L'histoire :
Face contre terre, il se réveille en pleurant. Bientôt, il sent l’air sur son visage et perçoit un léger grésillement. Il est calme mais ne sait pas où il est, ni qui il est. Un seul souvenir : celui de sa petite fille. Puis plus rien… Quelqu’un arrive. Un singe métallique. Un robot hors catégorie qui a pour fonction de protéger son propriétaire. Une bestiole de fer qui mâchouille le cigare, qui dit s’appeler Churchill et semble savoir ce qui lui est arrivé… Alors voilà : il s’appelle Verloc Nim ; se trouve sur Ona(ji) ; vient d’assister à un phénomène ahurissant et doit rejoindre la colonie. Churchill ne veut pas lui en dire plus et lui confie un petit carnet en papier (un outil plutôt étrange et original, dans un univers où règne une technologie avancée) sur lequel Verloc semble avoir consigné le souvenir des dernières semaines passés… Il y a peu donc, il se réveillait sur sa bonne vielle planète Radiant, le nez dans une flaque, ivre de Shia, un puissant stupéfiant. Au dessus de son visage, le regard inquisiteur de Conrad, son frère cadet et celui vide et métallique du robot-gorille, garde du corps qui l’accompagne. Conrad trouve son ainé en piteux état : un véritable rebut de niveau 1 qui, en se débarrassant de son filtre pharyngique, de ses implants oculaires ou de toute autre modification génétique, se sent libre… mais en bien mauvaise santé. Verloc lui apprend également qu’il s’est séparé de sa femme depuis 13 mois et qu’il à l’interdiction de voir sa fille. Et puis il y aussi la boutique héritée de leur père… mais c’est une autre histoire. Un récit à conter une fois qu’ils auront échappé à une police privée hargneuse et qu’ils vogueront pour la planète Ona(ji) à la recherche du précieux Aâma…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après l’excellent Lupus, Frederik Peeters se réinvite, avec Aâma, dans l’univers bouillonnant de la Science-Fiction. Sertie par une vraie intrigue et de l’action, l’approche se veut néanmoins plus classique et pourrait, si la mayonnaise prend, constituer une épopée ambitieuse en 10 volumes (pour l’heure un premier cycle de 4 tomes est envisagé). Encore bien mystérieux pour ce qui est de l’intrigue en elle-même, ce premier chapitre met doucement en place un univers futuriste cohérent, dans lequel on nous adjoint pour guide Verloc Nim. Le bonhomme est un beau looser. Réfractaire au progrès, gavé d’une drogue légale à longueur de journée, il est en passe de se clochardiser après que sa femme l’ait quitté (en en lui interdisant de revoir sa fille) et qu’on l’ait dépouillé de sa boutique de livres anciens. En l’entrainant avec eux sur une étrange planète pour récupérer une substance révolutionnaire (le fameux Aâma), Conrad son frère cadet et le robot-gorille (?), Churchill (lui c’est une vraie trouvaille !) lui offrent un second souffle… Placé au centre du récit par un énorme jeu de flashback (l’album débute après à un événement énigmatique qui a entrainé, chez Verloc, une perte de mémoire), ce héros malgré lui revêt d’abord le rôle du précieux témoin d’événements qu’il ne contrôle jamais. C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison qu’il n’endosse pas immédiatement un charisme à tout casser. Amnésie, scientifiques-cobayes abandonnés, réalité de la mission de Conrad, pouvoirs du Aâma, petite fille mutique et parfait sosie de celle de Verloc constituent quant à eux les ressorts énigmatiques distillés avec intelligence pour, au-delà de l’univers, rendre cette entame déjà captivante. En plus des références et clins d’œil judicieux qui, du décorum aux thématiques, convoquent tour à tour Moebius, Léo, Stanislas Lem voire Pierre Boulle, Peeters s’approprie parfaitement les codes du genre. Les entrelaçant avec des sujets qui lui sont chers, il oppose intelligemment, par exemple, technologie froide robotisée et activité sensorielle humaine. Enfin et surtout, il fait à nouveau un exercice subtil de narration au rythme judicieux (contemplatif ou dynamique, introspectif ou mystérieux) et d’une lisibilité absolue. Idem pour le dessin au coup de patte souple, allié à une sensibilité à fleur de crayon et rehaussé d’une colorisation juste, qui porte impeccablement ce début. Bref, réussi et donnant très envie…