Auteur libre et très décontracté, Artoupan se met à nu (ou presque) pour nous parler de son entrée dans le monde de l’érotisme en bande dessinée avec Le Mahârâja. Rencontre avec un jeune dessinateur très sympathique et plutôt beau garçon (et oui, les auteurs d’œuvres érotiques ne sont pas tous affreux et libidineux).
interview Bande dessinée
Artoupan
Bonjour Artoupan. Peux-tu te présenter aux lecteurs ?
Artoupan : Artoupan est un pseudonyme mais je préfère rester sur ce pseudonyme et ne pas donner mon nom. Pour me présenter, Mahârâja n’est pas mon premier album de bande dessinée avec Labrémure (qui est aussi un pseudonyme). On a déjà travaillé ensemble sous d’autres pseudonymes. Je suis aussi Lematou et on a fait des albums de piraterie chez Delcourt en deux volumes pour l’instant et Mahârâja est notre troisième collaboration. On avait envie de faire de l’érotisme en bande dessinée.
Peux-tu nous parler rapidement de cette série sur les pirates ?
Artoupan : L’histoire est basée sur les écrits de Daniel Defoe, l’auteur de Robinson Crusöe et il a écrit à l’époque une énorme compilation sur l’histoire des pirates et chaque chapitre est une histoire différente. Cela ressemble à une sorte de reportage historique. Ces histoires sont pleines d’informations car l’auteur ne savait pas tout sur les pirates et il n’allait pas en rajouter. Pour Delcourt, on nous a demandé de faire une adaptation littéraire et on s’est dit « pourquoi pas travailler sur une scène de pirates ? ». A travers l’histoire de ces différents pirates, on voulait aborder différentes images qu’on pouvait avoir de la piraterie aujourd’hui et on en a choisi trois. Chaque album est une histoire complète d’un de ces pirates, transformée en bande dessinée. Le premier est sur le capitaine Kidd. Il a un côté didactique ou comment un capitaine de marine va devoir devenir pirate par la force des choses. Parce que son équipage est à bout, parce qu’il a besoin de faire des prises alors qu’il était missionné par le roi et à cause des conditions de vie sur la mer, il va devoir fauter. Le deuxième est sur Barbe Noire. C’est le mythe du pirate barbare, cruel, qui joue sur une image de tueur et de terreur. C’est un personnage complètement satanique et déjanté qui génère une telle peur en face de lui que les adversaires se rendent sans combattre. L’album joue sur le côté cruel du barbare pirate sans foi ni loi. Le troisième n’est pas encore fait et est en stand bye pour le moment puisqu’on est sur d’autres choses. Ce serait sur Rackham le Rouge, le côté plus « glamour » du pirate puisque Rackham était élégant et bien habillé, d’où son surnom. C’est le dandy pirate avec un côté « bling bling » du bandit. Il y a en plus un autre intérêt : c’est qu’il y avait à son bord deux femmes déguisées en hommes, Anne Bony et Mary Read. Trois axes de la piraterie donc : le pirate sans foi ni loi, le pirate plus romantique et le pirate malgré lui.
Peut-on dire que le Mahârâja est un pirate des temps modernes puisqu’il sème le désordre autour de lui ?
Artoupan : Pas vraiment. Comme le Mahârâja est un personnage mythique, ce sont plutôt les autres qui vont projeter sur lui toutes les images et le côté fantasme de l’Inde qu’on a à l’époque. La sexualité débridée et libérée qu’on imagine avec les visions de sculptures et de miniature sortis de l’imaginaire kamasutra échauffe les esprits alors qu’en réalité là bas, ce n’est pas du tout cela : c’est très pudique et puritain. Il va débarquer dans l’Europe au début du siècle et les gens vont partir sur cet imaginaire qui est finalement plus propre aux Européens qu’à l’Inde elle-même. Lui n’est pas un pirate. Par contre, c’est un dieu vivant qui a l’habitude, même s’il y a certaines règles et certaines lois, d’assouvir ses désirs comme il en a envie. On ne lui refuse jamais rien. Il vient en touriste (même s’il a aussi des raisons pour y venir) et quand quelque chose lui plaît, il se sert.
