interview Bande dessinée

Kara

©Soleil édition 2009

Une enfance « difficile » passée devant les dessins animés nippons est à l’origine de la passion et des influences de Kara. Cet auteur complet, qui aime rien tant que brasser des genres hétérogènes (philosophie, ésotérisme, action, science-fiction, antiquité…) nous a déjà livré le Miroir des Alices et le Bleu du ciel (en cours). Il nous a accordée une petite interview (cyber, bien entendu…), et il est prolixe, le Kara ! Quoi de plus normal venant de la part d’un journaliste BD…

Réalisée en lien avec l'album Le bleu du ciel T2
Lieu de l'interview : le cyber-espace

interview menée
par
23 juin 2009

Pour commencer, peux-tu nous décrire ton parcours, comment en es-tu arrivé à faire de la bande dessinée ?
Kara : D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours dessiné. C’est en découvrant les dessins animés nippons à la TV française que j’ai su que je travaillerai plus tard dans ce domaine. Domaine hélas peu développé en France jusqu’à la fin des années 80, début 90. Hormis quelques séries et films sortant du lot, ce type de production n’offrait pas de grands débouchés. Surtout qu’à l’époque, je voulais faire des œuvres plutôt adultes et matures. J’ai donc étudié dans des écoles de publicité et même la section story board des Gobelins. Finalement, je me suis orienté vers la BD qui m’offrait le loisir de créer librement des univers complexes et personnels.

© Kara - MC Productions - Le Bleu du ciel T2

Ton style est très influencé par l’univers des mangas…
Kara : Cette influence n’est pas que graphique, elle est aussi dans ma façon de concevoir mes univers, mes personnages, ma narration. J’ai beaucoup appris des mangas dans la façon surtout de voir le monde qui m’entoure. C’est peut-être pour cela que je n’hésite pas à mélanger les genres dans mes récits. En Occident, un récit d’action est forcément décérébré, et un récit introspectif est forcément élitiste. Pourtant, dans les mangas, on peut faire des scènes d’action, tout en ayant un discours philosophique. C’est ce mélange que j’essaye d’avoir dans mes récits. Graphiquement, il fut un temps où les influences graphiques nippones n’étaient pas considérées comme quelque chose de noble. Si les jeunes auteurs d’aujourd’hui sont influencés par le manga, les auteurs de ma génération (30-35 ans) sont plutôt influencés par l’animation japonaise. C’est une nuance plutôt importante. En effet, notre « génération » essaye de retranscrire les mouvements même d’un dessin animé sur un support papier. Alors qu’un dessinateur plus jeune s’inspire directement du manga et de ses modes de narration. Par contre, contrairement à nous, il se sent peut-être plus attiré d’une certaine façon par le noir et blanc plutôt que la couleur. C’est du moins ce que j’ai observé autour de moi. Bien entendu, je ne dis pas que l’un est meilleur que l’autre. Ce sont juste deux types d’influences différentes mais parfois complémentaires. A mon sens, il est strictement impossible pour un dessinateur ou un artiste en général de ne pas être influencé par des éléments extérieurs tels que des cultures différentes, un environnement social et religieux, l’actualité, ses proches, etc. Donc autant essayer de tirer le meilleur parti des toutes ces influences, les comprendre le mieux possible, les assimiler pour ensuite, avec le temps en sortir quelque chose de personnel et pertinent.

© Kara - MC Productions - Le Bleu du ciel T2Quelles sont tes influences ?
Kara : Elles sont avant tout internationales. Je peux très bien utiliser des armures allemandes du 16e siècle pour les croiser avec de la mode gothique lolita du 21e. J’utilise par exemple l’influence de la couleur des peintres romantiques du 19e siècle dans des décors de l’antique Jérusalem. Décors dont les textures de pierre sont inspirées du travail d’Edgar P. Jacobs, avec des angles de caméra très hollywoodiens tirés des péplums des années 1950-60. Le truc est d’essayer de donner un côté homogène à toutes mes influences, d’essayer là encore d’en retirer quelque chose de personnel.

