interview Bande dessinée

Jarry, Lapeyre et Brants

©Delcourt édition 2003

Jeunes auteurs à l'origine des Chroniques de Magon, Nicolas Jarry (au scénario), Guillaume Lapeyre (au dessin) et Elsa Brants (aux couleurs) ont accepté de nous éclairer sur la genèse de leur oeuvre...

Réalisée en lien avec l'album Les chroniques de Magon T1
Lieu de l'interview : Festival Delcourt à Paris-Bercy

interview menée
par
17 novembre 2003

Bonjour ! Comme vous commencez tout juste sortir des BD, on voulait s'attacher à la genèse de votre trio et sur sa première réalisation : Les Chroniques de Magon. Pour entrer dans le vif du sujet, Quel est le parcours méandreux qui vous a amené à être scénariste ou dessinateurs de BD ?
Nicolas Jarry : A la base, je suis écrivain. J'ai édité des romans aux Editions Mnémos. J'ai un copain qui voulait faire de la BD et petit à petit, j'ai rencontré Jean Luc Istin, Christophe Arleston. C'est d'ailleurs ce dernier qui voulait éditer une petite histoire 'Guillaume et Elsa' dans le Lanfeust Mag. Ca a été le point de départ pour une grande histoire chez Soleil (Les brumes d'Asceltis). Le projet des chroniques de Magon n'a pas été accepté chez eux, par contre, mais chez Delcourt, ils ont tout de suite été ok. Le projet n'était pas assez lumineux pour Soleil, et puis on était un peu en dehors de leur cible. En fait, on a fait deux versions des Chroniques de Magon. La première, on l'a arrêtée au bout de 23 pages. Puis, on a tout refait. Le deuxième résultat a été tout de suite accepté par Delcourt. Le contrat a été signé en 3-4 jours !
Guillaume Lapeyre : Moi, je dessine depuis tout petit. J'ai eu un petit passage à vide pendant quelques années, et puis Elsa Brants, ma compagne, qui faisait déjà de la couleur, m'a rebranché sur le dessin. Elle m'a redonné goût à la BD, et je me suis dis que c'était ce qu'il fallait que je fasse. C'était en 1998. On a écume ensemble les festivals de la région pour prendre des avis d'auteurs. Après un rendez vous au Gotferdam Studio avec Christophe Arleston, ce dernier nous a mis en contact avec plusieurs scénariste. Ce que nous a proposé Nicolas Jarry nous a tout de suite plu. On a fait une petite apparition Elsa et moi dans les Contes du Korrigan, tome 2, paru chez Soleil, avec Ronan Lebreton au scénario. Et puis maintenant, les Chroniques de Magon.
Elsa Brandts : Moi depuis l'âge de 12 ans, je ne voulais faire que de la bande dessinée, c'était une obsession. J'ai fait une histoire de 900 planches, pour m'amuser, à moitié manga, à moitié Gotlib. Je faisais ça pendant mes week-ends, mes vacances. Je dessinais, je faisais mes couleurs. Après cette BD, j'ai créé une association de BD avec 4 personnes. Au fur et à mesure, d'autres auteurs nous ont retrouvés, dont Guillaume. Comme il avait beaucoup de talents en dessin, je me suis associé à lui pour lui faire ses couleurs. Ca fonctionne bien comme ça : j'ai beaucoup de choses à dire sur ses dessins. En couleur, j'ai juste fait Les brumes d'Asceltis, Les chroniques de Magon et un conte de l'album Les contes du Korrigan, tome 2. Aujourd'hui, on travaille sur Les fées de Broceliandes, un album autour des légendes liées à la forêt de Broceliande. C'est très gentil, très joli, moi j'adore ! Ce sera tout public, contrairement aux Chroniques du Magon qui n'est pas à mettre dans des mains trop jeunes.

Comment naît l'idée d'un scénario de BD dans une tête de bédien-scénariste ?
Jarry : Par exemple pour les Chroniques de Magon, je connaissais les penchants de Guillaume. Plutôt SF, un petit peu manga, et un petit peu sombre. J'ai eu l'image d'une masse de chair qui enfantait une bestiole dans une cave. A partir de là, je me suis posé les questions pourquoi, comment, et je suis arrivé pièce par pièce, comme un puzzle, à construire l'ensemble. Mais chaque BD est différente. Parfois, j'ai une envie plus globale de la chose et je vais vers le détail. Là je suis parti d'un détail, et j'ai construit le tout.

Une fois l'idée née, comment la développez-vous ? Brainstorming ? Sous quelles formes ? (story board, résumé, dialogues, fiches personnages…)
Jarry : Je griffonne sur un calepin d'une centaine de pages, je laisse reposer, puis je tape tout à l'ordinateur. Pour les Chroniques de Magon, Guillaume à récupéré un espèce d'amas entre roman et découpage BD. Beaucoup de boulot pour lui. Le fait d'avoir déjà écrit des romans m'aide bien, car ça m'a appris à structurer mon histoire. Mais 46 planches, ce n'est pas pareil qu'un roman de 500 pages. Il faut réduire !

Est-ce que le scénario est revu par le dessinateur, et vice et versa ? Avez-vous votre mot à dire sur le travail de l'autre ?
Lapeyre : Nicolas m'a donné d'emblée ce que j'attendais d'une BD. Il n'y avait rien à changer. J'espère que ça va durer !
Jarry : Mais indirectement, il m'a influencer par son dessin car c'est à partir de là que j'ai écrit le scénario.

