L'histoire :
Les « ogres » sont une famille royale de géants dégénérés, qui passent leur temps à table, à grignoter des humains préparés à toutes les sauces, des humains de la taille d’insectes. Ils vivent dans un gigantesque palais sis tout en haut d’une montagne, autour de laquelle un village d’humains, sous le joug de ces « dieux », s’active en permanence à leur préparer de quoi se sustenter. Or ce jour-là, la reine Hémione se sent barbouillée. Elle s’aperçoit qu’elle saigne du bas-ventre et pour cause : elle vient d’accoucher d’un enfant. Un enfant tellement petit qu’elle ne l’avait pas senti. Ses aînés triplés, ainsi que la cour toute entière, frémit à l’idée de pouvoir croquer cette friandise. Mais Hémione se bat et l’avale finalement elle-même. Puis elle se retire en ses quartiers pour changer de robe. En réalité, elle a juste caché le nouveau-né dans sa bouche et elle le confie à la gigantesque grand-mère Desdée, qui vit dans une aile reculée du palais. Hémione explique à Desdée qu’elle a soustrait ce « Petit » à la fureur de son mari, qui l’aurait tué. Elle entrevoit dans la survie de ce « Petit » et dans son potentiel croisement avec des humains – puisqu’il est quasiment de leur taille – une issue à la consanguinité qui rend sa famille quasi débile depuis des générations. Desdée se prend d’affection et l’éduque en secret…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Contrairement aux idées reçues, les contes de fées ne sont pas vraiment pour les enfants, à l’origine – demandez à un psy de vous décortiquer Blanche neige, vous n’allez pas être déçu du voyage. Hubert fait sien ce principe et se paye le luxe d’inventer à 100% un nouveau conte à partir de la figure mythique de « l’ogre ». On est rapidement mis au parfum, face à une famille royale de taille gigantesque qui passe son temps à s’empiffrer de nourritures humaines minuscules. Or l’appétit de ces ogres n’a d’égal que leur médiocrité intellectuelle. Déclasser l’humain au rang d’insectes tyrannisés par des débiles, c’est jouissivement sordide et politiquement incorrect : voilà un conte qui débute rudement bien. Dans ce contexte, une étincelle de perspicacité chez la reine donne sa chance à un nouveau-né de la taille d’un humain. Ce Petit rappellera à certain la figure de Tom Pouce… mais sa destinée est toute autre : il ne survit que dans l’espoir d’en finir avec la consanguinité qui ravage la famille ! Hubert déroule magnifiquement son épais récit initiatique de 174 pages, alternant les séquences BD en noir et blanc avec de brefs focus écrits (de belles lettres !) permettant d’éclairer chaque personnalité de cette étrange généalogie. Déterminisme social, condition humaine, révolte contre l’ordre établi ou « contre-nature » : moult thèmes de poids sont ainsi brossés, sans qu’on puisse jamais deviner la suite des événements. A l’aide d’un dessin informatisé en noir, blanc et niveaux de gris, souvent au sein de grandes cases, parfois pleines pages (c’est monstrueusement géant, un ogre !), Bertrand Gatignol trouve la juste transcription graphique. Ce conte gothique hors gabarit, pour adultes, fait du bien dans un paysage bédéphile normalisé.