Quelques semaines après avoir rencontré Matteo Scalera à la Paris Comics Expo, notre route a recroisé celle de l'artiste italien. Cette fois-ci, nous avons pu l'interroger sur sa dernière série en date : Black Science. Avec elle, il pousse son trait dans ses retranchements tant les détails et le dynamisme sont omniprésents. Toujours aussi sympathique, il s'est prêté volontiers à notre nouvelle salve de questions, nous promettant une fois l'interview terminée de se revoir pour parler de la suite des aventures de l'équipée scientifique de Black Science. Vu le talent du bonhomme, cela ne nous étonnerait pas qu'il devienne une des grosses révélations de ses prochaines années.
interview Comics
Matteo Scalera
Bonjour Matteo Scalera, peux-tu nous dire comment tu t'es retrouvé sur la série Black Science ?Matteo Scalera : Avec Rick Remender, on était déjà amis. On avait auparavant travaillé ensemble sur près de huit numéros de Secret Avengers donc on se connaissait bien. Et on s'entendait bien, aussi. Après seulement deux pages, c'était parti. En gros, il m'a appelé un an plus tard, alors que je travaillais à l'époque sur Indestructible Hulk. C'était en 2012 ou 2013, je ne sais plus. 2013. Il m'a contacté sur Skype et m'a demandé si je voulais qu'on travaille ensemble sur un projet indépendant. Au départ, ce qu'il voulait, c'était donner une suite à Fear Agent, mais au final il m'a dit "Tu sais quoi ? Faisons autre chose, faisons un récit de science-fiction !". Il avait déjà monté l'équipe pour ce projet et Dean White était déjà dans le coup. Un autre dessinateur que moi était sur le projet, aussi, mais il s'est défilé et, donc, Rick m'a demandé "Tu veux venir avec nous sur ce projet ? ça va être énorme !" et moi j'ai dit "Oui, pourquoi pas ?". Voilà comment ça s'est fait.
L'univers de Black Science est très riche. As-tu été influencé par des séries, des films ou des comics de science-fiction ?
Matteo Scalera : Oui. D'ordinaire, Rick va me dire "Hey, il y a ce film qu'il faut qu'on voie !" et c'est aussi souvent influencé par les travaux de science-fiction qu'a fait Frazetta. C'est de la science-fiction mais à l'ancienne : les technologies ne sont pas très complexe, l'ensemble est relativement simple et c'est... Je ne sais pas comment dire... Abordable, pour un comic-book. Et, en général, Rick va sélectionner des images sur internet et m'envoyer tout ce dont j'ai besoin. C'est donc une sorte de mélange de tout ce que tu as déjà pu voir ailleurs, dans les films. En fait, pas tant les films que d'autres comic-books, comme les vieux comics de Mœbius. Rick m'envoie plein d'images de ce que Mœbius dessinait, voilà notre principale source d'inspiration. Nos idées ont des origines très diverses.
Tes arrière-plans, dans Black Science, sont magnifiques. On y voit un temple maya, une île-tortue... Quelle est ton approche pour parvenir à un tel résultat ?
Matteo Scalera : Quand je suis arrivé sur Black Science, la première partie de l'histoire était d'ores et déjà écrite et, donc, ce que tu viens de me décrire était à la base une idée de Rick, pour être honnête. Il sait que pour les personnages, je peux me débrouiller mais pour les arrière-plans, quand on est à court de temps - ce qui nous arrive avec une deadline mensuelle - Rick a déjà en tête une idée de ce que devrait être le décor. Il m'envoie alors plein de trucs, de références.
Une des premières choses choses qui m'a frappé, en lisant Black Science, c'est le dynamisme des visuels. Comment y arrives-tu ?