Est-ce que tu suis une démarche artistique particulière ?
Kara : Je cherche à diversifier ma documentation. Cela passe par des recherches sur le net, où chiner dans des librairies. Je fouille aussi dans ma propre bibliothèque où se croisent des livres d’Art Nouveau avec des études de méchas d’Evangelion. Je me pose toujours cette question lorsque je conçois un dessin : « OK, qu’est-ce que je peux faire pour l’améliorer ? Puis-je aller plus loin ? ». Bien entendu, il ne faut pas y passer des lustres car il faut tenir des délais. Mais au-delà de la forme, je travaille le plus possible le fond, l’introspection, les caractères. Je ne crée jamais de personnages blancs ou noirs. Je leur colle plein de défauts, je les rends les plus « humains » possible pour que le lecteur puisse au moins ressentir quelque chose pour eux. Aimez mes personnages, détestez-les, moquez-vous d’eux, soyez tristes s’ils meurent, mais ressentez quelque chose !

© Kara - Crash system - Nadia and the secret of Blue waterQuels sont tes futurs projets ? Après le 3e Bleu du ciel ?
Kara : Il est fort probable que j’arrête pour un temps les récits d’introspection pour me diriger vers des travaux plus grand public et jeunesse, avec sans doute un scénariste externe. On réfléchit avec Soleil sur un projet qui serait un exercice de style manga mais en couleurs. Vous pouvez voir quelques une de mes recherches en ce sens sur mon blog.

Tu as longtemps exercé en tant que rédacteur chez Bodoï et Animeland, y travailles-tu toujours ? Comment trouves-tu le temps d’exercer en parallèle ces deux activités ?
Kara : Je continue de travailler effectivement pour ces deux magazines. Pour Animeland, c’est très sporadique. Je propose parfois des sujets, ou alors ils me contactent quand ils pensent que tels ou tels animes peuvent m’intéresser. Pour Bodoï, je continue d’écrire des chroniques plus ou moins régulièrement, au moins trois par mois, voire plus si je peux. Une chronique me prends à peu près une heure, entre l’écriture, la préparation des documents (extraits, fiche technique, etc.) et l’envoi à la rédaction. Donc cela ne me prend pas autant de temps que cela. Dans mes chroniques, je mets surtout en avant l’analyse et le ressenti. Je veux simplement partager ma passion. Alors dans mes articles, je donne certes quelques informations pratiques (qui est l’auteur, comment est faites telle œuvre, etc.) mais j’insiste surtout sur ce que j’ai ressenti à la vision d’une œuvre, pourquoi je l’ai aimé, pourquoi elle m’a touché. Je déteste les chroniques où à la fin, on ne sait toujours pas si le rédacteur a aimé ou pas ! A Bodoï, on m’a également appris à être le plus clair et accessible possible. Inutile de mettre tous les mots du dictionnaire dans une phrase pour que celle-ci fasse « riche ». Etre rédacteur ou pédagogue à mon sens, c’est être capable d’expliquer des choses « complexes » avec des termes simples et accessibles.

