interview Bande dessinée

Paolo Martinello

©Drugstore édition 2012

Après un premier album confidentiel (Delethes, chez Pavesio), l'illustrateur italien Paolo Martinello illustre aujourd’hui 3 souhaits pour Drugstore et Mathieu Gabella, le fabuleux scénariste de La licorne (entre autres). Dans cette histoire étonnante mêlant contes persans et Histoire, la prestation graphique fait écho au scénario, aussi pointue qu'impressionnante, aussi spectaculaire que parfois contemplative. Nous avons eu la chance de converser avec l’un des deux orfèvres, à propos de cette nouvelle série…

Réalisée en lien avec l'album 3 souhaits T2
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
25 janvier 2012

Bonjour Paolo Martinello, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Paolo Martinello : Je suis un dessinateur italien et je travaille dans le milieu de la BD depuis désormais une dizaine d'années. J'ai démarré en Italie avec des projets publiés par des magazines indépendants surtout, et ensuite je me suis installé comme graphic-designer et illustrateur pour la jeunesse. J'ai toujours eu des difficultés en Italie à faire de la BD : chez nous il y a seulement une grosse maison d'édition avec laquelle on peut travailler (Sergio Bonelli Editeur). Mais c'est très, très difficile : si tu as un contrat, il faut faire une histoire de 96 planches par an (ou plus) et ça ne permet pas de faire autre chose. Moi par contre, j'ai toujours eu envie d'avoir plus de projets et de gérer mon boulot. Et surtout, d’utiliser la couleur dans mes pages...

En 2007, sur Delethes (Pavesio), tu faisais le scénario, les dessins et les couleurs...
PM : C'était la première fois qu'un éditeur Italien m'offrait la possibilité de faire une histoire en tant qu’auteur complet (j'avais fait d'autres choses comme auteur, mais toujours de brèves histoires, dix pages au maximum). Ce type de travail m'attirait énormément. En plus, il y avait la possibilité de montrer mon œuvre sur le marché français, vu que Pavesio publiait chez vous aussi. Cela a été une bonne manière de commencer à m'entraîner sur ce genre de publications, sur des livres en grand format et en couleurs. Aujourd’hui, je préfère travailler directement avec les maisons d'éditions françaises. En Italie il n'y a pas moyen de faire ce genre de livres et il n'y a pas non plus de vaste retour public. Je crois que vous êtes les seuls à avoir lu Delethes en France !

Pourquoi as-tu choisi le marché français et non pas les USA ?
PM : Le genre de livres que je veux faire est celui-là : le modèle de la BD française. Vous avez plein de genres et plein de styles exploités. Surtout, les éditeurs n'ont pas peur de laisser s’exprimer les talents d'un dessinateur et d'un scénariste. Dans la BD française, on peut aborder des sujets originaux, et non dessiner seulement des séries déjà existantes. En Italie, on tend plutôt à uniformiser le style et c'est presque impossible de créer pour des nouvelles séries. Les auteurs qui veulent faire quelque chose de plus personnel, ils doivent forcément travailler à l'étranger, surtout en France ou aux Etats-Unis. Et puis je n'ai jamais lu Batman, Superman, Spiderman ou d'autres productions du genre.

© Paollo MartinelloTu as sorti en 2010 le premier album de 3 souhaits. Comment as-tu rencontré Mathieu Gabella ?
PM : A l'époque, j'avais un agent qui cherchait du travail pour moi en France. Il a rencontré Mathieu qui cherchait quelqu'un pour monter le dossier 3 Souhaits. J'avais alors terminé une collaboration difficile avec Soleil, et j’avais aussi été dessinateur des décors de deux volumes de La Compagnie de Glaces chez Dargaud. C'était la première vraie possibilité de faire un projet sérieusement. En plus, j'avais déjà vu La Licorne de Mathieu, qui m'avait bien plu. C'était une occasion à ne pas rater pour moi.

Comment se passe votre collaboration ?
PM : Je dois dire très bien : nous sommes tous deux très exigeants et minutieux et Mathieu a toujours plein d'idées pour ses récits. C'est très inspirant pour moi. J'espère qu'il perçoit la même chose de moi, lui aussi...

La première fois qu'on regarde la couverture de 3 souhaits, on pense à Prince of Persia… C'est une influence pour toi ?
PM : C'était l'idée de départ pour Mathieu. Il avait besoin d'exploiter ce genre d'univers là. La version des 1001 nuits de Prince of Persia était très proche de ce qu'il avait envie de faire. Une version plus moderne et dynamique des mondes des djiins, des tapis volants et des légendes arabes en général. Je connaissais le jeu vidéo, mais je ne suis pas un joueur professionnel ! Aujourd'hui, c'est normal et nécessaire de se raccrocher aux jeux-vidéo : ce sont presque tous des films interactifs ! C'est normal pour un dessinateur de trouver l'inspiration dans ce milieu là.

