interview Comics

R.M. Guéra




Nous avions déjà eu l'honneur et le plaisir de croiser R.M. Guéra au début de l'année 2012 lors d'une rencontre organisée par l'association Teach, drink and draw à Clermont-Ferrand. A cette époque, l'artiste serbe n'avait pu répondre qu'à nos premières questions faute de temps. Voici ses réponses....

Bonjour R.M. Guéra. Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter et nous dire comment tu es devenu dessinateur de BD et de comics ?
R.M. Guéra : Bonjour. Je suppose que, comme tant d'autres, je dessine « depuis toujours ». Littéralement, je ne me souviens pas de ma vie avant de m'être mis à dessiner. Et après, il s'est agi d'essayer d'en vivre. J'ai essayé dans mon pays d'origine (l'ex Yougoslavie) jusqu'à l'âge de 30 ans. J'y ai rencontré la reconnaissance et on m'a décerné des prix, mais en vivre s'est avéré très difficile, pour ne pas dire impossible. J'ai réalisé qu'il s'agirait probablement d'une difficulté qui me guetterait toute ma vie. Alors en 1991, je me suis installé à Barcelone. Et là, j'ai été rattrapé par une crise comme le comics n'en avait plus connu depuis au moins 20 ans (A minima. Probablement même la pire des crises que le comics ait connu. Je dois être veinard, non ?). Il a bien fallu survivre, et j'ai fait un tas de choses pour des agences de publicité, des musées, des illustrations pour des magasines, du travail pour les dessins animés, etc. Vers 1999, un agent français qui s'était intéressé à mon travail m'a contacté et j'ai pu à nouveau travailler pour les comics. Jusqu'à aujourd'hui. Et j'espère jusqu'à la fin de ma vie !

Quelles sont tes influences, ou quels sont les auteurs qui font référence pour toi actuellement ?
R.M. Guéra : Il est pratiquement impossible pour moi de répondre de façon complète à la question des influences, parce qu'elles ne proviennent pas exclusivement des auteurs de comics. Je me réfère à la littérature, au cinéma, aux peintres, aux photographes. La composition quasi chirurgicale de Cartier Bresson, la cohérence des scènes de John Huston sont des éléments qui m'ont plus inspiré que certains dessinateurs. Quelque chose du réalisme de Kurozawa ou de Peckinpah. Je suis vraiment passionné par l'ambiance des romans de Cormac McCarthy. Comme celle de la musique de Bob Dylan. Tellement de sources d'inspirations… Cette question est récurrente dans mes interviews et j'aimerais pouvoir y répondre invariablement en un mot : plein ! Ce serait plus confortable pour moi, mais ça la fout mal ! Et les dessinateurs qui m'ont influencé proviennent d'horizons très différents. Mais le temps passant, je me rends compte qu'il existe bien une ligne commune et reconnaissable entre tous. Si je remonte à mon enfance, Joao Mottini est sans aucun doute celui qui m'a le plus influencé. J'imagine qu'à lui seul, il représente la moitié de mes influences. L'autre moitié provient de Ruggiero Giovannini et Alberto Breccia. Après mon adolescence, le pivot ou la marque définitive, bref, la clé, ce fut Franquin et Jean Giraud/Moebius pour ce qui est des Européens, puis Noel Sickles, Jack Davis, Wallace Wood et Frank Robbins du côté américain. Mais il y a eu aussi des gens comme Hugo Pratt, Zeljko Pahek, Morris (oui, oui, celui de Lucky Luke !) ont eu une importance assez déterminante dans mon attitude. Aujourd'hui, bien que sois assez coupé de ce qui se passe, pour ce qui est des européens, j'aime beaucoup Denis Bodart ou des auteurs dans sa veine. Disons ceux qui essaient de tracer leur propre sillon sans qu'ils oublient la partie didactique. Du côté des américains, j'adore David Lapham, en particulier son Stray Bullets (Balles Perdues). C'est un auteur complet. Mais aussi Jason Latour et le brésilien Rafael Grampa, qui fait un travail très intéressant.

Tu as évoqué tes débuts professionnels en ex-Yougoslavie. On pense à Elmer Jones et Texas Riders. Avec le recul et le temps qui est passé, quel regard portes-tu sur ces récits ?
R.M. Guéra : C'étaient mes premiers pas professionnels. Des œuvres qui m'ont permis de comprendre ce que c'est que de raconter une histoire, et l'importance d'être clair. Cela m'a aussi fait comprendre que le talent brut ne vaut finalement pas grand-chose si on ne prend aucun risque, si on ne progresse pas. On s'arrête à ce qu'on sait faire et ce talent meurt. La chose la plus importante que j'ai acquise à cette époque, en lien étroit avec l'influence des maîtres que je m'étais choisis, était que si j'avais un quelconque talent, il fallait aussi libérer mon énergie, le laisser voler de ses propres ailes, mais aussi apprendre à le combiner avec la clarté d'exécution.

Remerciements spéciaux à l'association Teach, drink & draw, à Jean-Philippe Diservi pour la traduction de la session clermontoise, à Louise Rossignol et Gabriel Vernet pour l'organisation de l'interview lors du Paris Comics Expo et bien sûr à R.M. Guéra.

PAR

28 octobre 2012
©Urban Comics édition 2013

R.M. Guéra a fait quelques apparitions dans le monde de la BD franco-belge... mais c'est véritablement avec la série de comics Scalped que l'artiste serbe a trouvé sa place. Dans ce polar noir en terres indiennes, le dessinateur illustre la violence de cette société, les inégalités sociales et surtout, une vengeance. Celle de Dashiel Bad Horse, un ancien habitant de la réserve jouant les infiltrés du FBI. Avec ce récit millimétré écrit par Jason Aaron, le talent de R.M. Guéra a inondé le monde du 9ème art, jusqu'à atteindre le cinéma. En effet, Quentin Tarantino, en lisant la série, lui a demandé d'illustrer une histoire inédite de son dernier long métrage Django unchained. De passage lors de la première édition du Paris Comics Expo, nous avons retrouvé cet auteur d'une générosité rare et avons évoqué avec lui son avenir, maintenant que Scalped est terminé aux USA...

Réalisée en lien avec les albums Scalped T7, Scalped T6, Scalped T5, Scalped T4, Scalped T3
Lieu de l'interview : Paris Comics Expo