L'histoire :
En 1928, Marthe Müller, une jeune femme quittant Cologne, se rend en train à Berlin afin d'y suivre des cours aux Beaux Arts. Sur le trajet, elle fait la rencontre de Kurt Severing, journaliste au Die Weltbühne, qui va lui tenir compagnie jusqu'à son arrivée. Cette rencontre n'est que la première d'une longue série. Marthe découvre le milieu estudiantin berlinois et se pose de nombreuses questions sur la qualité de son dessin, elle qui cessa de dessiner durant près de 11 années. Kurt, quant à lui, se voit sans cesse relancer par son patron qui attend désespérément un nouvel article de celui-ci. Ne sachant pas trop quel sujet pourrait l'inspirer, il décide d'observer la société qui l'entoure et notamment les deux courants populaires du moment, avec le courant national-socialiste qui fait de nombreux adhérents et la vague communiste devenant aussi très populaire. Le conflit naissant entre ces deux groupes risque de dégénérer d'autant plus rapidement, que ces deux visions du monde divisent les foules.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Débuté en 2001, Berlin est un projet pharaonique qui provient de l'esprit de Jason Lutes. Cet auteur américain, professeur de dessin en parallèle, nous fait découvrir l'Allemagne durant les années précédant la seconde guerre mondiale. Nous suivons ainsi le destin de plusieurs personnages. Outre Marthe la dessinatrice et Kurt le journaliste, nous croisons aussi Gudrun Braun, une femme qui quitte son mari pour ses convictions politiques, et bien d'autres personnalités. Ainsi, le policier un peu perdu ou l'artiste lesbienne, tous voient leur route se croiser à un moment ou un autre de l'histoire. Le récit est intelligemment mené et particulièrement documenté. On sent que l'auteur souhaite que son œuvre soit aussi crédible que possible et en cela, on pourrait rapprocher sa démarche de celle de son compatriote Eric Shanower sur L'âge de bronze (chez Akiléos) ou plus prêt de nous, de David Vandermeulen sur Fritz Haber (chez Delcourt). Durant toute la lecture, on sent la lente montée en puissance du récit : les conflits sociaux se multiplient, les oppositions entre chemises brunes et communistes dégénèrent… jusqu'au dénouement brutal, traité avec beaucoup de poésie par Lutes. Berlin est la plupart du temps classé parmi les romans graphiques et pour une fois, cela est parfaitement justifié tant la narration est doté d'un souffle épique et romanesque rare. Certes, l'ensemble n'est pas exempt d'éventuels défauts, le tome est parfois un peu indigeste devant une telle profusion de détails et de personnages. Mais cela se comprend, puisque le présent ouvrage dépasse les 200 pages ! L'auteur nous sert un dessin en ligne claire du plus bel effet, où l'inspiration de l'expressionnisme allemand est palpable. Une future trilogie qui commence sous les meilleurs auspices et dont la suite inédite en France, cette fois-ci, devrait pleinement confirmée tout le bien qu’on en pense. Une première édition au Seuil fut en effet publiée en 2002, avant d'être abandonnée. La collection Outsider de Delcourt vient peut-être de trouver son premier grand chef d'œuvre !
