interview Bande dessinée

Philippe Scoffoni

©Delcourt édition 2009

Avec l’envie solidement ancrée de faire de la BD, Philippe Scoffoni a longtemps fait du story-board publicitaire, attendant d’avoir 39 ans pour enfin concrétiser la chose. Aux côtés de Benoît Rivière, jeune scénariste pour qui Milo est également la première réalisation, il anime aujourd'hui chez Delcourt ce flic dans un Los Angeles d’anticipation, pour un thriller réaliste extrêmement prenant. Les bédiens ont enquêté...

Réalisée en lien avec l'album Milo T2
Lieu de l'interview : Paris, Salon du livre

interview menée
par
28 octobre 2009

© Philippe Scoffoni - Milo 2 Pl 36Bonjour Philippe ! Pour faire connaissance, peux-tu te présenter : qui es-tu, comment en es-tu arrivé à faire de l bande dessinée ?
Philippe Scoffoni : Bonjour, je m’appelle Philippe Scoffoni. Avec Milo, je fais ma première BD… à 39 ans, quand même ! Auparavant, depuis 15 ans environ, je bosse en tant que storyboarder pour diverses agences de pubs, mais je n’ai jamais quitté l’idée de faire un jour de la BD. Il m’a juste fallu un peu de temps pour trouver un scénario, pour comprendre que moi-même je n’étais pas capable d’en produire un… Je me suis vraiment décidé à concrétiser la chose il y a 5 ans. Et entre la décision ferme et la réalisation, il a fallu à peu près 5 ans.

Pourquoi ne te sentais-tu pas capable de scénariser ?
PS : J’avais complètement bloqué sur la page blanche, « bêtement », au niveau des idées. J’ai surement besoin de contraintes, de quelque chose déjà en place pour réagir dessus, concrètement. Partir de zéro, ça n’est visiblement pas pour moi. Depuis que je travaille avec Benoît Rivière, je note des idées… je me dis que, peut-être, ça pourrait être la base d’un « travail ». Néanmoins, après Milo, j’imagine toujours la collaboration avec un scénariste.

« Après Milo »… c'est-à-dire ?
PS : Milo est une série prévue en trois tomes, donc au terme des 3 tomes.

© Philippe Scoffoni - Milo 2 Pl 41

© Philippe Scoffoni - Milo 2 Pl 46Comment vous êtes vous trouvés avec Benoît Rivière ?
PS : On s’est rencontré par le biais de petites annonces sur Internet. Sur un site où les scénaristes et les dessinateurs cherchent chacun leur réciproque. On a présenté un premier projet aux éditeurs, tous les deux. Ce premier projet ne concernait pas Milo, mais un album de science-fiction. Benoît m’avais envoyé quelques planches… J’avais alors remarqué qu’il avait un vrai sens du rythme, du découpage par planche… C’est surtout ça qui m’a convaincu chez lui. L’histoire de SF a finalement été refusée par les éditeurs, dont Delcourt, après hésitations. Et puis Delcourt a accepté, pour Milo.

Et qu’est devenu ce projet de SF ?
PS : Je crois que Benoît essaie de la représenter par ailleurs, avec un autre dessinateur. Mais c’est pas gagné !

Pourquoi avoir choisi le genre de l’anticipation ?
PS : C’est benoît qui a choisi ce décalage temporel, mais il n’en avait pas défini l’échéance exacte. C’est moi qui ai mis la date arbitraire de 2030. Je pensais qu’il fallait rester dans une anticipation légère, très proche du contemporain, en raison des nécessités du scénario. Il y avait des choses qui n’existaient pas encore, technologiquement. Le décalage dans le temps me permet en plus de ne pas tomber dans l’aspect documentaire, c'est-à-dire par rapport à un environnement urbain précis. Milo se passe à Los Angeles, mais ça reste pour moi un fantasme de polar. Ça m’épargne le réalisme de le situer dans un avenir crédible. Je ne suis jamais allé à Los Angeles et je ne pense que ça sera comme ça, de toute façon, en 2030.

© Philippe Scoffoni - Milo 2 Pl 13

Comment définit-on justement un tel décor urbain ?
PS : Il y a certes une base documentaire… Mais ce sont plus des symboles qu’on recherche dans ces cas-là. Par exemple, la présence de hauts palmiers situe plus volontiers le contexte à Los Angeles qu’à New York. Bon, il ne faut pas que ça ressemble à Nice, non plus. J’ai rajouté pas mal de ponts, les réseaux autoroutiers, ce sont des images qui typent fortement Los Angeles. J’ai brodé autour de ça, pour trouver des proportions de mégapoles…

© Philippe Scoffoni - Milo 2 Pl 36

Et le personnage de Milo, comment a-t-il été défini ?
PS : J’ai tendance à le dessiner un peu trop jeune. A l’origine, je l’imagine pourtant comme un homme mur : 45-50 ans… Physiquement, il y a une grosse référence d’acteur : j’avais vu à l’époque un film de John Cassavetes avec Ben Cazzara et cet acteur m’a complètement inspiré pour le personnage de Milo.

© Philippe Scoffoni - Milo 2 Pl 6

© Philippe Scoffoni - Milo 2 Pl 1Comment se passe le travail en commun avec Benoît Rivière ?
PS : Benoît travaille assez vite : j’ai le scénario entièrement découpé, tome par tome. Planche par planche, case par case, avec les planches dialoguées et quelques indications du lieu, mais pas les cadrages. A partir de ça, je lui fournis un story-board, mes idées fourmillent et on s’entend bien sur ce mode de collaboration.

Pas d’autre projet avec et/ou sans lui ?
PS : Pas pour le moment… on en a encore pour 1-2 ans ensemble. Et concernant mes autres projets, je réfléchis à divers propositions, tout en développant une histoire avec un scénariste pour un one-shot probablement, dans l’univers du polar. Mais rien n’est encore signé.

Quelles sont tes références en matière de bande dessinée ?
PS : Fondamentalement, c’est Jean Giraud. Il a été le choc esthétique de base, chez moi. Je suis également très content de la production actuelle. Depuis les années 2000, ça s’est vraiment diversifié. Il y a beaucoup de très bonnes choses. Je peux donner quelques noms, comme Benoît Peeters, Emmanuel Guibert… Ce sont déjà des grands noms pour moi, parmi les gens relativement jeunes. Sinon, je suis un grand lecteur de bandes dessinées : j’achète des BD parfois uniquement pour le dessin, sans les lire. Ma lecture c’est d’abord celle du dessin.

Si tu avais le pouvoir cosmique d’être un autre auteur de BD, pour quelques minutes, histoire de l’espionner, tu choisirais qui ?
PS : Joann Sfar, pour savoir comment ça fait d’avoir autant d’énergie en soi. Mais ce concept d’espionnage ne me botte pas plus que ça : regarder à l’intérieur de quelqu’un, c’est avoir accès à son intimité, donc bof.

Merci Philippe !



© Philippe Scoffoni - Milo 2 Pl 42