2008 est une année riche pour Jerry Frissen, avec pas moins de 8 albums dont 7 en rapport avec la Lucha Libre, le collectif phénomène de ces derniers mois. Il faut dire qu’avec son approche décalée et son univers foisonnant, le succès mérite d’être au rendez-vous. A priori, il semblait difficile de rencontrer le scénariste qui réside à Los Angeles, mais grace au net, cela fut possible. Découvrez dès à présent le fruit de cette cyber-rencontre !
interview Comics
Jerry Frissen
Pour commencer, peux-tu te présenter, ta vie, ton œuvre, tes positions sexuelles favorites, comment en es-tu arrivé à faire de la BD…
Jerry Frissen : Je voulais déjà faire de la BD quand j’étais gosse. Plus tard, je me suis retrouvé à Saint-Luc à Bruxelles dans leur section BD. J’ai profondément détesté ça et j’en suis parti après un peu plus d’un an, en jurant de ne même plus jamais lire une BD de ma vie… J’ai tout de même recommencé à en lire quelques années plus tard. Et c’est beaucoup plus tard, alors que je bossais aux HUMANOS comme graphic designer que l’envie d’en faire est revenue. Etant dans la place et connaissant les petites habitudes de tout le monde, il a été facile de faire du chantage et d’être ainsi publié.
Quelles sont tes influences ?
JF : Si c’est en BD, pas grand chose. Chaland sans doute, Reiser surement et plus largement le Metal hurlant de Dionnet, que je considère d’ailleurs comme mon père spirituel. J’aime lire des bandes dessinées mais s’en influencer quand on en fait, c’est un peu comme faire des enfants entre cousins, c’est pas très sain. Hors BD, je suis passionné par certains comédiens américains comme Bill Maher, Bill Hicks ou George Carlin, dont les shows m’ont beaucoup marqué. La musique a aussi beaucoup d’influence sur moi. Le cinéma d’horreur des années 70 m’a également beaucoup marqué : Cronenberg, Romero, Fulci, Carpenter, etc. Il y a aussi quelques séries télé comme Luckie Louie, Arrested development ou King of the hill qui ont eu pas mal d’ascendant sur mon travail. J’aime bien aussi écouter les gens parler, il y a des tas de trucs que j’entends qui se retrouvent tel quels dans mes scénarios. Les Américains ont toujours des tas d’histoires à raconter. Par exemple, dans chaque soirée où je me retrouve, il y a toujours au moins un gars qui a fait une guerre ou l’autre et ils ont des souvenirs incroyables. Ce sont des mines d’or pour scénaristes.
On t’a découvert avec Les zombies qui ont mangé le monde... comment présenterais-tu cette série à quelqu’un ne la connaissant pas ?
JF : Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi les zombies étaient forcément méchants. Je voulais que les miens soient comme les vivants : gentils, méchants, bêtes, brillants, etc. Le truc, c’était de se demander ce qu’on ferait avec tous ces morts qui reviennent à la vie. C’est probablement une vision assez réaliste de ce que serait la vie avec les morts.
Comment es-tu rentré en contact avec Guy Davis ?
JF : Après avoir écrit le premier chapitre, les HUMANOS m’ont demandé avec qui j’aimerais bosser. Je venais d’acheter un bouquin de Guy alors j’ai proposé son nom. Ils l’ont appelé et il a accepté. C’est un type formidable et extrêmement gentil.
Quels sont les retours sur cette série ? Y aura-t-il une suite, sur le site officiel, on parle de fin de cycle…
JF : Je bosse sur la suite. Les ZOMBIES devraient connaître de gros développements dans le futur.
Question culture : Jerry, quel est selon toi le meilleur Peter Jackson : Brain dead ou Bad Taste ?
JF : J’aime bien les deux mais mon préféré, c’est Meet the feebles, il n’y a pas beaucoup de films aussi ultimes.
Question sociale : faut-il côtoyer réellement un ou plusieurs zombies pour parvenir à en retranscrire aussi bien le quotidien ?
JF : Il suffit d’être né en Belgique ou d’y avoir vécu quelques temps. Il y en a beaucoup là-bas. Il y a des endroits qui sont de véritables élevages. Il y en a par exemple des centaines de milliers qui traînent en pantoufles dans les administrations. Quelques mois dans cet univers et vous perdez tout espoir de différencier encore la vie de la mort. En Belgique, un bon fonctionnaire est un fonctionnaire mort. Entre le moment où j’étais déserteur et le moment où j’ai été réformé, j’ai passé un jour et demi dans l’armée belge, c’est aussi un incroyable rendez-vous de morts-vivants. C’était –avec le recul– une expérience fantastique, une plongée dans un monde d’un sinistre absolu, un monde sans espoir fait de couloirs vides et sales, de types qui se déplacent plus lentement que le reste de leurs contemporains, de bureaux désaffectés, etc. J’y ai vu des gens assis… Je veux dire, juste assis sur une chaise et qui regardent devant eux sans rien dire. En y repensant, j’ai presque des regrets de ne pas y être resté plus longtemps parce que j’aurais de quoi écrire sans peine pas mal de volumes.
