interview Comics

Kevin O'Neill

©Delcourt édition 2012

Apparu au début des années 80, Kevin O'Neill figure aujourd'hui parmi les dessinateurs anglais de renom. Avec, à son palmarès, des séries cultes telles que Nemesis the Warlock ou Marshal Law, il a très vite trouvé sa place dans les comics, avec son style unique. La ligue des gentlemen extraordinaires lui a permis de réaliser un nouveau chef-d’œuvre avec un scénariste habitué à en produire à la pelle : Alan Moore. Après deux formidables cycles, les compères ont remis le couvert sur le run Century. Celui-ci vient à peine de s'achever en France... l'occasion de converser avec le sympathique et cordial Kevin O'Neill ne pouvait se refuser. Surtout qu'il a délivré quelques petites anecdotes sur le futur de la fameuse Ligue...

Réalisée en lien avec les albums La ligue des gentlemen extraordinaires – Vol.3 - Century, T3, La ligue des gentlemen extraordinaires – Vol.3 - Century, T2, La ligue des gentlemen extraordinaires – Vol.3 - Century, T1
Lieu de l'interview : Au téléphone

interview menée
par
26 décembre 2012

Bonjour Kevin O'Neill, peux-tu te présenter ?
Kevin O’Neill : Je suis un passionné de comics depuis mon enfance. Je rêvais alors de devenir le dessinateur de Batman ou de travailler un jour avec Stan Lee chez Marvel. J'ai donc commencé à dessiner de temps en temps, en espérant un jour atteindre mes rêves. Vers l'âge de 16 ans, j'ai commencé comme employé de bureau pour la société IPC, qui publiait Buster. J'ai dessiné quelques petits trucs, puis ensuite, j’ai fait un peu de couleurs sur des titres grand-public estampillés Disney. Un jour, j'ai entendu chez IPC qu'un nouveau magazine de science-fiction allait sortir, c'était 2000A.D.. J'ai demandé à rejoindre cette nouvelle aventure et j'ai été accepté.

© Kevin O’Neil

Tu as un style très particulier et vraiment personnel. Comment le décrirais-tu ?
KON : Cela se rapproche un peu du... métal ! (rires) Quand j'ai débuté, je faisais beaucoup de séries humoristiques et j'ai tout fait pour que mes dessins s'écartent d'une approche trop grand-public, qu'ils soient plus underground. Au fil des années, celui-ci est devenu un peu différent. Si bien qu'aujourd'hui, je n'arrive pas à dessiner d'une autre façon. Mon style s'est vraiment figé lorsque j'ai travaillé sur Nemesis the Warlock avec Pat Mills. Le contenu de l'histoire était violent et j'ai encore poussé mon style sur Marshal Law. En fait, je pense que mon style n'est pas vraiment grand-public ni même très graphique...

Tu as collaboré à de nombreuses reprises avec Pat Mills. Comment l'as-tu rencontré ?
KON : Je l'ai rencontré chez IPC et il était à la base de 2000A.D. avec Kevin Gosnell. Il en avait marre de travailler sur des séries humoristiques et il a proposé ce projet. Avant qu'on collabore ensembles, il m'a confié pas mal de couvertures et diverses illustrations. Il était content du résultat et m'a ensuite donné une histoire à dessiner. C'était Ro-Busters, si je me rappelle bien.

Aujourd'hui, quel regard portes-tu sur tes anciens travaux comme Nemesis the warlock ou Marshal Law ?
KON : Je les ai longtemps détesté, jusqu'à ce que je vois la réédition de Marshal Law l'an dernier aux USA. Il y avait une nouvelle couverture, le côté extrême de cette série se ressentait encore en la lisant. Pour Nemesis the warlock, c'est différent. C'est assez bon mais c'était une époque où la bande dessinée était différente. J'y vois mes influences, le manque de décors... Marshal Law passe beaucoup mieux aujourd'hui. Les différentes histoires que j'ai faites avec Alan Moore dans 2000A.D. ont plutôt bien vieilli.

L'autre scénariste de renom avec qui tu as travaillé se nomme Alan Moore....
KON : Je l'ai rencontré vers 1979 ou 1980, de mémoire, lors d'une convention. Nous avions sympathisé. Lorsqu'il est arrivé chez 2000A.D., il y avait aussi David Lloyd, Dave Gibbons ou Brian Bolland. Alan avait vu ce que je faisais chez 2000A.D. et il m'a dit que l'on travaillerait ensemble. Le problème est que j'avais beaucoup de travail pour le magazine à cette époque. On a eu quelques projets ensembles, mais cela n’a finalement abouti en 1986 que sur Green Lantern. C'était une histoire assez courte. Ensuite, on a parlé de faire une série Bizarro, mais on n'a jamais trouvé le temps de le faire. Je me suis ensuite mis sur Marshall Law et une fois terminé, Alan et moi avons parlé de ce qui serait plus tard La ligue des gentlemen extraordinaires. Sur cette série, nous avons vraiment travaillé ensemble pour la première fois. Elle m'a permis d'adapter mon style sur un récit passant de la comédie à l'horreur ou au fantastique.

