interview Bande dessinée

Simona Mogavino

©Glénat édition 2019

Souvent associée au scénariste Arnaud Delalande, la scénariste Simona Mogavino est également très bien entourée par son mari, le dessinateur Alessio Lapo. Tous trois font d'ailleurs coup double en cet automne 2019, avec les sorties successives du Chevalier d'Eon et de l'album de la collection Un pape dans l'Histoire consacré à Alexandre VI (... chez les Borgia !). Avant de revenir très vite au second tome du Chevalier d'Eon ! (fin novembre). Bref, tout cela méritait bien un petit focus via une interview...

Réalisée en lien avec l'album Le Chevalier d'Eon (Mogavino) T1
Lieu de l'interview : le cyber-espace

interview menée
par
21 octobre 2019

Le tome 1 du Chevalier d’Eon vient de sortir chez Glénat. Comment te sens-tu ? As déjà quelques retours des lecteurs ? De la presse spécialisée ?
Simona Mogavino : Nous sommes très contents car jusqu'ici les retours sont positifs. Nous avons beaucoup travaillé pour la réalisation de cette bande-dessinée. Pas mal de lecteurs nous ont contactés pour nous féliciter, visiblement satisfait d'avoir lu ce premier tome. En ce qui concerne la presse spécialisée, nous avons eu seulement qu'une seule critique, un avis positif qui est visible sur Regard-critique.fr

Le chevalier d’Eon T2 - Copyright Glénat Mogavino / Lapo

Charles d’Eon est une véritable « figure » du XVIIIème siècle. Comment en êtes-vous venu à travailler sur lui ? Qu’est-ce qui a motivé votre décision ?
Simona Mogavino : En fait, c'est grâce à Camilla Patruno, une passionnée de bande-dessinée, habitante de Tonnerre, où est né le chevalier d'Eon. C'est elle qui nous a parlé de ce personnage. Alessio et moi, nous nous sommes rendus là-bas en voiture (plus de 700 Km) et on y a passé quelques jours pour nous documenter et faire des recherches. Camilla nous a amené dans un musée dédié à Eon et ça a été un moment émouvant de pouvoir voir ses vêtements, toucher du doigt des lettres écrites et signées de sa main… Qui plus est, la ville de Tonnerre avec sa fosse Dionne et ses douces collines est tout bonnement magnifique, mamma mia ! J'ai adoré cette visite !

Vous avez collaboré avec votre conjoint, Alessio Lapo ainsi qu’avec Arnaud Delalande sur cette œuvre. Comment s’est passé le travail entre vous trois ?
Simona Mogavino : Le chevalier d’Eon T2 - Copyright Glénat Mogavino / Lapo En fait, c'était la première fois que je travaillais avec Alessio. Comment expliquer la dure vie d’une femme qui vit 24h sur 24h et 365 jours par an avec un dessinateur de bande-dessinée ? D'un côté, il faut savoir qu'un dessinateur est toujours pétri de millions de doutes, d'angoisse, de la peur de décevoir et le fait de n’être jamais satisfait de son propre travail ce qui l'amène souvent à recommencer de nombreuses fois ses dessins. De l’autre côté, en tant que femme d'Alessio, il m'arrive de le réconforter, mais je dois avouer qu'il m'arrive souvent de perdre patience parce que je suis sa femme. Cette fois, j'ai aussi été sa scénariste (rires). Ça été un peu dur... Mais ça fait 20 ans que nous sommes ensemble et s'il y a bien une chose que j'ai appris c'est que dans la vie, il faut savoir surmonter les difficultés ensemble. C'est ça le secret du bonheur. Et puis, je dois avouer que je suis la première fan de mon mari.
En ce qui concerne Arnaud Delalande, c'est toujours agréable de collaborer avec un gentleman comme lui. Nous avons commencé à travailler ensemble dès 2011 sur Aliénor, la légende noire et on a continué jusqu’à aujourd’hui… Avec lui, il n'y a jamais eu un problème ou même une incompréhension. Il est toujours présent et disponible, et il est surtout devenu maintenant un véritable ami.

