L'histoire :
Dans la fourgonnette des passeurs qui l'amènent jusque Sangatte, le jeune Bilel écoute des leçons d'anglais sur son walkman. A l'arrivée, on le fait descendre de manière musclée, lui et les autres, pour les enfermer dans un hangar. Maintenant, il faut qu'ils la ferment tous et se tiennent tranquilles, sinon on brûle leurs passeports. Mais Bilel est malin. Il se met à parler football et vignettes Panini avec le caïd qui lui sert de geôlier et qui porte une veste de l'OM. Il se fait appeler « Bekame », comme son idole, le joueur de foot. Il profite d'une seconde d'inattention pour se faire la malle, en traversant imprudemment une autoroute. De l'autre côté, il est enfin seul, enfin libre. Le lendemain, il zone sur le port, deale une cannette de jus d'orange, manque de se faire pincer par les flics et lave son maillot de Manchester United – son seul trésor – dans une laverie. C'est là qu'il fait la connaissance de Victor, un SDF qui lui apprend une astuce pour se sustenter : chiper les pièces de 1 euro dans les caddies de supermarché. Le soir, il accompagne Victor pour une rave dans un squat... Mais la fumette et l'alcool, ça n'est pas trop son truc. Avant tout, Bilel veut retrouver son grand frère, Ahmed, qui a quitté le bled bien avant lui, pour venir vivre par ici. Le lendemain, Bilel zone de nouveau dans Sangatte. Ses réels talents de dribbleur lui permettent alors de participer à un entrainement de foot avec une équipe locale de jeunes. L'entraineur, lui aussi d'origine berbère, comprend vite la précarité de sa situation et lui offre le gîte, juste pour 2-3 jours, le temps qu'il retrouve son frère...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L'inspiration de ce diptyque à forte connotation sociale – voire militante – est nourrie par l'expérience de reporter d'Aurélien Ducoudray auprès des sans-papiers de Sangatte. Une envie épidermique de faire vivre moult témoignages collectés lors de ses années de journalisme. Il met ici en scène un ado maghrébin monté clandestinement à Sangatte pour suivre le modèle héroïque du grand frère. Il se prénomme Bilel, mais en véritable spécialiste de foot (sur les stickers et sur le terrain), il préfère se faire appeler Békame, comme le joueur anglais qu’il vénère. Sur ce châssis, en marge d’une tranche de vie aussi glauque que prenante, qu’on osera qualifier d’« initiatique », Ducoudray fait un tour relativement exhaustif des paramètres de la sordide vie de migrant. Le jeune héros survit du système D et de générosités providentielles, avec en permanence deux épées de Damoclès au dessus de la tête : la crainte d’être attrapé par les forces de police et l’angoisse de retomber dans les griffes de la filière mafieuse qui l’exploite. Une forme de colère sourde et impuissante émarge du lecteur, lorsque l’ado atteint son objectif et que l’absurdité du système se révèle hideuse et insupportable à ses sens. Brut, stylisé et « rêche », sans se départir d’un certain réalisme, le dessin de Jeff Pourquié est en parfaite adéquation avec la thématique. Il se complète d’une colorisation terne et stylée, parfois à la limite de la bichromie quand l’âpreté de la séquence l’exige. Le scénario de Ducoudray évite avantageusement le pathos, la morale et le prosélytisme politique. Ce qui intéresse l’auteur, c’est de montrer « comment un ensemble de règles érigées pour le bien commun arrive presque à chaque fois à se retourner contre le but visé ». Avec une distance pertinente, tel un entomologiste de notre civilisation, il est fasciné de voir comment un bon sentiment peut découler sur une monstruosité. Et à ce qu’il parait, ça ne s’arrangera pas dans le deuxième tome à venir…