Question religion : Selon toi, Jésus est-il toujours un zombie, aujourd’hui, quelque part sur terre ?
JF : Les zombies sont ceux qui suivent Jésus.
Question famille : Jerry, à ton avis, ta belle-mère est-elle déjà un zombie ?
JF : Non, pas encore. En tout cas, si c’est le cas, on ne m’a rien dit.
Question culinaire : Avec les frites, mayo ou sauce samouraï ?
JF : Je ne mange pas –plus– de truc frits, mais ça n’a rien à voir avec mon pays d’origine.
Question poétique : Quel zombie emmènerais-tu avec toi pour le restant de tes jours sur une île déserte ?
JF : L’idée de l’île déserte, c’est d’y aller seul.
Question technique : Selon toi, deux zombies qui s’aiment sont-ils nécessairement nécrophiles ?
JF : Oui.
D’où t’es venu l’idée de faire un comics sur la Lucha Libre ? Peut-on parler d’une véritable passion pour toi ?
JF : En fait, la première idée était de parler de Los Angeles. Je vis dans East LA, une partie de la ville avec une très grosse proportion sud américaine. Donc prendre des personnages d’origine latino était assez logique. J’ai toujours bien aimé la lucha libre, principalement à cause de ce qu’il y a autour du sport : les masques, les films, les jouets, les affiches et surtout le public. Quand j’assiste à des combats de catch, je prends pour finir plus de plaisir à voir le public que les combats. Mon idée pour Lucha libre, le comics, était de parler de gens qui aiment ça. Mais le concept derrière Lucha libre était en fait un concept culturel. J’avais dans la tête l’idée de créer une sorte de tour de Babel en BD. Je voulais tout mélanger, même ce qui peut paraître comme totalement indigeste. En fait, chaque auteur qui nous rejoint apporte son propre univers, ses propres idées. Ça devient une sorte de trou noir qui aspire tout. Chaque auteur est fondamental parce qu’il pervertit la vison des autres et surtout la mienne en fait. Chaque auteur à sa propre vision et transforme le projet. Lucha libre ne m’appartient pas, plus. C’est une sensation très agréable. Tout ce que je peux revendiquer, c’est d’avoir été au début, c’est moi qui ai mis le feu. Je suis le sperme et les autres sont les œufs ! Bientôt ils se reproduiront sans moi.
Quel est ton degré d’implication au quotidien, on te voit souvent mettre la cagoule… Des combats ont-ils eu lieu ?
JF : J’aime pas ma gueule alors un masque, c’est parfait.
Quelle est ta prise de catch favorite ?
JF : J’ai arrêté de me battre il y a bien longtemps. Mais parfois, je pense à faire un come back. Le pain dans la gueule est un excellent moyen de régler les problèmes.
Comment as-tu sélectionné ta joyeuse équipe ?
JF : Ce n’est pas une sélection, c’est un concours de circonstances. J’avais vu des pages de Bill et je lui ai proposé un script. C’est lui qui m’a envoyé Gobi et il est venu avec le personnage de Tequila quasi fini. Fabien nous a rejoint un peu après. J’avais rencontré Witko à Angoulême et je lui ai proposé de faire partie du truc. Inès Vargas est une amie de longue date et j’ai contacté Hervé Tanquerelle par mail.
Lucha Libre, c’est aussi un édito enflammé et trash, as-tu déjà eu des retours (bons ou mauvais) sur cet exercice ?
JF : Je pensais que ça passerait complètement inaperçu mais j’ai pour finir pas mal de retours, plutôt bons jusqu’à présent. C’est marrant en fait, je peux raconter les trucs les plus abjects et ça n’a pas l’air de poser de problèmes à qui que ce soit.
Selon les numéros, il y a aussi d’autres intervenants, Ohm, Mickael Roux… Comment les choisis-tu ? Y a–t-il de futurs surprises pour les futurs volets ? Une nouvelle série récurrente ?
JF : Je leur demande gentiment. Il y a aussi bien sûr des gens qui refusent. A l’avenir, il va y avoir effectivement quelques auteurs en plus, des gens avec qui j’avais envie de bosser depuis longtemps. Ils devraient travailler sur des trucs plus conséquents que des histoires courtes.
Trois séries sur les cinq vont sortir en volume relié prochainement, une volonté personnelle, un choix éditorial ?
JF : C’était prévu depuis le départ.
Profesor Furia et les Luchadoritos y auront-ils droit eux aussi ?
JF : Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas.
Est-ce que sortir un mag comme Lucha Libre en France n’était pas un gros risque à la sortie ?
JF : Oui bien sûr, mais les Humanos ont eu les couilles –ou l’inconscience– nécessaires pour le faire et je leur en suis extrêmement reconnaissant. C’était le moment où tous les éditeurs cherchaient un truc pour avoir une présence plus régulière dans les librairies et Lucha libre était leur tentative. Deux ans plus tard, on est toujours là, c’est chouette.
