interview Bande dessinée

Label 619

©Ankama édition 2008

En attendant la sortie des futurs Mutafukaz, Run a trouvé le temps de lancer deux artistes prometteurs au sein d'une nouvelle branche éditoriale d'Ankama : le Label 619. Avec deux titres dans des genres bien distincts, nous découvrons la pétillante Raf et son Debaser, aux forts relents de manga, et le sympathique Florent Maudoux avec un Freaks'Squeele aux confluents du comics, du manga et de la BD. Varié et très réussi, le Label 619 s'annonce sous les meilleurs auspices. De quoi partager nos impressions à chaud avec les trois gus !

Réalisée en lien avec les albums Freaks' Squeele – Version classique, T1, Mutafukaz, Debaser T1
Lieu de l'interview : Japan Expo 2008

interview menée
par
20 août 2008

Comment en êtes vous arrivé à faire de la BD ?
Raf : J’ai commencé à faire de la BD au lycée car je m’ennuyais beaucoup en classe. J’ai gratté quelques 600 pages, de Debaser notamment. Cela n’a rien à voir avec ce que je fais maintenant.

Debaser a donc été financé par l’Education Nationale !
Raf : On peut dire ça ! J’ai eu mon bac malgré tout ! (rires) J’ai ensuite fait du fanzinat avec le collectif Ben Bao pendant 5 ou 6 ans. Après j’ai fait des études de communications visuelles puis je suis parti voir Run pour lui montrer ce que je faisais.

Copyright Label 619/Ankama 2008 Et pour toi Florent ?
Florent Maudoux : Ça a commencé assez jeune, au collège. Je dessinais pour des potes, de la SF, de la fantasy et des BDs cochonnes entre autre (rires). J’ai fait des milliers de pages plus ou moins finies, des scénarii entamés jamais terminés. Puis je me suis lancé dans le dessin d'animation aux Gobelins, j’ai travaillé dans le jeu vidéo en animation 3D, je me suis essayé à tout, story-board, illustration et chara-design. Tout en gardant la BD dans mon cœur, l'envie de raconter des choses. Récemment, j’ai refait un story-board de bande dessinée que j’ai montré à mon entourage pour voir si c’était compréhensible et si tout fonctionnait bien. Je suis allé voir les maisons d’édition, ça n'a pas été simple car j'avais envie d'un format original, puis j’ai trouvé Ankama. Ils avaient une ligne éditoriale audacieuse avec un Mutafukaz côtoyant Maliki. Je me suis dit que je pourrais m’exprimer au sein d'une telle maison. Dès que je les ai contactés, cela a été très vite.

Pour toi, Run, on connaît déjà tes débuts, mais alors pourquoi un label et pourquoi toi ?
Run : Le truc c’est que quand je suis arrivé chez Ankama, j’étais le premier projet hors Dofus, je me sentais un peu seul dans la ligne éditoriale et assez naturellement avec Tot, qui m’avait fait confiance sur Mutafukaz, on s’est occupé d’encadrer tout ça. A deux, dès 2006, on s’était posé des questions du genre : qu’est-ce qu’on compte faire, est-ce qu’on fait d’autres bouquins… On faisait tout ensemble, même le calage machine, il n’y avait pas de chef de fabrication... Donc forcément par la force des choses, j’étais impliqué dans Ankama Editions et là comme en ce moment Tot est complètement débordé avec Dofus le jeu vidéo, Wakfu le jeu vidéo, Wakfu la série animée, etc… Il m’a dit de voir si je pouvais organiser le gigantesque fourre tout que représente Ankama. Je ne voulais pas faire de collection, car cela aurait signifié formater les livres à un type donné de format. L’idée du label me paraissait sympa car on peut passer du format manga de Debaser à un autre comme Freaks’ Squeele. C’est plus pour marquer l’état d’esprit du projet donc il y aura d’autres labels chez Ankama, ça donne une ligne éditoriale à Ankama Editions qui, pour l’instant, n’en avait pas vraiment. Quand au fait que se soit moi, c’est parce que je suis là depuis le début avec Tot.