Matteo Scalera : Pour moi, c'est très simple de travailler comme ça. On me dit souvent que j'ai un style très énergique et, donc, un tel récit me convient tout à fait. Jusqu'ici, sur les deux premiers arcs, on est vraiment dans une ambiance "Bang bang!", quelque chose de très rapide. Tout se déroule très vite et beaucoup d’événements surviennent. Mais, dans le troisième arc, le rythme va beaucoup ralentir et, dans le quatrième -je ne veux rien vous dévoiler -, tout va être plus calme et on va s'attacher à décrire ces mondes parallèles. Il y aura moins de dangers immédiats et plus de travail sur les personnages. J'étais chez Rick il y a trois jours de ça et on a passé deux jours à ne rien faire d'autre que discuter de l'environnement dans lequel se déroule l'histoire. On a littéralement passé huit heures dans son studio à regarder des photos... Il a des tonnes de livres ! Il a été dessinateur et il a plein de livres de croquis, il a toujours plein de trucs à me monter. Ce qu'il y a, c'est que pour capturer l'attention du lecteur, il faut que le visuel soit intéressant, même si on parle d'un monde dans lequel on ne va rester que pour un seul numéro ! On parle de comics, on dépend du fait que les gens achètent ou non le comics. Si les ventes ne suivent pas, on ne gagne pas d'argent. Il faut donc intéresser le public et c'est aussi le rôle du visuel, de ce que tu dessines.
Tu travailles en noir et blanc. Est-ce que tu discutes avec Dean White pour trouver les meilleures couleurs ?
Matteo Scalera : Oui, on a eu une longue discussion avant de commencer. Je lui ai dit ce que j'aimais voir sur mes dessins. Je savais qu'il a un style très fort, très expressif et on a donc eu cette longue discussion, au début du projet. Ensuite, je l'ai laissé faire ce qu'il voulait. Et, puisqu'on parlait des arrière-plans, je pense qu'il est très important d'en tenir compte. Il y a très peu de titres qui portent un intérêt à ce qui se passe dans le fond, ce n'est pas quelque chose de typiquement américain, c'est plutôt européen. Et je crois qu'apporter cette "saveur" européenne au comics, ça permet aussi d'intéresser les gens, de les amener à lire la série. On peut trouver des lecteurs de tous les horizons et je crois qu'apporter cette touche européenne permet aussi d'interpeller le public européen, comme c'est le cas en Espagne, en Italie ou en France.
Peut-on espérer un jour voir arriver un recueil de ton travail, en noir et blanc ?
Matteo Scalera : [rires] Oui, on voulait le faire. J'ai une idée de ce que je voudrais faire, je ne sais pas si ce sera faisable mais on va en parler aux éditeurs. Sur le premier numéro, on a 29 pages entièrement faites à l'aquarelle, même si c'est difficile de s'en apercevoir. J'ai discuté avec Rick, et il était d'accord avec moi : on devrait ressortir le premier numéro en reliure, façon art-book - mais uniquement en noir et blanc. Seulement, après le premier numéro et au vu du style de Dean White, j'ai décidé de retourner au noir et blanc plus classique, sans aquarelle, pas de niveaux de gris. Mais je ne sais pas si ça va se faire avec le premier numéro en aquarelles et les suivants en noir et blanc simple. ça pourrait marcher, mais en tous cas j'aimerais beaucoup pouvoir ressortir le tout premier numéro sous cette forme, oui, ce serait génial. Peut-être en ajoutant les crayonnés, les esquisses, comme un art-book, oui.
Tu réalises aussi les couvertures, en plus des pages intérieures, lequel des deux exercices préfères-tu ?
Matteo Scalera : Les couvertures, je pense. Car sur les couvertures, j'utilise encore les aquarelles. Donc si je devais réaliser un art-book, alors toutes les planches en couleurs se trouveraient à la fin de cet art-book. Sur les couvertures, j'essaie vraiment de me lâcher, d'expérimenter et d'aller à fond sur les couleurs. Cela faisait un moment que je n'avait pas utilisé q'aquarelles et j'aimerais bien m'y remettre.
Je sais que tu as aussi travaillé sur une autre série, récemment. Dead Body Road avec Justin Jordan. Peux-tu nous en dire un mot ?