Comment avez-vous fait pour écrire un scénario avec Arnaud ? Est-ce qu’il y a un partage des tâches ? Comment sont fixés les éléments narratifs ? Qui décide de quoi ?
Simona Mogavino : Je commence à écrire les synopsis qui, je l’avoue, ne sont pas courts (environ 15 pages minimum, mais je peux aussi écrire 30 pages !). Ça me permet de poser un contexte précis et de définir les principaux éléments narratifs avec quelques dialogues, des scènes clés, différents personnages, des intrigues etc. À partir de là, le travail sur le scénario n’en sera que plus rapide. J’envoie ensuite mon synopsis en français (très perfectible) à Arnaud, qui va corriger toutes mes erreurs de langage avec méticulosité afin de définir les dialogues dans un français bien châtié. De même, il reprend mon synopsis pour apporter des améliorations ici et là, sans jamais dénaturer mes idées. Ensuite, Arnaud va amener ses propres idées afin d’enrichir la narration. Son travail est très important car il participe énormément à la réussite de nos projets communs. Je suis vraiment très fière de pouvoir collaborer avec un professionnel comme lui. C’est un véritable travail d’équipe !

Le chevalier d’Eon T2 - Copyright Glénat Mogavino / Lapo

Est-il facile de travailler avec son conjoint ?
Simona Mogavino : Mmmh… Vous avez l’intention de remuer le couteau dans la plaie, ou quoi ? (rires) Je dois avouer que je suis un peu masochiste : Alessio et moi, avons signé pour travailler ensemble sur un nouveau diptyque ! (rires)

Vous êtes une spécialiste des scénarii historiques et à ce titre, vous avez des idées précises du rendu de telle ou telle scène. Est-ce que vous guidiez Alessio dans ses illustrations ou avait-il carte blanche ?
Simona Mogavino : Alessio a une carte blanche totale dans ses dessins. J’ai énormément confiance en lui. Qui plus est, il n’a pas son pareil pour faire des illustrations qui collent au scénario ; je le laisse donc agir à sa guise. Ceci étant, lorsque je ne suis pas satisfaite d’une de ses planches, je lui en parle... et c’est là que commence la guerre ! (rires)

On sent un travail de recherche historique phénoménal dans « Le Chevalier d’Eon ». Comment vous y êtes-vous pris, exactement ? Qu’est-ce que vous avez gardé pour écrire votre histoire, qu’est-ce que vous avez rejeté ?
Simona Mogavino : Oui, c’est vrai. Nous avons fourni un énorme travail de recherches, en plus d’être allés sur place, à Tonnerre. J’ai beaucoup lu sur le sujet, notamment un livre plutôt rare de de Cesare Gardini intitulé Lo strano caso del cavaliere d’Eon. Ce livre-là est pour moi celui qui est le plus détaillé historiquement et qui colle le plus à la réalité du personnage. De même, je me suis penchée sur l’ouvrage Mémoire du chevalier d’Eon aux éditions de Saint-Clair, ainsi que sur les récits relatifs à Madame Pompadour. Ensuite, je me suis aussi servie d’Internet pour replacer l’histoire dans son contexte politique. En général, quand je travaille sur un scénario, je fais de très nombreuses recherches pour engranger des informations, puis je m’arrête un peu. Ça permet aux idées de se décanter avant de commencer l’écriture. En ce qui concerne ce que j’ai rejeté, c’est la légende de l’androgénie du chevalier. Il semblerait qu’il ait souffert de cette étiquette de femme à l’époque. J’ai donc voulu axer mon scénario sur une vérité historique : Eon était un homme en plus d’être un personnage extraordinaire.

Il est intéressant de voir que vous n’avez pas pris le parti de faire du chevalier une femme (comme bon nombre d’œuvres) et de placer l’action de ce tome 1 sur les débuts du chevalier d’Eon, notamment lors de sa mission au sein de la cour de Russie. Quelle est la part de la réalité et de l’imaginaire dans votre scénario ?
Simona Mogavino : Il y a une bonne part de fiction dans cette bande-dessinée, notamment lors des dix premières pages lorsqu’Eon est à Versailles et qu’il y rencontre Voltaire. Je me suis amusée à les faire se chamailler pendant que se jouait sur scène Tartuffe de Molière, avec la Pompadour dans le public. Cela relève certes de l’imaginaire, mais pour travailler cette idée, je me suis énormément documentée sur Voltaire, sur la Pompadour et même sur Molière. De même, en ce qui concerne la scène de l’embuscade dans le bois par des gros bras à la solde du Prince Conti, elle n’est pas vraie. Mais j’avais besoin de montrer l’habileté à l’épée du chevalier d’Eon et surtout de rendre plus crédibles les pages suivantes dans lesquelles Conti l’appelle pour lui confier sa toute première mission d’agent secret… Ensuite, j’ai aussi créé des personnages totalement fictifs, comme Ivan, lors du périple pour la Russie. J’avais besoin d’un personnage pour emmener le lecteur vers le méchant de l’histoire. C’est pour ça que je lui ai inventé un passé qui sera peut-être l’une des clés de la résolution du meurtre à la fin du tome 1...
L’autre personnage fictif est Sophie. Pourquoi ? Pour l’amour ! Ah, l’amour ! On ne peut pas ne pas mettre un peu d’amour dans un récit, non ? (rires)
Enfin, j’ai inventé la conspiration de Jeanne-Élisabeth, la mère de Catherine de Russie avec William, l’ambassadeur anglais. Vu qu’il a été prouvé historiquement que Jeanne-Élisabeth détestait l’impératrice et vice-versa, j’ai donc profité de cette haine réciproque entre les deux femmes pour étoffer l’intrigue de la bande-dessinée. Ça colle parfaitement avec la complexité des retournements d’alliances Européennes à cette époque-là.

