L'histoire :
Née avec une difformité qui lui emporte la moitié du visage, la petite Gaja s’est inventée un monde bien à elle : un univers construit avec ses poupées. Ces jouets de cire, de porcelaine et de chiffon ne la jugent pas, se moquent de l’apparence de son visage et l’aiment quotidiennement. Gaja trouve ainsi refuge dans ce monde ouaté pour fuir le désamour et la méchanceté du monde qui l’entoure. Il y a bien sa douce maman, si tendre, si aimante, mais si malade... et qui bientôt disparaît. Une mort pour laquelle le père de Gaja a toute sa responsabilité, pressé de récupérer l’important héritage et de mener une vie de débauche. Seulement, le patrimoine est confié à Gaja ou, si elle meurt à son tour, à une œuvre de charité. Voilà le paternel coincé. Tout au moins pour le moment... Gaja grandit. Elle masque la moitié de son visage en permanence pour ne pas effrayer la bonne société qui s’affaire à ses pieds. La jeune femme est devenue une créatrice hors-pair de jolies poupées. Elle se refuse néanmoins à les vendre, de peur qu’on les maltraite. Et ce, même si l’argent commence à manquer cruellement. Gaja est aussi largement courtisée. Elle reçoit de nombreuses jolies lettres vantant sa beauté et lui déclarant mille vœux d’amour éternel. La musique est cependant toujours la même. Lorsque Gaja dévoile la partie droite de son visage, ses prétendants ont un rendez-vous urgent. Aussi la jeune femme s’enferme t-elle un peu plus chaque jour dans son propre univers, ignorante du partage des sentiments. Ah ! Si seulement quelqu’un acceptait de voir au-delà des murs de son apparence. Si seulement quelqu’un tentait de savoir qui elle est réellement pour l’aimer telle qu’elle est...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A l’instar de la première partie de ce petit conte aux accents « Burtonien », la singularité de la partie graphique ne manque pas, une seconde fois, d’interpeller. Nuancier rose, rouge, vert, bleu un brin agressif ; difformités voulues et étudiées ; décorum gothique… la panoplie horrifique étire subtilement son trait pour construire une atmosphère particulière, de prime abord peu engageante pour le lecteur lambda. Néanmoins, en faisant l’effort d’habituer l’œil, on comprendra vite l’intention : offrir la dose anxiogène adéquate ou parfaire la dramaturgie. Car une seconde fois, notre petite héroïne – devenue femme – empile déconvenues, douleurs, rejets, pour une confirmation que seul le monde autistique – fait d’un univers de poupée – qu’elle s’est créé peut l’aimer pour de bon. La fable est finalement intelligente, qui porte avec justesse la primeur faite à l’apparence – plutôt que la « beauté » intérieure – dans nos sociétés et son corollaire d’irréversibles dégâts. A nouveau construit sur le modèle du conte, le scénario dévide sa bobine de gros vilains, de pièges, d’amour impossible, de fantastique, d’onirisme et d’émotion. L’ensemble est plutôt bien fait – rythmé et joliment épaissi par des flashbacks – même si le choix d’un déroulement tragique et jusqu’au-boutiste laisse quelques regrets. Au final, ce diptyque s’apprivoise bien plus facilement qu’on pouvait l’imaginer et devrait pouvoir doublement combler les épris de contes tragiques et les amateurs de dessins horrifiques et sucrés.