Artiste aux multiples facettes, Stéphanie Hans est passée par l’illustration jeunesse ou l’illustration d’œuvres romanesques. Boulimique de travail, elle a également lancé ses propres bandes dessinées comme Galathéa et collaboré avec Bénédicte Gourdon sur Héritages. Repérée par Marvel, elle est devenue une dessinatrice très prisée par le géant américain mais aussi par les éditeurs comme Vertigo ou IDW, offrant des illustrations fantastiques sur des titres comme Journey into Mystery, Storm ou Angela. C’est à l’occasion de l’édition printanière du Toulouse Game Show que Stéphanie Hans a bien voulu se prêter au jeu des questions avec disponibilité et gentillesse. Rencontre avec une artiste passionnée.
interview Comics
Stéphanie Hans
Réalisée en lien avec l'album Secret Wars : Les Gardiens de la Galaxie T4
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Pourrais-tu expliquer un peu ton parcours ?
Stéphanie Hans : Je suis toujours extrêmement gênée quand on me pose une question sur mes études parce que j’étais vraiment une pitoyable étudiante, je n’allais jamais en cours au grand désespoir de mes profs. Ce n’est pas que l’école était mauvaise, c’est qu’elle ne me convenait pas. J’ai toujours été plutôt dans une démarche très professionnelle, déjà beaucoup tournée vers l’après, les contrats…pour moi, ça ne posait pas de problèmes de dire que je voulais travailler pour l’industrie mainstream, la pop culture alors qu’en école d’art, surtout en France, on nous encourage plutôt à être un auteur, à être un artiste, à expérimenter. Moi, expérimenter, ça ne m’intéressait pas tellement, ce que je voulais, c’était me spécialiser dans la pop culture. J’ai choisi l’illustration en tout état de cause, je me suis demandé ce qui m’intéressait le plus dans le dessin et dans l’art en général. Pour moi, le plus important, c’était le rapport des gens normaux avec l’art, ce que je voulais était de toucher à peu près tout le monde, avoir un boulot qui n’ait pas besoin d’un mode d’emploi ou une culture ultra développée. Si tu as de la culture, c’est toujours mieux, ça t’amènera à une seconde lecture de certains travaux. Mais ça ne t’empêche pas de lire une bonne BD, si tu n’as jamais lu de BD de ta vie, après tout, une BD, ça doit être lisible par tous, c’est la première chose qu’on lui demande.
C’est un peu un discours anti-élitiste sur les écoles d’art françaises ?
Stéphanie Hans : Le problème ne venait pas particulièrement des profs en eux-mêmes, j’étais dans une année où les gens voulaient surtout faire de l’illustration jeunesse très graphique, ce qui se faisait à l’époque et ils se demandaient tous pourquoi je ne voulais pas faire ça, ils ne comprenaient pas bien. Ça m’a beaucoup remise en question et j’étais assez perdue en sortant des Arts décos, j’avais eu mon diplôme mais je ne savais plus du tout quoi faire. J’ai beaucoup écrit à ce moment-là, j’ai beaucoup créé d’histoires que j’ai proposées à un éditeur par la suite et ma première BD est sortie. Pour en revenir à ta première question, comment on en arrive là ? Avec beaucoup d’erreurs et beaucoup beaucoup d’obstination, je dis parfois que j’avais plus d’ambition que de talent, pour commencer en tout cas. Il faut être honnête, quand j’ai fait mes premiers travaux, c’était pas terrible, mais je me suis accrochée, j’ai beaucoup travaillé, je me suis beaucoup remise en question, j’ai changé de technique complètement plusieurs fois avant de trouver ce qui me convenait, c’était dur mais ça fait partie d’un travail normal d’illustrateur je pense. Certaines personnes y arrivent tout de suite et c’est vraiment bien pour eux mais, en même temps, je trouve que de devoir batailler beaucoup, ça t’arme vachement pour le métier.
Tu décris très bien sur ton site cette volonté de s’accrocher...
Stéphanie Hans : Des fois, l’ambition est dévorante, ça m’a servi, j’avais un but, j’en ai toujours, mais je me sens un peu moins en danger, plus légitime. Pendant longtemps, j’ai couru pour ne pas m’arrêter et tomber, je courais après le travail, après la reconnaissance, maintenant, je me sens un petit peu plus à l’aise. Je ne peux pas compter sur le fait que ça ne s’arrêtera jamais du jour au lendemain parce que ça a déjà été le cas mais je sais que si ça devait arriver, je suis armée pour affronter ça.
