L'histoire :
On retrouve Denis, le tueur, tranquillement installé à un poste bureautique en open space, avec costard, ordinateur et une vue plongeante sur les docks du Havre. Serait-il rangé, incognito, en ayant laissé ses activités de tueur à gage froid derrière lui ? Que nenni. En réalité, Denis a été forcé d’accepter de travailler pour les services de sécurité français, pour exécuter les basses œuvres nécessaires. Ils l’ont retrouvé dans sa retraite des Andes et lui ont proposé ce deal. C’était ça ou la prison à vie. Ce poste aux services portuaires est donc une couverture, plutôt efficace, et à mi-temps. Il s’absente de temps en temps, pour rejoindre Nicolas, un ancien des forces spéciales, et Barbara, qui supervise une opération en cours. Il s’agit en effet d’éliminer un des employés de la municipalité, chouchou du maire, mais une petite frappe issue des quartiers, Nabil Jebbouri. Officiellement très impliqué dans la vie sportive locale, Jebbouri est importateur et distributeur de dope la nuit, et n’hésite pas à se muer en criminel pour assurer son trafic. En plus, par son intermédiaire, le maire achète des voix dans les quartiers sensibles. La police et les voies de justices sont inopérantes pour neutraliser une anguille pareille, qui a toujours un alibi, ou un biais de corruption pour s’en sortir. Cette impunité dont bénéficie Jebbouri n’a que trop duré. D’où le recours à l’officine radicale pour laquelle travaille Denis…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En 2014, après 13 tomes géniaux, Matz et Luc Jacamon avaient mis leur Tueur à la retraite. Cette série cynique et brillante suivait les réflexions intimes et sans états d’âme d’un tueur à gage aussi efficace que sociopathe. Le tueur aurait-il réussi à raccrocher les flingues ? Nooooon ! Le revoilà, à travers un nouveau statut et un nouveau titre « Affaires d’Etat ». Car oui, désormais il flingue, mais il a le droit ! Enfin, le « droit »… disons plutôt l’autorisation de l’Etat français, étant donné qu’il œuvre maintenant pour les services secrets. Et oui, au même titre que les pirates informatiques trop brillants pour être emprisonnés, un pacte a été conclu avec lui pour qu’il devienne tueur d’Etat. A priori, il en faut… Du moins, c’est l’hypothèse que nous soumet Matz avec le premier tome de sa renaissance. Associé à deux autres barbouzes, le tueur doit ici nettoyer la corruption au sein de la municipalité d’une ville portuaire – le Havre n’est pas nommé, mais on reconnait aisément la ville chère au Premier Ministre français. Matz présente un système de corruption classique et répandu. Trafic de drogue couvert, achat de voie dans les quartiers, racket de notoriété… On pense bien sûr à ce qui s’est passé avec la cité des Tarterêts à Corbeil-Essones, sous l’ère Dassault. Et pas que. Mais laissons les références supposées de côté pour en revenir à la technicité de l’album. Matz réitère les ficelles narratives qui ont fait le succès de la série-mère. Par le truchement d’encadrés narratifs, il dévoile les réflexions intimes du Tueur, toujours très cynique et réaliste quant à la condition humaine et la manière d’y raccorder son propre équilibre psychologique. C’est rythmé, profond, et jouissivement hard-boiled. Il n’y a rien de nouveau sur ce plan et tant mieux ! Jacamon revient quant à lui au dessin traditionnel (encre et pinceaux) et c’est là aussi tout aussi efficace. Un retour sans faute !