Pourquoi utilises-tu le pseudo Artoupan ? Par peur à cause du genre érotique ?
Artoupan : Je n’avais peur de rien. Fred non plus. Avant cela, le scénariste avait fait d’autres albums, notamment pour la jeunesse. Ces éditeurs ont demandé de prendre un pseudo pour l’occasion pour éviter que le référencement google image à son nom puisse donner des images adultes. Je travaille dans un atelier où il y a beaucoup d’auteurs jeunesse et ils m’ont dit de faire attention à mon public. Cela nous faisait râler tous les deux car on assume pleinement ce que l’on a fait mais cela fait partie de notre création donc on le fait quand même. Je ne le regrette pas trop car cela me permet d‘avoir deux casquettes. Pas mal d’auteurs m’ont dit que quand tu fais dans l’image érotique, on t’en demande ensuite plus. Du coup j’ai deux casquettes et je peux sortir deux types d’albums. Avec Artoupan je peux continuer des récits érotiques et des histoires plus classiques avec Lematou. Je ne reste pas enfermé dans quelque chose.
Tu ne garderas pas ce nom pour d’autres œuvres que des œuvres érotiques ?
Artoupan : Non. Je garde Artoupan pour tout ce qui est érotique, subversif, décalé ou choquant. Lematou sera utilisé pour des histoires plus classiques ou livres jeunesse. La bd pirate s’adresse aux ados-adultes et est assez classique.
Y a-t-il une explication ou une origine au mot Artoupan ?
Artoupan : Artoupan est un mot lyonnais car je suis de cette région, de Lyon même. Cela veut dire « vaurien », « bandit » .
Pirate donc ?
Artoupan : Un petit peu oui. Pour une œuvre érotique, il faut avoir un côté vaurien, coquin. Cela tombe sous le sens.
Parlons maintenant de Mahârâja. On sait ce que peut susciter une œuvre pour adultes chez le lecteur mais qu’est-ce qu’elle provoque chez son dessinateur ?
Artoupan : Ce n’est jamais si évident. Dans l’érotisme, je pourrai faire ça de façon totalement détachée mais je ne pense pas que je serai efficace. Pourquoi dessiner une image érotique qui ne m’excite pas ? Si elle n’est pas érotique pour moi, pourquoi la serait-elle pour un autre ? Le faire de façon totalement froide, c’est une grande chance de faire un flop à ce niveau-là. Pour moi, l’idée, l’image, ce qu’il y a dans l’image et ce que l’on y voit, ça me touche. C’était donc un peu compliqué au départ mais je m’y suis fait finalement. Le fait de faire ses images là avec toute la documentation que l’on peut imaginer dans un atelier où il y a du monde, tout cela m’a permis d’être complètement à l’aise avec ça. Au départ, il y a de la pudeur et finalement j’ai eu une légère distance avec ce que je faisais.
Tu as dédicacé ton album à des femmes. Etaient-ce des modèles ?
Artoupan : C’est un peu pour plaisanter au départ. J’ai quand même été un peu aidé cependant, je suis désolé car les lecteurs seront déçus mais j’avais besoin de poses pour les mains pour avoir des postures et gestuelles de mains féminines que je ne peux pas faire naturellement.
La beauté du dessin et des couleurs de ton album le classerait plus comme œuvre érotique et non pornographique. Es-tu d’accord avec ça ?
Artoupan : Souvent oui même s’il y a aussi des gens qui trouvent que c’est pornographique car il y a des plans très crus qu’on pourrait voir dans un film pornographique. La différence entre érotisme et pornographie, pour moi, dépend de chacun. Cet album pourra être classé en érotisme pour certains et en pornographie pour d’autres. Pour beaucoup de gens, la frontière entre les deux est finalement faite depuis qu’il y a eu la loi de censure qui a catégorisé les films. Si on montrait certains éléments, on était classé X. C’est du coup très dommage car les gens ne s’interrogent pas sur leur propre sensibilité érotique. Pour Mahârâja, j’ai eu les deux sons de cloche. Des lecteurs étaient surpris qu’on le considère comme pornographique et pourtant, certaines images sont assez crues.
