L'histoire :
En 1915, la petite Anahide a une dizaine d’années. Elle est la petite dernière d’une famille riche de Trébizonde (Arménie), et espère de tout cœur, avec sa mère, sa grand-mère et ses deux frères Misak et Aram, le retour de son père, mobilisé par l’armée Turque pour construire un pont. Mais les rumeurs de la rue sont alarmistes : aucune famille n’a reçu la moindre lettre des hommes. Un matin, l’armée Turque débarque en force dans la ville et impose à tout le monde de plier bagages : officiellement, les familles sont autorisées à rejoindre les hommes. Les affaires sont préparées à la hâte, dans une ambiance d’angoisse totale… et une colonne de civils s’avance rapidement à travers le désert, encadrée et molestée par des militaires de plus en plus agressifs. Après quelques heures/jours, le cheval de la famille rend l’âme. Puis c’est au tour de la grand-mère de s’effondrer de fatigue. Un soldat turc l’achève d’une balle dans le crâne. Mais Anahide et sa mère n’ont pas le temps de la pleurer, que le convoi est attaqué par des brigands kurdes. Anahide est enlevée au vol et emmenée au loin, sur la monture d’un cavalier. Elle se retrouve seule, prisonnière d’une famille de montagnards, devenue leur esclave pour quelques années…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les Fleury-Nadal est une série cross-over du Décalogue de Frank Giroud, à travers laquelle le scénariste développe quelques destins de personnages qu’il avait élaborés pour les besoin de sa célèbre œuvre. Comme son titre l’indique, ce 4e opus, totalement indépendant des précédents, s’intéresse à la petite Anahide qui apparaît au début du tome 5 (qui lui, s’intéressait plus au destin de son frère Missak). Le récit n’a cette fois toutefois strictement rien à voir avec Nahik, le fameux livre et décalogue Musulman. Le dessinateur requis pour illustrer cette histoire one-shot, Didier Courtois, ancien collaborateur de Giroud sur Louis Ferchot, livre un boulot réaliste fort correct, quoique manquant un tantinet de personnalité. L’histoire reprend initialement l’épisode de la déportation arménienne (doublon, donc par rapport au tome 5), et bifurque au moment de l’attaque kurde, sur le devenir de la fillette. A travers la destinée de cette enfant, en plusieurs époques/flashbacks, Giroud revient clairement et exhaustivement sur le génocide arménien par les turques et met en lumière toute la problématique politique qui demeure très actuelle. Pour synthétiser, le point de vue est le suivant : pourquoi le peuple turc compromet ses chances d’intégrer légitimement l’Europe, en refusant de reconnaître le génocide que le monde entier dénonce ? Le plus brillant dans la démarche, c’est que le propos politique n’est jamais lourd, porté tout entier par la destinée d’Anahide et des émotions humaines fortes. On ressort de cette lecture bouleversé, avec le sentiment d’avoir beaucoup appris. Une nouvelle leçon d’histoire de Monsieur Giroud, magistrale.