Deux titres au lancement, des formats différents... qu’est-ce qui arrive par la suite ?
Run : Il y a un 15x21 qui va sortir normalement autour de décembre/janvier et qui sera une sorte de spin off à Mutafukaz qui pourrait s’intégrer entre le tome 2 et 3. Je l’ai fait avec un artiste de Montpellier dont le style s’apparente à de l’art brut, très naïf et en même temps super fort. J’ai vraiment adoré son style et je lui ai proposé de me rejoindre sur cet épisode de Mutafukaz, qui maintenant fera parti du Label 619. Pour le futur, je compte signer d’autres auteurs dans la même veine mais je vais doucement. Il y a Mutafukaz qui arrive, le spin off. On va laisser le bouche à oreille fonctionner, voir les projets que l’on me propose par Internet ou sur les salons, je ne compte pas poursuivre les gars.

Ce n’est pas un peu bizarre de lâcher un peu Mutafukaz à d’autres auteurs ?
Run :Non, parce que franchement je ne lâche rien ! J’aime beaucoup ouvrir mon univers aux autres personnes car ils peuvent apporter des choses auxquelles je n’ai pas forcément pensé. Lui, il est peut être plus dans l’introspection alors que moi je suis dans l’action. On en discute beaucoup et après il le développe. Les dessins, ça me gave à la base. Je ne suis pas dessinateur dans l’âme, je préfère raconter des histoires. Florent et Raf sont de vrais dessinateurs.

Comment s’est fait le choix du format ?
Florent Maudoux : J'avais besoin de raconter beaucoup d'histoires donc il me fallait beaucoup de pages. Le format poche est intéressant, mais il demande une grande productivité. Le format muta est idéal pour moi car il me permet de mieux exprimer mon dessin.
Raf : Pour moi, c’était plus naturel au vue de mes influences. J’aime plus raconter des histoires que faire des dessins très léchés.
Run : Pour Debaser, on voulait que la couv soit sans concession, on l’a bossé à deux. Je lui ai dit qu’avec cette couv, on allait se fermer une partie du public qui, pourtant, aurait pu adorer le titre. On a foncé sans se poser plus de question. Pour Mutafukaz, c’était la même chose ! J’espère que ça fonctionnera car c’est beaucoup moins hermétique que Mutafukaz.

Copyright Label 619/Ankama 2008 Le logo du Label 619, qui l’a créé ? Va-t-il évoluer ?
Run : C’est Yuck qui l’a fait. La constance, c’est le blason. On le fait varier avec les auteurs mais c’est juste une adaptation selon le projet. Pour Debaser, on a mis des éclairs et des étoiles du rock, pour Freaks’ Squeele, c’est le thème du bien et du mal, des ailes de chauve-souris qui font assez démoniaque et une auréole à l’inverse, un mélange de styles comme dans sa BD. Je trouve ça sympa, ça me rappelle un peu Franquin lorsqu’il signait.

Comment travailles-tu avec ta casquette d’éditeur ?
Run : Je reçois les auteurs, ils me parlent du projet. Je leur pose 1 000 questions, s’il y a une seule hésitation, je me méfie. Si c’est personnel et que les auteurs sont à fond, on se lance ! Pour Raf et Florent, ils m’envoient les planches par mail, je checke quasiment tout le temps. Occasionnellement, je leur suggère quelques détails. Sur Freaks’ Squeele, l’alternance entre N&B et couleur est un choix de Florent, il est très bon pour le N&B et lorsqu’il m’a dit vouloir faire une partie en couleur, que ce n’était pas au début, j’ai trouvé que ça fonctionnait bien. Avec Ankama, on essaie de faire la part belle à la volonté de l’auteur. S’il y a une cohérence derrière, on est d’accord. Avec Tot, on part du principe où, si l’auteur se fait plaisir, le lecteur le ressentira aussi.