Pourquoi choisir l’Inde comme toile de fond ?
Artoupan : Depuis très longtemps on a le projet avec Fred (Labrémure) de faire une histoire en Inde en bande dessinée, plus particulièrement l’Inde coloniale. Au départ, on pensait que cela serait amusant de faire un spin off érotique avec l’image qu’on a du kamasoutra. D’ailleurs, j’ai lu le kamasoutra et ce n’est pas un recueil de positions ou un livre spécialement érotique en soit. Les éditeurs ont apprécié le projet donc on l’a développé. Il y a des choses qui m’attirent là bas même si je n’y suis jamais allé. C’est du rêve, de l’imagination. Il y a un coté magique et en même temps très kitch mais qui peut avoir une élégance. Des fois, c’est trop pour moi mais j’aime beaucoup l’architecture, la sculpture et beaucoup de miniatures et il y a des films Bollywood que je trouve très beaux.
Est-ce que tu vas prolonger l’aventure dans le domaine érotique ?
Artoupan : On continue à collaborer avec Fred car j’aime les histoires qu’il me propose. On est sur un album qui va sortir chez Clair de Lune en cette fin d’année et qui est dans la même veine que Mahârâja. L’histoire se passe au début du XXème siècle qui commence à Paris et qui continue sur l’île de Capri. On est dans un contexte d’espionnage dans Mahârâja alors qu’ici ce sera un polar, un casse ou une vengeance. On retrouve un personnage qui ressemble beaucoup à la directrice parce que j’aime bien les rousses. Ce sera une voleuse de grande classe à l’Arsène Lupin qui se fait contacter par d’autres protagonistes de l’histoire pour réaliser un casse. Le projet est en cours et je suis aussi en train de faire un livre avec une personne qui se lance dans l’écriture et les textes érotiques. Elle s’approprie les personnages de Valmont et Mertueil des Liaisons Dangereuses et elle imagine qu’un éditeur vient les voir pour qu’ils réalisent une sorte de précis d’éducation pour leur faire partager leur vision de l’amour et de l’érotisme. L’époque est indéterminée et on va en faire des personnages intemporels pour garder leur personnalité et ce qu’ils véhiculent. Cela donne un livre dialogué comme dans le théâtre avec parfois des indications de gestes ou des précisions sur le lieu et ils vont discourir sur un sujet particulier. Ces textes ou petits articles sont accompagnés d’une illustration, un petit cabochon ou une pleine page et en respiration entre une suite d’articles, un strip de bd un peu décalé par rapport à ce qu’il se passe dans le reste de l’histoire.
N’as-tu pas peur de devenir schizophrène entre tes deux identités Artoupan et Lematou ?
Artoupan : Non car je ne cache rien. Je ne fais pas partie de ces auteurs qui ont pris un pseudo pour se cacher : j’assume tout ce que je fais. Je suis un peu comme un éditeur qui a deux collections.
Si je te donnais (ou si le Mahârâja te donnait) le pouvoir de rentrer dans la tête d’un auteur, qui choisirais-tu et pour y trouver quoi ?
Artoupan : Je n’aimerai pas rentrer dans la tête d’un auteur même si c‘est un univers qui m’attire. Je préfère que ça garde son mystère et reconstruire moi-même tout ce que je peux imaginer qui se passe dedans. Je n’ai pas envie de savoir tout absolument, trouver la recette miracle qui me permet de faire mon travail. J’aime qu’il y ait une part d’Obscurantisme dans la vie. Si j’avais ce pouvoir, je ne l’utiliserai pas.
Merci Artoupan