Ton trait s’affine d’albums en albums, est-ce que tu suis une démarche artistique particulière ? Est-ce que tu penses avoir passé un cap à un moment ?
Kara : Un cap en particulier, peut-être pas… A part peut-être, celui d’avoir abandonné l’encre pour le porte mine. En fait, jusqu’en 2001, j’utilisais l’encre pour finaliser mes dessins. Le résultat me convenait mais donnait parfois un trait assez épais à mes personnages. J’alternais la plume et le pinceau puis au final, avec les progrès des scanners, j’ai finalement opté pour une finalisation au crayon à papier, puis au porte-mine. Il suffit alors de scanner le dessin et de jouer sur les niveaux de noir et de blanc, et le résultat ressemble à un encrage classique, mais avec une petite « vibration » supplémentaire propre aux mines graphites. J’ai alors affiné mon trait le plus possible sans pour autant aller jusqu’à la ligne claire. Je travaille actuellement au porte-mine 0.3 mm, ce qui me donne un trait fin comme dans certains mangas, tout en jouant sur les hachures, voir des aplats de noirs issus de l’école de BD occidentale. Je navigue alors entre trois styles : le semi-réaliste qui est mon style « personnel », l’exercice de style manga, et le cartoon que l’on me demande quasiment jamais. Ce qui est dommage car quand je l’utilise, il est plutôt apprécié, surtout quand je caricature des figures propices aux clichés comme pour un jeu que j’ai fais sur la Ruée vers l’or : Boomtown. J’ai dessiné des cow-boys, des chercheurs d’or, de jolies indiennes, etc. Le jeu est même sorti aux USA. Vous pouvez en voir quelques extraits sur mon site officiel.

© Kara - MC Productions - Le Bleu du ciel T2

Quelle est la question que l’on t’a le plus posée ?
Kara : Celle qui a un rapport sur mes influences mangas. Mais depuis la sortie du second tome du Bleu du Ciel, on m’interroge souvent sur le mélange des genres que j’effectue dans mes scénarios. Oui, il est possible de faire des récits d’action avec un scénario adulte, mature et introspectif. Non ce n’est pas « sale » de faire des scènes d’action funs et premier degré, où l’image est avant tout une expérience viscérale et émotionnelle. Non, populaire n’est pas le synonyme de vulgaire. Non, un récit philosophique n’est pas forcément élitiste et ennuyeux. Oui, il est possible de faire des scénarios philosophiques avec des scènes d’action où des voitures explosent, des flingues, et des cascades ! Oui, on peut parler de la société avec un humour ultra trash et limite cartoon. Le manga le fait depuis des années avec succès ! Pourquoi en Occident on en est encore à cloisonner les œuvres dans des genres réducteurs et rassurants ? Doit-on forcément s’adresser à un seul type de public et renoncer à un autre ? Pourquoi ?

Et celle que l’on ne t’a jamais posée ?
Kara : En fait, plus qu’une question, c’est une constatation que l’on m’a jamais faîte sur toutes mes BD. N’avez-vous pas remarqué quelque chose dans mes textes ? Je vous donne la réponse : dans toutes de mes BD, il n’y a pas un seul gros mot ! Je me débrouille toujours pour éviter ceux-ci, je remplace par des jurons « grand public » du type : « Nom de Dieu ! » Cela reste du langage très commun, mais toujours non vulgaire. Je ne suis pas du genre à me gargariser, mais sur ce coup, j’en suis plutôt content. Et tant que j’écrirais mes scénarios, j’espère continuer ainsi !

Quel personnage de BD aurais-tu rêvé de créer ?
Kara : Ceux qui m’ont fait rêver, pleurer, rire, dégoûter, haïr, regretter, jalouser, envier, cauchemarder, espérer, fantasmer, réveiller, motiver… Cela fait un sacré paquet, non ? Mais si vous voulez un exemple précis, parmi tant d’autres, disons que j’aimerais bien un jour reprendre une licence. Certains l’ont fait avec talent comme Adam Warren avec Dirty Pair entres autres. Pourquoi pas alors ?

Dessines-tu dans une ambiance ou cadre particulier (en musique, isolé…) ?
Kara : Je travaille seul chez moi (mais j’aimerais travailler en atelier aussi), avec généralement une ambiance sonore, soit de la musique qui correspond à l’atmosphère de ce que je suis en train de dessiner, soit n’ayant rien à voir. C'est-à-dire que je peux très bien dessiner une scène tragique tout en éclatant de rire en écoutant la radio Rires et Chansons ! Le pire étant de garder le contrôle de sa main en écoutant du François Pérusse !