Quelles sont vos sources d'inspiration ?
Jarry : Tout et rien. Blade runner évidemment, mais aussi Transperceneige, une BD qui se passe dans la glace. On ne peut pas trouver plus morbide ! Mais pleins d'autres choses également. Au bout d'un moment, c'est difficile de savoir quoi influence quoi. Mais je me pose pas de questions quand j'écris. Tant que ça colle à mon monde, je me pose pas la question.
Lapeyre : Je suis une grosse éponge. Tout ce que je trouve beau, j'essaie de l'intégrer dans mon dessin. Je suis de la génération Club Dorothée. J'ai été nourri au manga. Y'a du Akira dans mon dessin. C'est quand même Dragon Ball qui m'a donné envie de faire du dessin. Personnellement, je suis à fond manga. Il y a des bonnes choses et des mauvaises choses, dan le manga. Exactement comme pour la BD franco-belges.

Comment travaille t-on l'univers graphique d'une BD ? Faites vous beaucoup d'essai avant de trouver le bon univers ?
Lapeyre : Dans mon cas, c'est par tâtonnement. On fait des études, on réfléchit. Je soumets à nicolas. Pour la " relique " des Chroniques du Magon, on est passé du monstre en décomposition au robot avec pistons apparents, pour finir par la définitive, ou on ne voit rien de cybernétique. Nicolas m'aide également. Il me dit qu'il faut que ce soit grandiose au niveau de l'architecture. Mon boulot consiste à pourrir la vision de Nicolas. Quelle réjouissance de pourrir quelque chose d'aussi beau ! Ce n'est pas onirique, poétique et dramatique.

Et Elsa, comment parvenez-vous à des couleurs si fines ?
Brants : Pour la première version, j'ai utilisé Photoshop. J'étais très limité par les possibilités du logiciel, et j'ai choisi finalement Painter, beaucoup plus intuitif, qui réagit comme si on utilisait un vrai pinceau. Tout est entièrement fait à l'ordinateur. Mais c'est quand même moi qui travaille, attention ! Pour notre projet Les fées de Brocéliande, j'ai encore utilisé un procédé différemment. J'ai effacé les traits de crayon du décor, façon peinture, et les personnages sont en aplat à la Myasaski. Je mets environ 2 à 4 jours par planches.
Lapeyre : Moi je mets un jour et demi par planche. Je n'aime pas passer plus de temps sur une seule planche, sauf quand il y a beaucoup de détails à dessiner. Je suis du genre à préparer beaucoup les story-boards de la mise en scène, mais après, ça va assez vite.

Parlez nous de vos personnages Asmo et Giss, dans les Chroniques de Magon.
Lapeyre : Asmo plait aux filles.
Brants : Il est très mignon !
Lapeyre : Le coté ado et gentil vauriens de Asmo peut effectivement plaire aux femmes. Un peu comme Harrison Ford dans la Guerre des étoiles. C'est toujours les " bad guy " qu'on préfère aux héros. Pour moi, c'est juste un petit con qui se la pèteJ, qui arrive badaboum c'est moi.
Brants : Par rapport à Giss qui est posé et particulièrement mature, ça fait un couple équilibré.
Lapeyre : Giss c'est un pauvre gars à la place de qui je n'aurais pas aimé être. Trahi par sa copine, le pauvre. Et ça va continuer !

Que représente un personnage BD pour ses auteurs ?
Brants : Ça fait partie de moi, même si je ne le dessine pas. C'est mon enfant, j'ai passé du temps dessus. J'ai une grande relation avec eux.
Lapeyre : Pour moi, c'est un moyen d'exprimer des choses comme je les ressens à partir du scénario. Il y a peut-être une part de ce que j'aimerai être. Un petit con, avec un peu plus d'assurance J. Petit, j'étais plutôt réservé et timide, lui est exubérant.

A quoi faut-il s'attendre pour la suite des Chroniques de Magon ?
Lapeyre : Les Chroniques de Magon couvriront a priori 5 tomes. On quittera le centre de la ville de Magon dès le second tome. Ensuite on partira carrément de la ville. On pourra notamment s'apercevoir que la guerre sévit aux portes de la ville.

Une petite anecdote sur le travail réalisé sur cette BD ?
Lapeyre : Une anecdote cocasse qui fera rire tout le monde sauf moi. J'ai fait 32 projets de couverture. Et au final, on a imprimé la première…

Si vous étiez des bédiens, quels seraient les bds que vous aimeriez faire découvrir au terriens ?
Lapeyre : Akira, bien que j'hésite avec Dragon Ball.
Brants : Du Gotlib !
Jarry : Le Rige de la Quête de l'oiseau du temps.

Si vous aviez le pouvoir cosmique de vous téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui auriez-vous élu domicile ?
Brants : Myasaki, l'auteur notamment de Princesse Mononoké.
Lapeyre : Tous les auteurs de BD qui vendront plus que moi. Donc pour l'instant, potentiellement tous :-)
Jarry : Je voudrais être Christophe Arleston, s'il vous plait !

Nous autres bédiens, on aime la BD (évidemment). Et comme vous êtes les auteurs de la matière première qui nous nourrit, on ne peut que vous être reconnaissant. Un grand merci donc pour ce moment passé avec vous. Et à bientôt pour la suite de vos aventures !