En définitive, tu n’avais pas assez de boulot sur Mutafukaz ?
Run : Malheureusement, j’aurais souhaité que cela se passe différemment mais ça s’est fait naturellement.

Et ensuite, un autre label, du Mutafukaz
Run :Avec Tot, on fait le Label Araignée. Ce que j’aime bien chez L’araignée, c’est pas le côté dark mais plutôt ce côté insecte que tu as chez toi, qui fait un peu peur mais qui est en même temps très fragile. Je trouvais que ça résumait bien le type de projet que l’on voulait faire, à savoir un travail d’auteur avec un trait un peu sensible, plus fragile, plus proche de la BD franco-belge et toujours avec l’irruption du surnaturel. Beaucoup plus tard, il y aura aussi le Black Book mais qui va être bien repoussé, car il fait déjà 778 pages.

Raf et FM, comment êtes-vous rentré en contact avec Run ?
Raf : En fait, il était au Japan Expo pour Mutafukaz et je lui ai présenté un de mes fanzines. Quand j’ai eu mon diplôme un an après, je suis retourné le voir et il s’est rappelé de moi !
FM : J'ai contacté Ankama via l'adresse e-mail du site et 2 heures après, j’avais Tot excité comme tout au bout du fil. Je suis allé les voir sur place à Lille, j’ai rencontré Run et j’ai senti qu’on partageait des idées communes sur la BD. On m'a proposé de faire une BD sans contrainte et c’est plutôt rare, tant de compréhension.

Quelles sont vos influences ?
FM : Je suis beaucoup influencé par le cinéma, celui des frères Coen, les Monty Python, Tsui Hark et puis les films de série B, de Romero, Carpenter pour ne citer qu'eux. Au niveau BD, j’aime bien les titres comme Yotsuba, L’habitant de l’infini. J’aimais beaucoup la BD de science fiction à la Metal Hurlant puis petit à petit j’ai décroché. Peut être à cause d’une baisse de la production ou de Jodorowsky que j’ai eu du mal à suivre. A une époque, j’adorais les Métabarons, l'Incal ou encore Anibal Cinq !
Raf : Pour moi, c’est l’univers des mangas, j’ai baigné dedans, je ne lis que ça. J’adore tout ce que fait le studio Gainax et Sadamoto. Je m’intéresse aussi aux comics un peu underground, très trash.

Avez-vous d’autres projets pour la suite ?
Raf :Pour l’instant, je me mets à fond sur Debaser pour le faire vite et bien sinon je risque de m’éparpiller ailleurs ! Je pense qu’il y aura 6 volumes, après on verra… Si ça fait un flop on en fera moins et si ça cartonne on étirera un peu la sauce. Je fais environ 30 pages par mois donc on devrait avoir 2 tomes par an.
FM : Je me consacre uniquement à Freaks’ Squeele pour que le rythme des sortis soit soutenu. Je pense produire un tome tous les 8 mois à peu près. J’en ai prévu 5 et pourquoi pas plus si affinité.

Copyright Label 619/Ankama 2008 Dans le paysage actuel de la Bd franco-belge, vos titres détonnent quelque peu, la musique pour Debaser, les influences comics pour Freaks’ Squeele
FM : C'est étrange car ce n'est pas du tout des comics que vient mon influence graphique. Je pense qu’en mixant ma culture manga et celle qui me vient de l'illustration, j’ai retrouvé la recette du comics (rires). C’est vrai qu'en ce qui concerne la réflexion sur les super héros, cela vient sans doute du fait que j'apprécie beaucoup Neil Gaiman. En ce moment, je comble mon retard culturel avec les titres d’Alan Moore mais il paraît que son écriture risque de m’influencer (rires). Je n’ai pas envie de faire du sous-Moore alors j'y vais très doucement.
Raf : Les choses changent, on a commencé à le voir avec Jenny ou Reno qui ont ouvert la voie. Je pense que l’on fait tous du manga français, en tout cas de l’hybride, et j’espère que cela décomplexera les auteurs. Et puis, si on se casse tous la gueule, la génération d’après réussira. Les premiers retours sont assez bons.
FM : Lors des dédicaces, j’arrive sans peine à faire acheter Debaser aux gens qui ne l’ont pas !

