L'histoire :
Milieu des années 70. Une période charnière pour le journal Pilote. Le journal devient en effet mensuel et de nouveaux talents voient le jour : Lauzier, Bilal, Fred, Gibrat, Goosens, F´murr, Blanc-Dumont, Solé, Boucq, Goetzinger, Quino, Druillet. René Goscinny est surtout moins disponible, pris par les histoires d'Asterix et le journal devient de plus en plus adulte. En même temps que naît l'Echo des Savanes, les artistes de moquent de la société et proposent des images bien plus osées. Malheureusement, le célèbre rédacteur en chef, Goscinny, meurt en 1977. Sous la direction de Guy Vidal, le journal existe toujours mais le ton devient encore plus radical. A tel point que le journal publie une caricature de Raymond Barre en couverture. Sanctionné, le journal est en difficultés financières... mais l'humour et l'inventivité se déchaînent malgré tout, avec des auteurs caustiques et sans tabou. Comme le dit la devise de Pilote : « Mâtin quel journal »!
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dargaud continue la publication de ses intégrales consacrées au célèbre journal Pilote dont il fut l'émanation. Après deux tomes qui montrent le travail somme toute classique de la rédac', le tome 3 présente un bouleversement de style et de ton. Le journal devient en effet de plus en plus adulte et le florilège d’histoires courtes montre bien la mue de la bande dessinée en général à cette époque. Certains auteurs, alors tout jeunes, font leur apparition et vont révolutionner le monde de la création BD. L’humour devient irrévérencieux avec le ton caustique de Lauzier, Solé ou Goosens. L’absurde est roi avec les moutons pensants de F’murr ou les histoires décalées de Fred. La science-fiction fait une apparition tonitruante avec l’imaginaire débridé de Druillet ou l’anticipation inquiétante de Bilal. Le polar fait également son entrée avec Jean-Claude Denis ou le quotidien sinistre de Goetzinger. Comme une véritable libération, la bande dessinée est beaucoup moins censurée et le propos se durcit largement. On voit des seins nus, des morts à tout va ou un style qui n'hésite pas à être de plus en plus sombre. La politique est égratignée, avec notamment Bilal qui imagine un gouvernement français ridicule dirigé par un Giscard d’Estaing grotesque. Les villes sont des endroits tentaculaires et étouffants, la télévision une drogue pernicieuse et la violence omniprésente. En adéquation avec ce ton pessimiste, le dessin des artistes se lâche. Le noir et blanc domine et les scènes sont de plus en plus agressives. Cet épais volume est donc un précieux témoignage d’une époque où les mœurs changent, où la liberté d’expression grandit et où l’on croit de moins en moins en l’homme et en ses actions. On découvre les débuts de futurs grands artistes comme Bilal, Druillet, Blanc-Dumont, Mézières, F’murr, même si l’on sent qu’ils cherchent encore leur style. Ces histoires courtes sont aussi une occasion de redécouvrir avec ravissement l’univers unique et délicieusement poétique du grand Fred. Malheureusement, beaucoup d’histoires ne sont pas à la hauteur des auteurs précédents du journal. Si elles ont le mérite d’apporter un sang neuf, décalé et provocateur, elles ont en revanche perdu en profondeur. Par exemple, Bilal crée un univers puissant, mais le scénario est finalement assez faible... tandis que d’autres artistes jouent beaucoup sur l’effet de surprise ou de choc, mais pas assez sur la qualité. Cet opus vaut surtout pour son regard historique sur le 9ème art. A redécouvrir.