L'histoire :
Au début des années 40, une jeune veuve, Marie, tient la boutique centrale et unique d’un petit patelin Québécois, Notre-Dame-des-Lacs. Quincaillerie, épicerie, auberge, le « magasin général » est un véritable carrefour, le lieu où se croisent quotidiennement les membres de cette petite communauté rurale. Alors que les premiers flocons marquent le début de l’hiver, elle héberge pour une nuit un motocycliste en panne, Serge. L’homme est courtois, distingué, cultivé et… bloqué pour un bon moment, car d’épaisses congères s’accumulent sur la région. Les commères jasent déjà. Pensez : un inconnu a dormi chez une veuve ! Avec beaucoup de diplomatie, le curé propose que l’homme s’installe dans un cabanon du jardin, c’est tout de même plus conforme à la bonne morale chrétienne. Le confort spartiate de ce nouveau logement n’effraie pas Serge : après avoir survécu à la guerre de tranchées, on n’est plus à ça près. Dans les jours qui suivent, les villageois intègrent sans difficulté ce nouveau-venu et apprennent à apprécier sa bonne nature. Un cochon à égorger ? Serge se propose ! Un gueuleton à préparer ? Serge s’avère un véritable cordon bleu. Marie, elle, est la proie de sentiments inconvenants… qui lui semblent (peut-être) réciproques…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Si le 9e art était un championnat, Régis Loisel et Jean-Louis Tripp n’évolueraient pas dans la même division. Bien au-dessus – et surtout en marge – des productions stéréotypées d’aujourd’hui, voilà le second volet d’une trilogie enchanteresse ! Il ne se passe pourtant pas grand-chose à Notre-Dame-des-Lacs. Avec en trame de fond une romance habilement amenée, on se passionne néanmoins volontiers pour le quotidien rural de ce patelin paumé des années 40. Dans ce cadre simple, les personnages sont en proie à une intensité de sentiments pourtant pleins de retenue, à une humanité exacerbée pourtant bourrée de tendresse… Bref, une philanthropie qui contraste avec le récent Peter Pan de Loisel seul. Et puis, surtout, graphiquement, quelle maestria ! Faisant fi de leurs égos respectifs, Loisel et Tripp fondent leurs talents pour réaliser ces planches à quatre mains. Portant aussi bien sur le texte que sur le dessin, cette collaboration a germé alors que les deux compères partageaient le même atelier. Sur un premier crayonné signé Loisel, Tripp peaufine des cases géniales, au rendu féerique, subtilement colorées par François Lapierre. Cette démarche d’auteurs inédite donne même lieu à une série parallèle (L’arrière boutique du magasin général), dans laquelle chaque planche est doublonnée (crayonnés et encrages finaux en vis-à-vis). Le résultat est bigrement intéressant car il donne véritablement naissance à un nouveau style, qui ne ressemble en rien à ce que l’un ou l’autre a publié précédemment. Le temps d’une soirée de Noël, on a les papilles en émoi et on se surprend à refermer ce second volet un sourire béat aux lèvres. C’est un peu le « syndrome Amélie Poulain » : tissé sur des plaisirs simples et sincères, ce récit rend véritablement heureux.