D’où t’es-tu venu l’idée de remanier la religion, de faire du diable une femme ?
Kara : Vous ne vous êtes jamais posé cette question en regardant des films ou des séries fantastiques : « Cela existe-t-il véritablement ? » Aujourd’hui avec le net, le monde entier est désormais visible par tous. Hormis les océans, la planète n’a plus aucun recoin inexploré. Où sont donc les temples cachés et inexplorés, les fantômes, les chimères, ou les monstres mythiques ? Internet et les médias seraient-il en train de tuer le surnaturel ? Dans un monde où la science tente de démontrer que le surnaturel n’est que du naturel non expliqué, que reste t-il comme place pour le spirituel, « l’invisible », ou même la foi ? On ne voit pas le vent, mais on sait qu’il existe. On ne voit pas Dieu, mais rien ne vous empêche d’y croire. Est-ce cela que l’on appelle la force de la foi ? Car après tout, la science était convaincue que la Terre était plate il y a à peine 600 ans, elle était convaincue que l’homme ne pourrait voler il y a à peine 150 ans, elle était convaincue qu’il serait impossible d’aller sur la Lune il y a à peine 50 ans. Alors de quoi sera-t-elle convaincue… demain ? J’ai 36 ans au moment où j’écris ces lignes. Je n’ai aucune réponse aux grandes questions de la vie, et je ne les aurais sans doute jamais. Mais cela ne m’empêche pas de me poser ces quelques questions et de lancer des pistes de recherches, aussi bien pour moi que pour les lecteurs que j’essaye d’interpeler au travers de mes scénarios. Ainsi, j’évite déjà d’avoir une vision manichéenne du monde. Bien sur, il faut avoir des bases morales pour faire évoluer une société, mais nous sommes tous biens plus complexes que des règles basiques en noir et blanc. Alors pour faire un pied de nez à cette vision « archaïque », je détourne les figures les plus emblématiques de notre monde occidental. Plus l’icône détournée est grande, plus la symbolique, le message, est fort (à mon sens). Attention, il ne s’agit pas non plus « d’angéliser le mal ». Ni d’aller contre une quelconque culture. Il s’agit avant tout de réinterprétation. J’essaye ainsi d’humaniser des figures mythologiques pour les rendre plus proches de nous, de nos peurs, de nos espoirs. Je leur fais ressentir les mêmes doutes, les mêmes appréhensions que nous. Si l’on pense aussi avoir compris les messages d’une culture où d’une foi, la détourner n’est pas forcément aller contre elle, je le répète. Au contraire, on peut essayer de voir au-delà du message, de lire entres les lignes, de le réactualiser encore une fois dans un monde qui rejette de plus en plus le spirituel. Finalement, la question de savoir qui a raison ne se pose plus, l’important est de trouver à travers ces messages son propre bonheur. Seulement, on dit que le bonheur n’est pas un état, mais une voie… Bref, nous sommes encore loin d’être arrivé au bout du chemin…

© Kara - MC Productions - Le Bleu du ciel T2

La quasi-totalité de tes personnages est constituée de femmes, est-ce parce que tu préfères les dessiner ?
Kara : Je préfère les dessiner, mais en fait, si je devais céder à la facilité, je ne dessinerais que des hommes ! Je me sens beaucoup plus à l’aise avec l’anatomie masculine, les visages d’hommes. On peut leur rajouter des rides, des nez « cassés », des gros sourcils, etc. Bref, on peut s’amuser avec leurs visages sans pour autant qu’ils deviennent moches. Pour le dessin des femmes, nous autres dessinateurs masculins, on a tendance à tendre vers une idéalisation féminine. Et il faut bien l’avouer, pour faire plusieurs personnages féminins différents, nous changeons juste la « perruque » ! C’est pareil pour le corps. On peut dessiner un homme maigre, musclé, grand, petit, etc. Tant qu’il a une « belle gueule », cela reste un beau mec. Alors que pour une femme, on tend toujours vers une taille mannequin, un idéal féminin fantasmatique. Un seul dessinateur à mes yeux réussissait à faire de très belles femmes toutes très différentes dans la forme des visages, et même du corps : Magnus ! Ainsi j’utilise quelques trucs pour différencier mes héroïnes : outre le fait de changer la « perruque », je rajoute des accessoires, je joue sur les ethnies, la forme et les couleurs des yeux, le style vestimentaire, etc. Mais je travaille aussi le fond ! En effet, n’oubliez pas que mon truc est aussi de prendre le contre-pied de genres très codés. Ainsi dans les récits fantastiques, très souvent l’homme est le personnage principal, la femme a le second rôle, voire le rôle de faire-valoir. Je mets donc une héroïne au premier plan et je travaille énormément sa psychologie, son caractère, son passé. Autre anecdote amusante, depuis ma première BD, jusqu’à aujourd’hui encore, beaucoup de lecteurs pensent que je suis une femme ! Une lectrice m’a même déclaré qu’un mec serait incapable de dresser des portraits de femmes tels que je le fais. Je le prends comme un compliment bien entendu et m’en amuse encore parfois. ^^

