L'histoire :
Lucky Luke vient juste d’arrêter le jeune Rufus Kinker. Il s’empresse de le faire mettre en prison à Rubbish Gulch. En repartant, il est stoppé sur la route à l’écart de la ville, par une petite demoiselle armée d’un fusil plus grand qu’elle : Rose. Celle-ci jure comme elle respire, tandis que son frère ainé Casper est, lui, apeuré, toujours en train de craindre que les armes ne se déchaînent. Tous deux vont être ramenés en ville et confiés au shérif dans un premier temps. Là, Lucky Luke réalise que le premier jeune homme interpellé est leur grand frère. Tous les trois sont à la recherche de leurs parents, ayant fui le domicile familial. Essayant tout d’abord de laisser les deux derniers aux bons soins de la maîtresse d’école, Luke va comprendre la difficulté de cet objectif. D’autant plus qu’une bande de hors-la-loi est sur la piste de Rufus, tentant de percer le mystère de la disparition du papa, qui était associé à ces malfrats, avant de disparaître, ses fontes chargées d’un quart de million de dollars. L’ensemble de ces protagonistes vont se suivre afin de savoir, si oui ou non, le « voleur » est toujours en vie. Et où ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Seuls sont les indomptés, comme titrait le film de David Miller en 1962. Certes, ce film n’a pas vraiment le même scénario que celui écrit par Blutch. Et pourtant, il s’agit bien de rébellion, celle-ci étant transférée dans l’Ouest de la conquête et à hauteur d’enfants. Dès le panneau de Rubbish Gulch, tout incite à guetter les références avec le meilleur de la série créée par Morris en 1947, puis scénarisée dix ans plus tard par René Goscinny. « Painful Gulch », « Joss Jamon »... C’est avec grand plaisir qu’on retrouve aussi Maybelle (en fait le personnage de Laura Legs, danseuse de saloon du Grand Duc) rendant un fier service (abrégé) au cow-boy. Autre plaisir, en dehors de la dynamique exacerbée des scènes d’action, de retrouver des trognes de personnalités connues : tels un fameux borgne président d’un mouvement politique français, ou le père des enfants abandonnés (Doug McClure ?). Le ton est donné : l’humour est pince sans rire, adulte, et notre héros campe un personnage plutôt droit dans ses bottes, tel qu’il l’a été à son apogée dans la série principale. On ne la fait pas au grand Lucky Luke. Et pourtant, rapidement, un grain de sable va se placer dans son horloge bien réglée : un petit bout de choux pas plus haut que trois pommes. Son frère, apparemment hyper sensible, se réfugie derrière l’aplomb (le plomb?) de sa sœur. « Si je m’étais conduit de la sorte étant poulain, qu’est-ce que j’aurais pris » sort Jolly Jumper, le cheval de Luke, face à leurs attitudes décomplexées. Et on imagine bien que cette situation n’échappe pas à Blutch, de son vrai nom Christian Hincker, papa de trois enfants. Il est là, sous couvert du héros habillé de jaune, bleu, rouge et noir, tentant tant bien que mal de gérer ces désœuvrés privés de leur famille : « Papa est parti chercher de l’or, maman est parti chercher papa ». On avait déjà vu Luke servant quelque peu de « nounou » (Billy the kid, l’Escorte…) mais jamais à ce niveau et jamais prenant son rôle autant au sérieux. Education donc. Le passage à El Paso, (« l’ordre, la loi, et parfois la justice ») est aussi cocasse, donnant à voir une saine critique de ce que peuvent être ces piliers, lorsque ceux-ci sont rendus à grands renforts d’armes et d’épaules carrées. Une critique de l’Amérique pro-armes ? Au-delà du fond, solide, ce Lucky Luke « vu par » se lit avec un énorme plaisir, affichant de nombreuses images devant nos rétines – la scène du trou de la fin, est-elle une réminiscence plus ou moins consciente à celle de Bernard et Bianca ou celle du western True Grit ? On le saura peut-être un jour. N’empêche, c’est un régal d’avoir affaire à un auteur maniant avec autant d’habilité l’intime, le trait et l’image. Comme seul un indompté peut le faire.