L'histoire :
De retour du front russe, le colonel Zeiss vient de lancer sa section dite « du Jugement Dernier » dans la bataille de la Somme, convaincu que ses hommes et lui peuvent faire la différence grâce à leur façon d’envisager une guerre totale et sans merci. Dans un tourbillon de sang et de haine, Anglais et Allemand s’affrontent, tranchée après tranchée, perdant du terrain que l’ennemi va reprendre quelques heures plus tard... La bataille fait rage pendant deux journées interminables, jusqu’au moment où l’officier allemand et ses soldats semblent sur le point de remporter une victoire totale.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La Grande Guerre de Charlie a été créé en 1979... oui, vous avez bien lu : 1979, par Pat Mills et Joe Colquhoun dans les pages de Battle, un magazine anglais de Bande Dessinée destiné aux... adolescents. Des adolescents, qui ont dû avoir le choc de leur vie en découvrant la Grande Guerre de Charlie. Jusque là, la représentation faite dans le 9ème art des différents conflits n’avait pour but que de distraire et de glorifier le courage des valeureux soldats se battant pour leur patrie. L’ambition de cette Grande Guerre de Charlie était toute autre. Pour la première fois, un scénariste voulait montrer la Première Guerre Mondiale dans toute sa dimension « inhumaine » en la nourrissant de documents d’époque et d’un regard très critique sur la Guerre en général. Mills souhaitait révéler le quotidien de ces grands enfants courageux animés par le désir de défendre leurs patries et qui, au final, se retrouvent réduits à l’état d’animaux sauvages dans un conflit qui les dépasse, entre conditions de vie inimaginables, armes de destruction massive et l’aberration d’ordres venus de l’arrière, émis par des nobles complètement déconnectés de la réalité des batailles ou répondant à des codes d’honneur stupides, vision dépassée de guerres d’autrefois. La Grande Guerre de Charlie n’est donc pas tant une guerre entre Anglais et Allemands, qu’une guerre entre classe sociale. Celle des officiers issus des classes supérieures sacrifiant à leurs idées aberrantes toute une jeunesse issue, elle, des classes les plus pauvres. C’est cette idée de guerre des classes qui est au centre de ce troisième opus. Pour une fois, c’est du côté allemand qu’on la retrouve, à travers le conflit entre le colonel Zeiss, un officier de terrain, aimé de ses hommes mais fils d’ouvrier, et ses supérieurs, tous issus de la noblesse, qui vont réduire à néant tous les efforts pour mettre un terme à la bataille de la Somme, par mépris pour ce garçon dont ils désapprouvent hypocritement les très efficaces méthodes, comme si eux, pratiquaient une guerre propre. La guerre que décrit Pat Mills n’a pas de héros ou de méchant... elle montre des hommes pris dans des mouvements auxquels ils ne comprennent rien la plupart du temps... et qui ne réagissent que pour survivre quelques heures de plus... Mills nous le fait vivre à travers un feuilleton romanesque extrêmement riche et bien écrit (son écriture n’a pas pris une ride), où évoluent des personnages qui nous sont désormais familiers, auxquels on s’est attachés... et pour lesquels on sert furieusement les fesses lorsque la mort approche, envahit tout et menace de les emporter. Joe Colquhoun est pour Mills un merveilleux compagnon de route, décrivant case après case la folie, le sang, les explosions, le froid, les gaz, l’amitié, les mouvements de troupe, les tranchées... dans un noir et blanc de toute beauté. On a longtemps pensé que Tardi avait été le premier à jeter un regard réaliste et adulte sur le premier conflit mondial. C’était ignorer qu’existait déjà l’œuvre magistrale de Mills et Colquhoun... merci aux éditions Délirium de nous avoir ouvert les yeux sur cette historique erreur.