner des vies humaines dans les deux camps. Taillefer part donc vers Château-Thierry à la tête d'une section démoralisée par les difficultés de la guerre. Il est épaulé par l'adjudant Djibouti, combattant aguerri, et sous l'étroite surveillance du colonel Mirreau qui voit en Taillefer autant une chance de victoire qu'un moyen idéal pour obtenir des crédits de recherche supplémentaires…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans cette série au concept original, Xavier Dorison livre un scénario moins complexe et tortueux que ses séries à succès (notamment W.E.S.T) et c'est plutôt agréable. L'intrigue se développe ici de manière très linéaire, démontrant méthodiquement comment Féraud, le pacifiste, entre petit à petit dans la peau d'un soldat aguerri, meneur d'hommes courageux et violent, sous son armure de Taillefer. L'album montre cette progression à travers des batailles successives, qui sont autant d'occasion d'évoquer des évènements de la première guerre mondiale, de manière plutôt réaliste (à l'exception bien sûr du personnage de Taillefer). Le dessin classique d'Enrique Breccia, plus proche des grandes séries de guerre des années 70 que des standards de perfection graphique actuels, est un choix habile. Il accorde à la série un coté suranné cohérent avec le concept improbable de ce « Robocop » au milieu des champs de bataille de 14-18. Ce grand dessinateur se montre le digne successeur de son père, Alberto, l’un des plus grands illustrateurs argentins, pionnier de la BD moderne, dont la maitrise graphique est totale. Certaines pages qui imitent les affiches de propagande des grandes guerres (Taillefer portant le drapeau sur un bâtiment repris à l'ennemi) sont magistrales. Ces biais empruntent à la fois aux illustrations lyriques du début du siècle, et à l'esthétique des super-héros du « silver age » (période 70-80, avec John Buscema et consorts). Très maitrisé donc, cet album couvre méthodiquement le sujet de la première guerre mondiale, et ne cherche pas à surprendre par d'improbables rebondissements (ce n'est pas le propos). Ce duo d’auteurs aguerris réussit à conjuguer la rigueur qu'imposent les références historiques, et la fantaisie d'une aventure au concept décalé, avec un soupçon de recul parfaitement dosé. Le fac-similé de journal qui accompagne la première édition de cet album illustre parfaitement ce double objectif, avec le personnage de Taillefer inséré dans des photos d'époque, pour des clichés plus vrais que nature. Du sacré bon travail.