Entre comics, romans graphiques, illustrations jeunesse, ton travail est extrêmement varié, avec quel genre te sens-tu le plus en phase ?
Stéphanie Hans : Je préfère le comics, pas forcément pour les raisons qu’on pourrait croire, ce que j’aime dans le comics, c’est la confiance qu’on me fait, je prends le même plaisir graphique à faire une couverture jeunesse ou sur les couvertures Aliens sur lesquelles je travaille. Quelque part, pour moi, c’est le même plaisir parce que c’est un plaisir graphique mais on me laisse beaucoup plus de liberté en comics, on me fait vraiment confiance et c’est un plaisir délectable d’être embauchée pour ce que je fais précisément et me laisser le choix de le traiter à ma façon. Chez Marvel, ils m’ont beaucoup laissé expérimenter mes techniques, à un moment, je suis repassée au traditionnel, à l’acrylique, à la peinture, à l’aquarelle, ils m’ont toujours laissé la bride sur le cou et c’est vraiment une chance incroyable ! En France, c’est impossible.
Y a-t-il une réelle différence entre la France et les Etats-Unis dans la manière de traiter les artistes ?
Stéphanie Hans : C’est le jour et la nuit ! Je ne voudrais pas me mettre les éditeurs à dos mais j’ai été vraiment échaudée par mes rapports avec les éditeurs français, malgré tout ce que j’ai pu faire, j’ai toujours l’impression de devoir faire mes preuves alors qu’en travaillant pour les éditeurs américains, je sais que chaque année ce qu’on me propose est directement la conséquence de ce que j’ai fait avant. Les années précédentes, j’ai pu travailler sur Star Wars, sur Aliens, ce ne sont pas des choses que j’aurais pu faire les premières années, mais maintenant, j’ai la confiance des éditeurs, alors qu’en France, je connais pas mal de personnes qui ont déjà fait leurs preuves, qui ont déjà eu du succès mais qui se retrouvent à devoir négocier des contrats comme si c’était le premier. C’est super triste, tout devient une bataille, tout le monde est nerveux, les illustrateurs français sont aux abois, même si personnellement j’ai une situation très privilégiée. Je ne connais pas d’illustrateur travaillant en France qui soit totalement serein par rapport à tout cela à l’exception des gens qui ont un énorme succès mais c’est très rare. Il faut aussi mettre ça en balance avec le nombre de sorties annuelles, je crois qu’il y a 8000 nouveaux titres par an en France qui se bousculent sur les tables des libraires. Forcément, quand tu n’es pas connu, tu arrives direct dans les rayons, pour rembourser les avaloirs, il faut en vendre peut-être 5000 quelque chose comme ça…avant 5000, c’était un échec, maintenant, 5000, c’est un succès. Il y a vingt ans, tout le monde pouvait vendre 25 000 bd, maintenant, c’est de l’ordre de l’utopie.
Parmi tous les personnages que tu as dessinés, lesquels te plaisent le plus à dessiner et au contraire, lesquels te semblent le plus complexe ?
Stéphanie Hans : C’est la complexité des costumes qui peut poser souci, par exemple, un jedi a un costume avec beaucoup de lignes, beaucoup d’éléments, c’est souvent plus compliqué que Black Widow par exemple où tu peux faire une masse noire, une masse rouge, une tête au milieu, la ceinture, les bracelets et ça va vite. Je suis plus à l’aise avec les personnages féminins, je pense que c’est le cas de beaucoup de femmes, souvent, on commence à dessiner en se dessinant soi-même. Les premières années, chez Marvel, ils m’ont collés beaucoup de personnages masculins, ce qui m’avait d’ailleurs vraiment étonnée parce que ça ne m’était jamais arrivé avant. Je m’y suis habituée, maintenant, ça ne me pose plus de problème particulier.
Si on parle technique, est-ce que tu préfères travailler en traditionnel, en numérique ?
Stéphanie Hans : Je suis plus à l’aise en numérique mais j’aimerais bien vraiment savoir ce que je fais en traditionnel. Autant il y a des choses que je sais faire, autant il y a des choses que j’aimerais vraiment savoir faire comme la peinture à l’huile par exemple mais ce n’est pas forcément quelque chose qu’on peut improviser. J’ai essayé une fois, je suis partie acheter de la peinture à l’huile, j’étais sur les couvertures de Storm, je me suis dit « allez, celle-là, je la fais à l’huile », j’ai commencé, je me suis arrêtée au bout de cinq minutes en me disant « je ne sais vraiment pas ce que je fais, c’est horrible ». Ça fait des années que j’ambitionne d’aller à Florence : il y a une école de peinture classique où tu peux aller deux semaines, deux mois, deux ans, j’irais bien trois semaines pour voir comment c’est vraiment.