Matteo Scalera : Oui, bien sûr. J'ai adoré travailler sur cette série et c'est une série très simple, très directe - et je le dis d'une manière positive. C'est un pur comics de vengeance et l'histoire est la suivante: on a un ex-flic, nommé Orson Gage, dont l'épouse est elle aussi dans la police mais elle est encore en service. Elle se trouve un jour dans une banque au moment où un braquage a lieu. Il y a huit ou neuf braqueurs. Les choses tournent mal et tout le monde, sauf les braqueurs, y reste. Orson part donc à la recherche des braqueurs pour les supprimer, l'un après l'autre. Le tout se déroule sur 6 numéros. Orson part trouver le premier braqueur puis le suivant et ainsi de suite jusqu'au boss. Et voilà, c'est tout. Et c'était super fun. Mais, dès le départ, c'est comme un film. C'est très cinématographique. C'est simple ! Et le quatrième épisode est mon préféré, celui dont on me parle tout le temps: d'un bout à l'autre, rien d'autre qu'une course-poursuite en voitures. Tout en pages doubles, c'était génial et, d'ordinaire, je n'en n'ai pas l'occasion. Dans les conventions, aux USA, tout le monde vient m'en parler.
Sais-tu si un éditeur français en aurait acquis les droits ?
Matteo Scalera : Je ne sais pas. Ça a été publié en Italie il y a quelques mois. Je ne sais pas si un éditeur français a acheté les droits. Je pourrais peut-être demander aux gars ici s'ils seraient intéressés. Je ne sais pas si Skybound [NDT: le label de Robert Kirkman] a un quelconque contrat d'exclusivité avec un éditeur français.
Skybound ? Avec Delcourt.
Matteo Scalera : Ah ? Ok. Parce je sais qu'en Italie, il ont une exclusivité auprès d'un éditeur local. Mais je ne savais pas si c'était le cas, ici.
Et qu'as-tu pensé de ta collaboration avec Justin Jordan, comparativement, par exemple, à Rick Remender ?
Matteo Scalera : Très différente. Rick a été illustrateur. Il a travaillé dans l'animation et il a une idée très concrète de ce qu'il veut voir dans les planches. Il me fournit des descriptions très fouillées sur les angles, les placements, etc. Et on échange beaucoup sur la manière dont on souhaite développer les planches. Avec Justin, c'est plus simple. Il laisse beaucoup de champ libre à l'artiste et [tousse] désolé, je suis malade comme un chien. En plus, son script est très simple, direct. Tout comme l'histoire était positivement simple, le script l'était aussi, ça faisait appel à l'imagination. C'était très sympa et on s'est bien entendus. J'ai revu Justin au nouvel an et je le revois dans deux semaines, à Baltimore. C'est un type très gentil et si, pour le moment, je suis accaparé par Black Science, on réfléchit à ce qu'on pourrait faire par la suite. Peut-être Dead Body Road 2 ? Mais ce serai difficile. Je ne veux rien spoiler mais en raison de la conclusion de Dead Body Road, je ne sais pas comment on ferait.
Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre artiste, qu'irais-tu y chercher ?
Matteo Scalera : Je t'avais alors répondu Jorge Zaffino. Cette fois, on va imaginer çà par rapport au travail sur les prochains arcs de Black Science. Vu qu'on veut vraiment se concentrer sur les arrière-plans, sur les plans larges et aussi, obtenir quelque chose de très français. Là, je dirais alors Moebius. Parce que je considère que je ne suis un assez mauvais dessinateur d'arrière-plans. Je ne sais pas, je regarde ce que font d'autres dessinateurs et je trouve qu'ils s'en sortent mieux. J'aimerai donc me rendre dans l'esprit de Mœbius pour comprendre comment il parvenait à réaliser des arrière-plans aussi magnifiques aussi facilement. Et... Je peux en choisir un autre, en plus ? Oui ? Merci ! Je prendrais... Car chaque fois, j'aimerais en choisir un contemporain, que j'admire beaucoup. C'est Greg Tocchini, qui fait Low, avec Rick Remender. Il est brésilien et il a un talent phénoménal. Et lui aussi, il fait des super arrière-plans. Il en fait des dingues dans Low et j'aimerais entrer dans sa tête et comprendre ce qui s'y passe parce que, moi, je n'y arrive pas ! [rires]
Merci Matteo !
Remerciements à Louise Rossignol et Clémentine Guimontheil pour l'organisation et à Alain Delaplace pour la traduction.
Retrouvez également notre première interview avec Matteo Scalera en cliquant ici !