Tu sembles vouloir surprendre tes lecteurs en permanence, le diable est une femme dans le premier volet, dans le second Jésus joue un rôle très important, à quoi peut-on s’attendre par la suite ?
Kara : Le Diable arrive dans le premier tome, Jésus dans le second, qui peut donc apparaître dans ce troisième tome ? Dieu tout simplement. Elle aura un look particulier et interviendra dans un flashback qui mettra en scène la chute de Déborah. Chute qui en fera donc le Diable. Au fait, j’ai dis « elle » ? ^0^

D’habitude, tu scénarises et dessines tes propres histoires, comment s’est passé la collaboration avec Masa et le fait que tu ne t’occupes pas des dessins (hormis la couv) ? D’où est venue l’idée, comment l’as-tu rencontré ?
Kara : Si le manga est en noir et blanc, je savais depuis le début des années 90 que les dessinateurs nippons étaient aussi parfois d’incroyables coloristes ! Là où en France, on découvrait émerveillés comment faire des aplats avec Photoshop, les japonais en étaient à reproduire avec le même logiciel des effets d’aquarelle et de peinture à l’huile ! Je me disais alors qu’il serait formidable d’engager quelques uns de ces illustrateurs de génie pour faire des BD en couleurs et en grand format ! Beaucoup de ces dessinateurs de mangas sont parfois obligés de prendre un style simple (mais efficace) pour parvenir à tenir leur délais de productions. Par exemple, savez-vous que le « vrai style » de Masashi Kishimoto (Naruto !) se rapproche davantage… d’Otomo (Akira) ? Mais hélas, lui-même le dit, il ne peut utiliser son plein potentiel du fait de ses délais. Au vu du succès de son titre, je ne pense pas non plus qu’il se plaigne (et j’aime bien aussi, donc bon…). Certains auteurs réussissent cependant à allier un graphisme très travaillé avec des délais draconiens. Mais ils sont aidés par une pléthore d’assistants parfois au moins aussi doué qu’eux. Des auteurs comme Masamune Shiro ont ainsi tenté de faire des mangas en couleurs comme le second Ghost in The Shell (ensuite, on aime où pas la 3D clinquante de son titre ^^). Bref, vers le début du troisième millénaire, je rencontre Vanessa lors d’un salon Manga, la future femme de Masa. Masa était un jeune dessinateur nippon qui faisait du manga sous forme de fanzinat. Je propose à Vanessa de jouer les intermédiaires avec Masa. Mon premier éditeur, Pointe Noire, propose de réaliser une BD au format comics d’environ 80 pages, moitié en couleurs (fait par un coloriste nippon) et moitié en N&B. Hélas à la moitié du projet, Pointe Noire sombre et je propose alors le projet à Soleil. Mais cette fois, mon éditeur veut un vrai album en couleurs et grand format. Le tout scénarisé par moi-même dans une collection nommée Fusion. Masa se lance donc en suivant un story board que je dessine en partie, hormis la scène d’action qu’il met en scène lui-même. Le coloriste nippon n’étant plus disponible, un autre coloriste français se charge cette fois de créer une palette colorée qui plaise à tout le monde. Ce ne fut pas facile. Rien que pour le monstre de l’album, il a fallu 13 essais finalisés ! Je m’occupe donc ensuite de mettre en couleurs les décors et les effets spéciaux, Masa colore les personnages et s’occupe de la couverture à laquelle je n’ai pas du tout participé. Merci en tous cas à Internet qui a permis l’accomplissement de cette coordination entre deux pays séparés de plusieurs milliers de kilomètres, et dont le résultat final m’enchante encore aujourd’hui ! Masa a accompli un travail de titan en réalisant des décors, des costumes et des méchas somptueux, entièrement à la main ! Un vrai travail d’orfèvre…

