L'histoire :
Le sergent américain Luther Yepsen, réfugié en décembre 1944 dans la ferme ardennaise de Gabrielle, vient de connaître à deux jours d’intervalle un immense bonheur et une désillusion tout aussi fracassante. Dans un premier temps, tandis qu’alentours l’armée allemande entamait sa débâcle, Gabrielle et lui se sont intensément aimés. N’aurait-il fait tout ce périple que pour trouver l’âme sœur ? Puis, dès le lendemain de cette union, un soldat allemand a fait son apparition soudaine dans la cours de la ferme. Egon Kellerman est un déserteur pourchassé avec opiniâtreté, et pour de mystérieuses raisons, par un détachement de SS. Il se trouve en outre être le soldat qui a arraché un doigt à Luther, et surtout il est… le mari de Gabrielle ! Le moment de surprise passé, Luther calme la tension. Gabrielle invite Egon, harassé par sa longue fuite, à se reposer et à s’expliquer sur ses 4 années de silence. Les yeux hagards, Egon raconte alors son enrôlement de force parmi les Eintsatzgruppen, ces commandos de la mort chargés d’exterminer les juifs sur le front de l’est. Il exprime l’irracontable, la manière dont lui et un camarade ont dissimulé un appareil photo dans un étui de masque à gaz, pour témoigner de l’horreur. C’est pour cette raison qu’il est aujourd’hui pourchassé. Et c’est encore pour cela que sa mère vient juste d’être flinguée, comme vient leur annoncer un ami : les SS font désormais route vers la ferme…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Philippe Jarbinet parachève ici, en un diptyque complet et palpitant, l’histoire d’une passion durant la bataille des Ardennes qui fera date. Après avoir « fait ses classes » durant une quinzaine d’années chez Glénat, Philippe Jarbinet se révèle (libère ?) totalement aujourd’hui chez Casterman, grâce à cette histoire a priori très personnelle (les opérations militaires de l’hiver 1944-45 coûtèrent la vie à sa grand-mère). La romance du premier tome est néanmoins cette fois occultée, rattrapée par le contexte barbare. Ce second volet débute en effet par un flashback quelque peu éprouvant : l’allemand Egon raconte les horreurs nazies auxquelles il participé sur la frontière de l’est, « malgré lui » – sur ce sujet, Airborne 44 trouve un écho d’actualité dans la lecture de l’excellent Malgré nous, dont le tome 1 sort en même temps. Puis au présent, nos protagonistes affrontent leur destin, acculés et traqués qu’ils sont par les SS. A l’exception de ces derniers (évidemment), les protagonistes montrent une réelle profondeur psychologique, tous très attachants. Peut-être ce second opus verse t-il juste un chouya plus dans l’emphase (Gabrielle citant Faust sous le canon de son tortionnaire…) et bien que nombre de protagonistes n’en réchappent pas, le final emprunte volontiers une forme de manichéisme (ce qui n’est pas, en soi, un reproche). Cela ne nuit aucunement à la qualité de cette superbe œuvre, deux fois 46 planches subtilement documentées, magistralement mises en scène, narrées avec rythme et dessinées avec maestria : un véritable plaisir de lecture.