Durant la conception des albums, Run est-il intervenu d’une façon ou d’une autre ?
FM : Non, pas du tout !
Raf : Juste des petits conseils du genre : refaire une main ici et là.

Qui est vraiment Ombre de Loup dans Freaks’ Squeele ?
FM : C’est l’homme perdu au milieu des femmes. C’est un veinard mais il est un peu perdu. Son corps est trop grand, il a envie d’être gentil mais les apparences sont contre lui. Avec ce géant timide et maladroit je peux exprimer mon ressenti par rapport à la place qu'occupe l'homme dans une société de plus en plus féminisée.

Sur Debaser, chacun des chapitres porte le nom d’une chanson... c’est pour coller un peu plus à l’ambiance musique du titre ?
Raf : Le gros challenge est de retranscrire une impression de musique dans le dessin. C’est pourquoi je m’intéresse beaucoup à la typographie et les affiches de concert rock sont parfaites pour ça.

Si vous aviez une gomme magique permettant de corriger un détail ou une partie de vos BD, souhaiteriez-vous l’utiliser ?
Raf : Oui, car le premier chapitre de la BD n’est pas au bon format, donc j’aimerais bien le refaire.
FM : Non, pas de regret. Je la jette cette gomme (rires).
Raf : Donne la moi ! (rires)

Auriez-vous des titres récents à conseiller aux terriens ?
FM : L’habitant de l’infini, Genshiken, Yotsuba&. Les BD du label 619 chez Ankama sont très bien aussi (rires)
Raf : Dreamland de Reno, EyeShield 21.

Run, on parlait d’autres labels tout à l’heure, comment choisis-tu si un titre va sur un ou sur un autre ?
Run : C’est une question de feeling, pour moi. Label 619 est mon bébé. Il faut que le projet me plaise et pour définir un peu le Label, je dirais qu’il est orienté street avec un aspect rentre dedans, décalé et teinté de série B. Pour Freaks’ Squeele, je n’avais pas pensé le mettre dans le label. Florent a adoré Mutafukaz et lorsqu’il a vu que je faisais un label, il a voulu en faire parti car il se retrouvait dedans. Je n’osais pas lui demander, donc bon délire. Quand j’ai rencontré Raf, elle ne connaissait d’Ankama que Dofus et n’était pas proche de cet univers. L’idée du Label 619 est de montrer aux gens qu’il n’y a pas que Dofus chez Ankama et que les gens peuvent s’y retrouver, ça peut être long mais on veut se placer comme une maison d’édition à part entière.

Si vous aviez le pouvoir cosmique de visiter le crâne d’un auteur célèbre pour apprendre de lui, qui iriez-vous visiter ?
Raf : J'irais forer dans le crâne de Hiroyuki Imaishi, le réalisateur de Deadleaves et animateur sur Gurren Lagann. Ça a l'air d'être un beau bordel :)
FM : Je dirais bien : Ni Dieu, ni maître. Mais je crois que j’irais bien voir dans la tête d'Alan Moore pour voir comme ça fonctionne un génie.

Quelle est la question que l’on vous a le plus souvent posée ?
Raf : Comment avez-vous rencontré Run ? On dirait que les gens s’attendent à une success story avec un coucher de soleil, mais c’est juste quelqu’un qui cherchait quelqu’un.
FM :« Comment êtes-vous devenu dessinateur ? » revient très souvent, pas mal de questions sur notre style aussi.

Et celle que l’on ne vous a jamais posée ?
Raf : Qu’est-ce que ça fait d’être une femme dans la BD ? Je ne l’ai pas eu encore, c’est étonnant.
FM : Le nombre de niveau de lectures dans ma BD, j’en ai mis un paquet, il y en a au moins 3 !

Merci à tous les trois !

Copyright Label 619/Ankama 2008