Comment te situes-tu au milieu des polémiques actuelles sur les femmes dans la BD ?
Stéphanie Hans : J’ai toujours été assez protégée en fait, je suis toujours passée entre les gouttes. Parfois, je reçois des mots de soutien qui me disent « ne laisse pas les haters te plomber » mais en fait, je n’ai jamais reçu de lettres de haine ou autres, je connais des gens qui en ont eu mais moi jamais alors que j’ai travaillé sur plusieurs titres queer et ainsi de suite. Je crois que je n’ai pas un trait assez caricatural féminin pour énerver et j’ai un trait assez solide pour qu’il n’y ait pas grand-chose à dire en gros. Après, comme tout le monde, quand j’ai commencé ma carrière, on m’a prise pour la coloriste, l’accompagnante, on s’est souvenu de moi comme la coloriste, il a fallu une ou deux fois que je menace de péter des genoux – je faisais du Tae Kwon Do – et ça marche très bien. J’ai eu peu de condescendance. En plus, comme je faisais beaucoup d’illustrations jeunesse, c’était souvent des éditrices. Dans l’édition de bande dessinée, c’est arrivé que des éditeurs essaient de tirer profit d’un certain sentiment patriarcal mais en fait, je crois qu’ils essaient de tirer parti de tous ce qu’ils peuvent en ce qui concerne les jeunes dessinateurs. J’ai dit longtemps que le milieu était misogyne par hasard, d’une certaine façon. Ce n’est pas un choix, c’est juste que quand j’ai commencé, j’étais toujours la seule nana dans les salons, ils n’avaient pas l’habitude d’en voir et ne savaient clairement pas comment réagir, ils n’étaient pas méchants mais juste étonnés. Ils m’ont très bien accueillie mais il y a ce côté « on est entre nous ». je n’ai jamais eu de sensation de rejet, au contraire même, comme j’ai une très bonne culture pop’, on a tout de suite trouvé de quoi parler, on a refait le monde jusqu’à cinq heures du matin, ça n’a pas posé problème. Mais on me demandait « tu accompagnes quelqu’un ? tu es coloriste ? »
Et les dernières polémiques sur Angoulême, tu en penses quoi ?
Stéphanie Hans : C’est quelque chose que je comprends même si elles me sont lointaines. Aux Etats-Unis, ces questions ne se posent pas, là-bas, tout ça est très surveillé : tous les mois, il y a des gens qui font le pourcentage de nanas qui bossent chez Marvel et DC alors qu’en France, les chiffres sont très fantasmés d’un côté comme de l’autre. Sur Angoulême, les propos qui ont été tenus par l’organisateur du Festival étaient vraiment inadmissibles, il n’y a aucune remise en question. C’est un festival international alors qu’en France ils aient du mal à se rendre compte qu’en France il y a des femmes qui font de la BD, il y a un peu de mauvaise foi mais admettons mais au Japon, la plupart des mangakas, ce sont des nanas ! Donc un festival international devrait se rendre compte de cela, du coup leur discours ne tient pas la route.
Quel message voudrais-tu adresser à un jeune dessinateur qui voudrait se lancer ?
Stéphanie Hans : La vie est pleine de surprises et pour mieux travailler, il faut rester concentré et tout peut arriver aux cœurs vaillants !
Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d’un autre artiste pour comprendre son génie, qui irais-tu visiter ?
Stéphanie Hans : Forcément Kim Jung Gi, parce que lui, je ne peux pas comprendre comment il fonctionne, je ne sais pas si tu l’as déjà vu au travail ? Sur ses fresques, tu pourrais croire qu’il a fait un crayonné ou qu’il décalque ce qu’il y a derrière. Il commence un élément ici, un élément là, tout est dans la perspective, tout se rejoint et tout d’un coup, il y a soixante personnages, un décor, un dragon, des gens qui cuisinent, un chien, ils ont tous un posing, un chara design…pour moi, c’est fou ! Je ne sais pas comment sa tête fonctionne, ça me sidère. Pour des gens comme moi qui sont des bosseurs, c’est super frustrant parce qu’à chaque fois que je vois quelqu’un de très doué, je me dis : « entre lui et toi, tout ce qu’il y a, c’est beaucoup de travail et beaucoup de temps, mais c’est faisable. Donne toi deux trois ans, peut-être quatre, mais ça va venir » tandis que lui…non, on est vraiment pas dans la même dimension.
Merci Stéphanie !