Selon vous, qui était vraiment le chevalier d’Eon ?
Simona Mogavino : Pour moi, c’était simplement un homme qui cherchait sa place dans son monde…

Combien de tomes sont prévus pour cette histoire du chevalier d’Eon ? Sont-ils tous déjà écrits ou en cours ?
Simona Mogavino : Nous avons prévu de sortir trois tomes. Le deuxième volume sortira le 27 novembre 2019 chez Glénat. Quant au scénario du troisième tome, il est déjà bien avancé et Alessio est d’ores et déjà en train de travailler sur les premiers story-boards.

Avez d’autres projets en cours ou du moins en cours de réflexion ? Que peut-on attendre de vous pour 2020 ?
Simona Mogavino : Oui ! Nous avons heureusement pas mal de projets pour 2020 et même au-delà... ça va nous permettre de payer les factures de la maison ! (rires)
Le 23 octobre 2019 sort Bienvenue au Kosovo aux éditions du Rocher. C’est un one-shot que j’ai écrit avec la participation de Nikola Mirkovic et des illustrations de Quattrocchi. Le 20 novembre ce sera la sortie chez Glénat d’Alexandre VI – Le pouvoir des Borgia tome 1/2, avec des dessins d’Alessio dans la nouvelle collection Un pape dans l’histoire. Puis, comme je l’ai dit plus haut, le 27 novembre sera marqué par la sortie du tome 2 du Chevalier d’Eon - La conspiration de Saint-Pétersbourg.

 Alexandre VI – Le pouvoir des Borgia - Copyright Glénat Mogavino / Lapo

En février 2020, ce sera la sortie de Catherine de Medicis, la reine maudite tome 3 dans la collection Reines de sang chez Delcourt (scénario : Mogavino/Delalande - Dessins : Carlos E.Gomez). Courant 2020, Delcourt devrait publier une œuvre concept composée de quatre diptyques. À l’heure actuelle, je ne peux pas en dire plus. C’est un concept historique dont deux diptyques seront scénarisés par France Richmond (Trône d’Argile) et les deux autres scénarisés par moi-même. Carlos E. Gomez (Aliénor, la légende noire) sera aux dessins avec pour coloriste Lorenzo Pieri (Murena T10). Le premier tome est d’ores et déjà terminé et je peux vous assurer c’est MAGNIFIQUE ! J’ai hâte de vous le montrer !
Ensuite, courant 2020/2021, je travaillerai pour Glénat sur le premier tome d’une histoire de SF (oui, vous avez bien lu – rires) avec des dessins de Laura Zuccheri (Les épées de verre, Retour sur Belzagor) qui sera aussi la coloriste ! Cette histoire sera composée de deux tomes et un grand dessinateur (dont je ne peux pas encore dévoiler le nom) travaillera sur une histoire parallèle du même univers… J’ai vraiment hâte ! Enfin, il est prévu que sortent les derniers tomes d’Alexandre VI chez Glenat/Cerf et Le chevalier d’Eon.

Question classique chez Planète BD : si vous aviez l’opportunité de rentrer dans la tête de quelqu’un, ce serait qui ? Et Pourquoi ?
Simona Mogavino : C’est facile… Ce serait dans ma propre tête ! J’aimerais entrer dans les pièces secrètes de l’esprit, là où se trouve un endroit fascinant dans laquelle réside chaque chose… l’inconscient.

Le chevalier d’Eon T2 (couverture) - Copyright Glénat Mogavino / Lapo