L'histoire :
« Nuées de sang, nuées vermeilles, la prédiction funeste se réalise, un ciel écarlate en est le décor ». Les marionnettes déambulent sur l’estrade, manipulées par la jeune Meiki. Elles content un récit entendu autrefois, l’histoire d’un souverain jouet des dieux, trahi par sa propre chair, meurtri par son propre sang. Le spectacle de bunraku touche à sa fin lorsque interrompt le noble Kawakami. A la tête des gardes de la shogunaï, il est ici pour arrêter l’artiste et le conduire devant sa maîtresse. Mais en bord de scène, affublé d’osier et jusqu’alors immobile tel une corbeille, un ronin s’interpose. Il agrippe la jeune fille et l’entraîne hors de l’établissement. Tous deux fuient la ville, courant difficilement sur la couverture neigeuse abondante. Depuis longtemps déjà, le froid progresse inexorablement tapissant d’un blanc manteau la région, facilitant les incursions des loups izunas. L’un d’eux justement attaque le couple renégat. Un temps séparés, le ronin parvient à sauver in extremis sa compagne de la gueule du monstre. Il ne sait pourquoi, néanmoins auprès d’elle les voix insupportables qui lui martèlent le crâne se taisent. Dégainant ses katanas, il fait face et agite un panier gouttant du sang : la bête renonce. Meiki remarque alors que son sauveur est manchot et ne se rappelle qu’une chose, son nom : Raido…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ce n’est pas « à proprement parler » son premier galop d’essai mais, à l’instar de Hub (Okko), c’est un album d’aventure médiévale japonaise matinée de fantastique qui, à coup sûr, le fera connaître du public hexagonal. Graphiste confirmé (comics notamment) et professeur à l’Ecole internationale de Bande dessinée de Rome, Saverio Tenuta se pose d’emblée en maître du 9e art. Difficile de confier à un tiers le soin d’illustrer ses pensées ; difficile de se résoudre à illustrer les rêves d’un autre. Difficile aussi de partager son univers aux lecteurs : c’est le challenge que relève l’auteur complet. La ville qui parle au ciel n’offre pas « à proprement parler » un scénario révolutionnaire. L’intrigue exposée articule la thématique classique au pays du Soleil levant, la liberté contrainte de l’Homme face à sa destinée, et quelques éléments iconoclastes intéressants pour l’avenir (un héros manchot, un monde de glace, des katanas doués de volonté, etc…). Malgré une construction solide, un flash-back parfaitement filé, une narration « off » intimiste, il faut quelques pages au lecteur afin de pleinement s’investir dans une aventure plaisante au rythme crescendo. Non, « à proprement parler », la plus-value de la Légende des nuées écarlates réside en son esthétique simplement époustouflante. Envoûtant, le trait de l’Italien semble touché par la grâce ! Fin, virtuose, méticuleux et puissant à la fois, son talent éclate à la face dès les premières planches, au pire à la 15e (p.17, figurant un paysage enneigé baigné de lumière). La mise en couleur sublime, travaillée autour des blancs et rouges sang, renforce l’impression de contempler une estampe. Des encrages choisis et nuancés. « A proprement parler », une entrée en matière onirique esthétiquement magnifique...