© Kevin O’NeilComment as-tu imaginé le design des personnages ?
KON : En fait, j'ai relu tous les livres dont nous avons tiré les personnages pour m’en forger une certaine idée. Je voulais qu'ils aient une apparence typiquement britannique. Mon imagination a joué à plein pour le reste. Par exemple, dans le cas de Hyde, je le voulais grand et massif avec un côté très primal. Alan ma bien aidé aussi, car son scénario m'aiguillait indirectement sur l'apparence qu'il avait imaginé de son côté. Je ne me suis, au final, jamais inspiré de modèle existant et c'est ce qui me motivait aussi dans cette aventure.

Après les deux premiers cycles, La ligue des gentlemen extraordinaires s'offre un troisième run intitulé Century...
KON : En fait, notre plan à l'origine n'était pas de poursuivre après l'époque victorienne. Nous nous sommes tellement amusés dessus, qu'on s'est dit qu'il serait intéressant de poursuivre cela. L'histoire et les personnages que nous avons développés amenaient à d'autres histoires à développer. La littérature est tellement riche que nous pouvons l'utiliser à volonté. Dans Century, nous avons scindé notre récit en trois parties. 1910 introduit des références venant d'autres médias que la littérature. Avec 1969 et 2009, il est aussi étonnant de voir notre vision d'une équipe de super héros comme La ligue vis à vis des super héros célèbres.

Maintenant que Century vient de se refermer, La ligue des gentlemen extraordinaires est-elle terminée pour autant ? J'ai oui dire qu'il y aurait un album sur Nemo...
KON : Oui c'est vrai ! Nemo sera beaucoup plus horrifique que ce que l'on a fait jusqu'ici. J'essaie de l'imaginer le plus spectaculaire possible. C'est pour nous un personnage au croisement des genres et c'est ce qui nous plait le plus. Il a un côté espion, aventurier, guerrier. On prévoit déjà de le sortir à la fin de l'année prochaine. Il y aura sûrement aussi d'autres albums avec des histoires plus courtes. C'est ce que l'on a prévu en tout cas.

Que retiens-tu de tes collaborations avec Alan Moore et Pat Mills ?
KON : Ce qu'il y a de bien, c'est que j'ai travaillé avec eux très tôt dans ma carrière. Ils ont chacun une façon très différente de raconter des histoires et j'ai appris des deux. L'écriture de Pat est plus dynamique et permet de dessiner une fois la lecture terminée. Alan est plus complet, il donne plus d'informations sur ses dialogues notamment. Je ne sais pas quel est la meilleure façon d'écrire, mais les deux fonctionnent très bien. En voyant leur façon de raconter une histoire, je pense que l'on peut comprendre comment fonctionne Alan et Pat. C'est enrichissant sur de nombreux points.

Aurais-tu envie d'écrire ton propre scénario du coup ?
KON : Sincèrement, oui. Si j'en avais l'occasion. En fait, ta question est juste car j'y pense depuis longtemps. Je travaille depuis si longtemps dans les comics que je pense être capable de réaliser un album tout seul. Beaucoup d'artistes en rêveraient. Pour le moment, j'ai énormément de travail et c'est ce qui m'empêche de m'y essayer. Et puis je ne suis pas sûr qu'il y aurait un éditeur qui aurait envie de voir ce que j'écris !

© Kevin O’Neil

Quels sont tes projets ?
KON : Je me suis embarqué avec La ligue des gentlemen extraordinaires dans un projet faramineux. Après le prochain album, je ferais peut-être une courte pause. Attention, je suis très heureux sur La ligue, nous changeons tellement de genres dans la série que cela est un véritable bonheur de travailler dessus, mais pourquoi pas essayer une autre collaboration…

Es-tu un lecteur de comics ?
KON : J'en lisais beaucoup jusqu'au début des années 90. Depuis je lis surtout énormément de strips publiés dans des journaux. Les auteurs de strips sont assez incroyables dans leur façon de se renouveler.

Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui choisirais-tu ?
KON : Pour moi, ce serait sans hésiter Sergio Toppi. Tout ce qu'il a fait est absolument incroyable. Il a été d'une grande régularité sur toutes ses œuvres. Son style est si original. Pour moi, ce serait une expérience formidable !

Merci Kevin O'Neill !

© Kevin O’Neil