Le second album est une fois encore très spectaculaire, tu montres de très belles planches. Combien de temps mets-tu sur chaque page ?
PM : Je passe à peu près une semaine pour une page. Mais comme je ne fais presque jamais le story board, le layout, les crayonnés et les couleurs dans la foulée, peut-être donc que j'emploie quatre jours, ou dix… Ça dépend aussi de la difficulté de la planche en question. Et puis je ne fais pas seulement que de la BD. Il me faut en tout cas plus d'un an pour terminer un livre. Je ferais mon maximum pour aller plus vite possible pour les prochains…

D'où tires-tu ton inspiration pour les décors et les djinns ? Tu as beaucoup de documentation ?
PM : J'utilise toujours beaucoup de photos pour les décors. Très souvent, j'utilise un logiciel 3D pour visualiser les bâtiments et les réaliser. Peut-être aussi que je m'inspire de certaines scènes des films (Kingdom of Heaven pour le premier bouquin, surtout)… Mais pour 3 Souhaits, il n'y a pas grand chose (on a surtout évité de s'inspirer du film Prince of Persia, c'était terrible). On avait envie de faire quelque chose de très original, de différent de ce qu'on avait déjà vu. On a donc cherché à se détacher des images d’Epinal des 1001 nuits. Pour les créatures et les djiins, je m'inspire d’animaux existants (les insectes surtout), mais je regarde aussi le travail des autres dessinateurs. Et là, je dois reconnaître que j'ai été inspiré par le travail de certains « concept artists » qui s'occupent de créer les personnages des jeux vidéo. La plupart du temps, je n'ai pas trop de difficultés à inventer des créatures monstrueuses, cela a toujours été facile pour moi.

© Paollo MartinelloTu assures aussi la colorisation. Tu ne veux pas laisser cette tâche à un autre ?
PM : J'aurais bien envie d'une aide pour les couleurs, mais j'ai des difficultés à repérer quelqu'un qui bosse comme moi. Je fais mon possible pour donner un aspect de couleur directe à mes planches et donc c’est très laborieux. Il y a vraiment beaucoup de couches et beaucoup de passages pour arriver à ce que je désire obtenir. D’ailleurs, si je peux profiter de votre site pour lancer une annonce : si vous colorez comme ça, appelez-moi ! J'ai du travail pour vous ! Je pourrai ainsi avoir un peu de vacances…

Maintenant que le second tome est sorti, quel regard portes-tu sur le premier ?
PM : Je trouve mon travail sur le deuxième meilleur. J'ai fait mon possible pour mieux gérer les détails et accroître la grandeur des scènes et des décors. J'ai fait aussi mon possible pour donner une atmosphère différente au récit par rapport au premier. Le deuxième est peut-être un peu plus sombre, mais ce choix est cohérent avec le parcours que le Kabyle doit faire dans la série. Il va changer et son changement se poursuivra dans le prochain tome aussi. C'est normal donc que moi j'essaie de donner un aspect différent aux dessins de chaque tome.

Revenons à des questions plus générales : quelles sont tes influences ?
PM : J'ai eu des influences provenant de la BD italienne au début : Sergio Toppi, Liberatore, Manara, Andrea Pazienza (pas connu malheureusement en France). Ensuite Jean Giraud, Druillet, Al WIlliamson, Simon Bisley et plein d'autres dont je ne me souviens pas. Ensuite, je suis né dans les années 80, donc toute la science-fiction qui passait au cinéma était plein d’inspiration pour moi avec Star Wars, Blade Runner et tous les films féeriques / fantastiques. Ensuite, la peinture, c'est normal : Michelangelo, Caravaggio, Rembrandt, Goya, Klimt, Schiele, Francis Bacon…

Aurais-tu envie de peindre ?
PM : J'ai arrêté de peindre à la fin de mes études et c'est dommage, parce que j'aimais bien faire ça (j'aimais bien aussi la gravure artistique). J'aimerais continuer, mais je n'ai pas le temps. Surtout, je n'aurais pas la possibilité de le faire de façon professionnelle, ce serait juste un hobby… Car alors ce serait impossible pour moi de faire la couleur directe dans mes planches, il faut trop de temps. Peut-être à la retraite, si jamais j’y arrive !

© Paollo Martinello

As-tu envie d'écrire à l'avenir de nouvelles histoires ?
PM : Oui, bien sur ! Mais là aussi, il faut du temps et du travail. Le risque est que ça mette 4 ans pour faire un livre ! Pour le moment, je préfère donc dessiner sur des histoires pensées par des scénaristes professionnels. J'espère parvenir à devenir une sorte d’auteur complet aussi en France. J'ai plein d'idées dans mes cartons, mais je voudrais aussi attendre le bon moment, qui n'est pas maintenant.

Quels sont tes coups de cœur BD récents ?
PM : Pas trop des lectures de BD récentes malheureusement. En plus, je n’ai la possibilité d'acheter des BD françaises que lorsque je reviens chez vous pour dédicacer. Et la dernière fois, c’était il y a un an, pour la dernière édition d’Angoulême. D'habitude, j'aime lire des choses qui n'ont rien à voir avec le genre de récits que je réalise. Pour se comprendre, j'ai bien aimé Polina de Vivés et Blast de Larcenet : je suis un sentimental et j'aime les histories intimistes…

Quels sont tes projets futurs ?
PM : Avant tout, le troisième tome de 3 Souhaits, le dernier de la série. Ensuite, je dois faire une histoire en couleur pour Dylan Dog, un personnage très célèbre en Italie qui, j'espère, rendra mon travail un peu plus visible aussi dans mon pays. Après, d'autres projets d'illustrations, toujours en Italie…

Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui choisirais-tu ?
PM : Je crois que je choisirais un directeur de film. Peut-être Stanley Kubrick ou Paolo Sorrentino, le directeur de il Divo et de This must be the place. Surtout pour leur grande capacité à décrire l'âme humaine.

Si tu n'avais pas fait de la BD, que serais-tu devenu ?
PM : Aucune idée ! Mais je crois que j'aurais bien aimé travailler dans le milieu du Cinéma, ma deuxième grande passion. Mais il est plus probable que si on m'avait empêché de faire le dessinateur, je serais devenu comptable, comme mes professeurs m'avaient conseillé aux temps de l'école…

Merci Paolo !

© Paollo Martinello

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