Quelles séries souhaiterais-tu conseiller aux terriens ?
Kara : La liste serait trop longue. Mais pour certains titres plus ou moins récents, je vous conseille de vous rendre là encore sur mon blog. Vous y trouverez des liens sur quelques chroniques mangas pour Bodoï : ici. Quant à la BD occidentale… Disons de mémoire Sky Doll, Cross Fire, et les derniers Dirty Pair d’Adam Warren. ^0^

© Kara - MC Productions - Le Bleu du ciel T2

Tu sembles apprécier les films maisons et te penche d’ailleurs sur une adaptation de la série Nadia et le secret de l’eau bleue… quid ?
Kara : Ayant un petit penchant pour les femmes de couleurs depuis mon adolescence (mais je ne suis pas sectaire ^0^), Nadia fut l’un de mes tous premiers fantasmes virtuels. Début des années 90, je découvrais ainsi cette première héroïne de dessin animé nippon black-métisse ! Et quelle héroïne ! D’une sensualité incroyable… Mais quel caractère de cochon ! ^0^ Rajoutez à cela un univers steampunk très recherché et surtout les prémices d’un futur grand génie de l’animation, Ideaki Anno (Evangelion) et vous comprendrez que cette série m’a durablement marqué. Mais revenons aux films maisons. Milieu des années 90, je vois émerger une génération de jeunes cinéastes présentant leurs travaux dans des conventions de fans. Deux écoles se distinguent : les courts-métrages originaux, et les fan-films. Ces derniers sont des réinterprétations d’univers déjà existants, et depuis quelques années, certains sont de véritables petits bijoux atteignant un niveau quasi pro ! Ils peuvent être très sérieux où au contraire parodiques. Pour la parodie, le fait de faire des FX ratés exprès peut vous donner une bonne crise de rire ! Mais aujourd’hui, avec un ordinateur domestique et beaucoup de patience, on peut faire des choses très honorables en cinéma amateur. Alors comme dit Tarantino : « N’attendez pas qu’on vous donne la caméra, prenez-la ! ». Là encore une question se pose à moi : faire un film original où un fan film ? L’idée d’un fan film s’impose au final. Certes, je ne pourrais le vendre, mais je pourrais le diffuser sur le net par exemple, tout en profitant de l’aura de la série originale. Bien entendu, je suis totalement novice en mise en scène. Je suis autodidacte en 3D. Je n’ai aucun budget et surtout, du fait d’un travail très prenant, je ne peux travailler sur mon court-métrage qu’une petite journée par mois à tout casser ! Autrement dit : rendez-vous en 2010, voir 2011 pour ce qui sera une fausse bande annonce d’une hypothétique suite de Nadia ! Néanmoins, vous pouvez découvrir les premières images sur mon blog.

