L'histoire :
Pour le centième Tour de France, France Inter a proposé à Joan Sfar de suivre les coureurs et de faire une chronique quotidienne découpée en 3 interventions d’une minute et demie. Emballé, le futur chroniqueur imagine immédiatement la quantité de problématiques qu’il va devoir résoudre pour cette escapade de 21 jours. La première qui le titille, et ce, même s’il s’agit de radio, est qu’il ne se souvient plus comment on dessine un vélo. Bon, il sait déjà comment on dessine un cycliste. Il aimerait bien d’ailleurs ne pas en rencontrer un seul, mais il sait au moins les dessiner. Une fois le sportif sur la feuille, son vélo apparaît tout naturellement sous sa prostate. Fastoche ! Il suffisait juste d’y penser. Deuxième problématique : l’intendance. Pas de possibilité de faire de lessive, parce qu’il ne va jamais dormir deux nuits au même endroit. Il lui faudra donc une belle batterie de T-shirt, en évitant les habituels motifs à tête de mort pour ne pas effrayer les provinciaux qu’il espère interviewer. Du coup, il ne pense plus qu’à ça, avec pour seul intermède la problématique énoncée en premier. Et puis, il lui faut ajouter celle constituée par les pousseurs de vélos, celle esquissée par de riches américains évoquant le futur cycliste sous la forme de drones et autres technologies, le vélib et le claquage de pouce en raison d’un abus de PS3 pour apprendre tout de ce sport fabuleux. Une chose est certaine : il partira 21 étapes durant pour nous livrer, non pas un résumé exhaustif de la performance sportive, mais une observation savoureuse de son Tour de France.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
D’un côté, une boucle estivale mythique soufflant fièrement ses 100 bougies. Un Tour de France sur deux roues avec ses héros, son maillot jaune, son vert ou à pois, ses virages bondés d’aficionados et ses potions pour pédaler plus haut. De l’autre, un artiste au génie logorrhéique, érudit, amoureux de philo, capable de s’amouracher de l’humanité aussi vite qu’il a envie de lui donner un coup de pied dans le cul. Leur point de rencontre : l’idée d’une chronique radiophonique quotidienne sur France Inter en 21 étapes. Du cyclisme, Sfar n’y connait quasiment rien. C’est bien simple, il avoue même ne plus savoir comment dessiner un vélo. Le Tour ? Il en maîtrise le B-A, « BA » sur PS3. Pour le reste, ce n’est pas vraiment le défi sportif qui l’intéresse. Non, ce qu’il veut c’est se coltiner la France de bout en bout, en humer le savoureux parfum de ses concitoyens. En conséquence, les quelques 320 pages (regroupant lesdites chroniques radios) de cette expérience s’attardent très rarement (voire jamais) sur la course en elle-même. Le chroniqueur « s’interdit » d’en livrer les acteurs, les performances ou de faire le moindre commentaire sportif. Tout au plus, il évoque la question du dopage (avec ces drôles de zombies réveillés en plein milieu de la nuit à l’hôtel pour courir dans les couloirs afin d’éviter que leur sang ne se transforme en jus de prunes…) et admire la valeur de l’effort. A la place, il nous laisse en respirer les coulisses ou plutôt ses coulisses : son « statut » de journaliste, ses changements d’hôtels quotidiens, sa caravane jeteuse de bouts de saucisson et, surtout, son regard affûté sur ce public cosmopolite, bigarré qui borde les routes. D'ailleurs, on sent au fil des pages une pointe de frustration de n’avoir pu faire que de brèves rencontres. On comprend aussi qu’en 21 jours de route, il ne se sera jamais vraiment senti à sa place. Pour autant, pas question de jouer les carpes, l’auteur s’adonne à sa passion : observer, poser des questions et livrer quelques idées de réponses en maniant ironie, humour, décalage, philo et autodérision. Au final, chaque étape lui permettra de bosser le profil d’une France percluse de paradoxes, mais si attachante. Prévu pour être écouté, le texte domine avec son incroyable capacité à mêler densité et fluidité. Les dessins qui l’accompagnent entrelacent quant à eux phylactères, illustrations historico-sportives et « instantanés » du parcours (rencontres, paysages…) avec une inégale qualité.