L'histoire :
Nicoby prend un verre avec Éric. Les deux auteurs parlent à bâtons rompus du fameux journal Pilote. Éric rappelle à Nicoby que le journal avait connu une vraie révolution dans les années 1968 à 1972. Comme lors de toutes révolutions, ce fut violent : Goscinny s'était fait incendier en réunion. Comme lors de toutes révolutions, les auteurs ont créé de façon délirante et frénétique. Comme lors de toutes révolutions, beaucoup d'auteurs se sont séparés pour aller vers d'autres horizons. Certains ont même fondé un nouveau journal, L'écho des savanes. Toutes ces actions incroyables ont contribué à la naissance de la bande dessinée moderne. Ce qui fascine par dessus tout Eric, c'est que Pilote a connu son apogée peu avant de connaître sa chute. Il propose donc son projet à Nicoby : faire une BD sur cette période faste et incroyable du journal Pilote...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Une bande dessinée sur les années folles de Pilote ? L’idée a de quoi séduire, surtout que le dessinateur Nicoby n’en est pas à son premier album du genre. En effet, il a déjà dessiné une biographie sur le journal Hara Kiri, puis sur l’artiste Fournier. Assisté cette fois du journaliste Eric Aeschimann, Nicoby tente de reconstituer le parfum d’une époque, celle de l’après mai 68, et d’une période faste pour la bande dessinée avec l’émergence d’artistes immenses comme Jean Giraud, Fred, Druillet, Alexis, Gotlib… Le tout sous la houlette du non moins célèbre rené Goscinny, le papa d’Astérix. Nicoby et Eric se mettent eux-mêmes en scène et deviennent des journalistes d’investigation pour tenter de remonter le temps, à l’époque où la bande dessinée était publiée par fragments dans des journaux. Afin d’être exhaustifs et précis, ils interrogent les artistes encore vivants qui ont vécu les grands moments du journal Pilote. Ainsi, l’on voit défiler des stars du neuvième art en commençant par Gotlib et en passant par Mandryka, Druillet ou Brétécher. C'est l’occasion également de rendre hommage à d’autres auteurs qui sont décédés depuis, comme Jean Giraud ou Fred. On pense également avec amertume à Cabu, qui aura fait un bref passage au journal Pilote, avant de travailler pour Charlie Hebdo. Les entretiens sont des moments croustillants, puisque Eric Aeschimann retranscrit telles quelles les conversations qu’ils ont eu avec les artistes. On découvre ainsi des personnalités très différentes : Gotlib est timide et peu sûr de lui, tandis que Fred parle sans ambages et de façon directe… sans compter les propos philosophiques de Giraud ou l’immense charisme de Druillet. Pour apporter un peu de piment à l’étude, les auteurs se concentrent sur la fameuse réunion du journal Pilote de l’été 1968 où les collaborateurs du journal ont lynché Goscinny, le début de la fin pour le rédacteur en chef. L’album devient comme une sorte d’enquête policière où les acteurs de l’époque sont à la fois des témoins de cet épisode et des « coupables » pour certains d’entre eux. L’accumulation des témoignages montre bien la multiplicité des points de vue : certains se renvoient la balle, d’autres minimisent leur responsabilité ou regrettent cet évènement, mais tous ont une pensée émue et nostalgique pour le « père » René Goscinny. L’album est donc un brillant exercice de style et un précieux éclairage sur une époque post mai 68 où un vent de liberté furieuse et de création débridée soufflait sur la bande dessinée. C’est aussi une vision intéressante sur un projet collectif qui aura certes changé la bande dessinée, mais qui aura aussi conduit à la mort du journal et à la brouille de nombreux participants. Nicoby campe parfaitement cette dynamique étude, avec un trait parfois caricatural et des couleurs chaleureuses. L’humour est toujours présent puisque les auteurs n’hésitent pas à se moquer d’eux-mêmes. Un ton indispensable pour représenter un journal qui ne se prenait pas au sérieux. Une étude réservée aux amateurs de la bande dessinée, fraîche et passionnante.