L'histoire :
Durant l'hiver 1946, Jean-Pierre Laborde est interné dans un goulag russe. Il est prisonnier au long cours pour avoir été engagé volontaire au sein du IIIème Reich, une armée vaincue. Malgré les conditions de rétention extrêmement répressives, il parvient à faire passer une lettre à destination de ses parents, afin de leur signaler qu'il est toujours en vie. Sa sœur Agnès, ancienne résistante, alors fonctionnaire à Matignon, sera mise à contribution pour tenter de lui ouvrir une porte de sortie. Mais Agnès doit intercéder auprès du directeur de cabinet du Premier Ministre pour plusieurs dossiers. Car durant la guerre, elle a aussi été une informatrice zélée d'un ministre de Vichy, Bacchelli, en toute discrétion. Ce dernier affronte aujourd'hui la justice française pour sa participation à un gouvernement collaborateur. Emprisonné à Fresnes, Bacchelli tente de faire avancer favorablement son dossier en exerçant du chantage auprès d'Agnès. Le levier le plus sensible son affaire reste le stock de fiches trouées qui répertoriaient les citoyens durant l'occupation. Bacchelli apprend à Agnès que ces fiches ont été dérobées en août 44 à la préfecture de Paris par Bout de l'An, un vichyste aujourd'hui réfugié dans le Tyrol italien. A l'époque, cette opération avait coûté la vie à Jean Veron, héros et résistant communiste, fusillé avec trois autres camarades dans la cour de la Préfecture parisienne. Aujourd'hui, son frère Alain, ouvrier chez Renault et homosexuel notoire, cherche à identifier les coupables de ce meurtre. Un article publié dans Elle va lui ouvrir une opportunité d'en apprendre davantage...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le roman éponyme de Gérard Delteil continue de se révéler magnifiquement en bandes dessinées à travers cette adaptation réussie de Pierre Boisserie et de Stéphane Douay. Le cœur de la problématique est la difficile reconstruction civile et psychologique dans les années d'après seconde-guerre mondiale, entre résistants de la dernière heure et collabos occasionnels. L'histoire presque chorale met en scène différents personnages dont les interactions s'entremêlent en une intrigue passionnante. L'un, simple ouvrier, mène ce qui ressemble à une enquête policière pour identifier les exécuteurs de son frère ; une autre, fonctionnaire à Matignon, se retrouve à la croisée de plusieurs enjeux coupables et opposés. Doit-elle aider à la réhabilitation de son horrible frère pro-nazi ? Doit-elle appuyer la défense juridique d'un ministre de Vichy, et sans doute pas le pire, pour couvrir son propre statut d'indic' durant l'occupation ? Dans ce récit certes fictif, mais fortement plausible, aucun des protagonistes n'est tout à fait blanc. Chacun d'eux tente de dissimuler un squelette dans son placard. En se tenant bien loin de tout manichéisme, le scénario véhicule ainsi brillamment la difficulté de la reconstruction civile, du pardon nécessaire. L'ensemble est soigneusement dessiné, et mis en scène de cinématographique manière, par les encrages réalistes de Douay, parfaitement documenté sur la période. Modes vestimentaires, usages et coutumes, éléments de langages, tout participe à une reconstitution vibrante d'une époque clé pour l'équilibre de la société d'aujourd'hui.