Si tu avais une gomme magique pour corriger un détail ou une partie d’un de tes titres, souhaiterais-tu l’utiliser ?
Kara : Plutôt qu’une gomme, je souhaiterais rajouter un troisième tome au Miroir des Alices. Non pas que je veuille faire une suite, mais plutôt une seconde version plus fluide, plus riche en actions et en ambiances. Le tout en trois albums plus aérés que les deux existants et qui sont parfois très denses. C’est aussi pour cela que Le Bleu du Ciel est un triptyque. Mais en même temps, je ne regrette pas grand-chose sur mes œuvres passées. Elles correspondent toutes à des moments clés de ma vie, et à chaque fois, j’ai donné mon maximum sur ces travaux.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d’un auteur afin de mieux comprendre son génie, qui irais-tu visiter ?
Kara : Il me faudrait un billet de tour operateur car ils sont trop nombreux ! Quels sont ces génies qui me viennent en premier lieu à l’esprit ? Disons : Hyung Tae Kim (Magnacarta), Adam Warren, Mamoruh Oshii (Patlabor, les films de Ghost in The Shell), Hubert Robert, Etorouji Shiono (Ubel Blatt), Yan Kyung-Il (Le Nouvel Angyo Onshi), Barbuci, Kozue Amano (Aria), Norman Rockwell, etc. Je m’arrête là, sinon il me faudrait quelques dizaines de pages pour tous les citer. Maintenant, suis-je admiratif, où simplement jaloux du talent des autres ? Pendant un moment, j’ai été jaloux, jamais méchamment, mais la jalousie peut vous nuire plus que vous pousser à vous améliorer. Je vais vous conter une anecdote qui va peut-être vous sembler futile, pour ne pas dire stupide, mais je tente le coup. Un jour, j’ai vu une émission sur un prince Saoudien qui était la cinquième plus grosse fortune du monde. En gros, ce prince était l’un des hommes les plus puissants de la planète, et seuls quatre personnes étaient « au dessus » de lui. En prenait-il ombrage ? Il répondait que non, qu’il fallait toujours regarder les plus malheureux que soit, etc. Plus tard dans le même reportage, on présente au prince les plans de son nouveau yacht. Le reporter demande alors ce que ce yacht aura de particulier. Le prince, l’œil brillant, répond alors : « Ce sera le plus grand du monde » ! Que nous apprends cette histoire ? Que même au sommet du monde, on veut tout de même aller encore plus haut ! Même lorsque l’on est « au dessus » de six milliards de personnes, on veut tout de même surpasser les quatre qui restent ! Alors à mon humble niveau, si je commence à jalouser tous ceux qui sont plus doués que moi, je n’aurais pas assez de ma vie pour tenter une telle ascension ! Cela ne veut pas dire non plus renoncer à toute forme d’ambition, au contraire ! Mais dans le domaine du dessin, il n’y a pas vraiment de gens plus doués que d’autres, car chacun possède un univers propre et différent. Est-ce que Zep est meilleur que Bilal par exemple ? Cette question n’a pas de sens au final. Plutôt donc que de jalouser les autres, j’essaye plutôt de les admirer, de les respecter, d’apprendre d’eux, et au final de me trouver moi-même. Car oui j’admire certains artistes, mais je me dis que s’ils possèdent des choses que je n’ai pas, l’inverse est vrai aussi ! C’est comme cela je pense que l’on apprend à s’accepter soi-même plutôt que d’imiter les autres. Ce n’est pas facile car la jalousie est un sentiment quasi instinctif…

Si tu n’avais pas fait de la BD, qu’aurais-tu fait ?
Kara : En étant réaliste, je dirais peut-être enseignant en dessin. Je fais déjà des ateliers de dessin pour des médiathèques tout au long de l’année, et cela marche plutôt bien. En étant « utopiste », je dirais cinéaste. Mais j’apprécie particulièrement le cinéma de genre, et c’est un domaine peu présent en France hélas. Mais bon avec des « si », on peut refaire le monde, et ce qui est fait est fait, et n’est plus à refaire. Revenir sur le passé en me disant ce que j’aurais pu où du faire certains choix ne sert à rien, il faut juste en tirer des leçons, voir une grande satisfaction si l’on pense avoir suivi le « bon » chemin justement !

Merci Kara !

© Kara - MC Productions - Le Bleu du ciel T2