En combien de tomes prévois-tu la Lucha Libre ?
JF : Je ne sais pas, je n’y ai jamais pensé. Pour le moment il n’y a pas de raison que ca s’arrête. Tant qu’on y prend du plaisir.
En tant que scénariste unique, tu assures l’unité de l’univers graphique mais n’envisages-tu pas de laisser la plume à d’autres (sur des histoires autres que Furia) ?
JF : Oui, j’aimerais bien mais je ne sais pas vraiment à qui demander. Je réfléchis.
Qui a eu l’idée des figurines ? Que penses-tu du résultat ?
JF : C’est un ami, qui est maintenant mon associé, Robert Silva. Il a eu un grand flash en voyant la première illu de Tequila. Il m’a convaincu qu’on devait en faire. Je suis très content des résultats. C’est un truc où on a mis toute notre énergie et toutes nos exigences. On a travaillé juste pour faire ce qu’on voulait faire sans la moindre considération économique. Mes finances personnelles en sont la preuve. En fait investir ses propres moyens, c’est la meilleure façon de se battre au maximum et d’avoir un résultat proche de ce qu’on avait dans la tête. Je trouve ça plus pur, plus beau.
Quel est ton personnage favori ?
JF : Ça change tout le temps, ça suit ce que j’écris. Je suis toujours très content de retrouver un personnage dont je n’ai plus parlé depuis longtemps. J’aime bien les personnages qui sont des monstres touchants, qui sont souvent douteux mais qui sont sincères quand même. Souvent, j’ai une préférence pour les gros gentils, des types un peu usés et dépassés mais qui sont toujours partant pour se lancer dans des histoires improbables, comme le Dr. Pantera par exemple. J’aime bien aussi les types qui ont l’air stupide et qui ne comprennent rien mais qui sont très sûrs d’eux malgré tout.
Tu as un rapport assez proche avec le monde de l’animé, tu as fait un court métrage pour les Zombies… (voir là : www.humano.com/zombies/video.php ), veux-tu en faire de même avec La Lucha Libre ?
JF : C’est sans doute le monde de l’animé qui a un rapport proche avec moi parce que dans l’autre sens, je n’y connais rien ou presque. Je regarde ce que Gobi –qui a très bon goût– me fait voir mais à part ça… Le projet des Zombies est un projet qui court depuis longtemps. Ces derniers mois, il y a eu pas mal d’évolutions et j’ai bon espoir que ça finisse par entrer définitivement en production. Pour ce qui est de Lucha libre, il y a de gros projets audio-visuels en cours, dont un film en live action et une série animée. Mais c’est malheureusement très lent à avancer. Hollywood est tout sauf rapide, mais au moins on mange dans de bons restaurants –pas de trucs frits– et on rencontre des gens intéressants.
Quels sont tes autres projets ? A plus ou moins long termes ? On veut un scoop !
JF : Avec les développements de Lucha libre et des Zombies, les jouets, etc, je n’ai plus des masses de temps. Le seul projet auquel je pense n’a rien à voir avec de la BD, je veux partir m’installer dans le désert.
Depuis que la série est sortie aux Etats-Unis, elle a déjà été nommé aux Eisner Awards. Pas pris la grosse tête ?
JF : Je suis trop vieux pour ça.
Quel est ton ressentiment sur le milieu de la BD, les comics, les mangas ?
JF : J’habite à plus de 10 000 kilomètres de la moindre librairie de BD, je n’ai donc qu’un regard très lointain sur tout ça. Je ne sais pas vraiment ce qui se passe dans le milieu de la BD. Ça me convient très bien en fait.
Quels sont tes derniers coups de cœur en BD ? Mais aussi les pires flops selon toi.
JF : J’aime beaucoup des auteurs comme Winshluss, Blanquet, David B. Un truc qui ne cesse de m’épater ce sont les mangas de Junji Ito ou ceux de Kazuo Umezu. Mais tout ca n’est pas super récent… J’ai vraiment bien aimé Bigfoot de Nicolas Dumontheuil ou Biotope de Bruno et Appollo.
Si tu pouvais changer quelque chose dans un de tes titres, que referais-tu ?
JF : Comme je ne peux rien changer, ce n’est même pas la peine d’y penser.
Si tu avais le pouvoir de te téléporter dans le crâne d’un auteur de BD, qui souhaiterais-tu visiter ?
JF : Si j’avais ce pouvoir, je ne crois pas que j’irais faire un tour dans ce genre de crâne… S’il faut vraiment, Jack Kirby peut-être ou Richard Corben certainement ou Maruo, mais je ne crois pas que je m’en remettrais.
Si tu n’avais pas fait de la BD, qu’aurais-tu fait ?
JF : Gynécologue amateur.
Quelle est la question que l’on ne t’a jamais posée et à laquelle tu meurs d’envie de répondre ?
JF : Est-ce que tu es schizophrène ?
Vas-y, tu peux y répondre !
JF : Qui ? moi ?
Merci à toi Jerry !