L'histoire :
En 1887, Ida, une demoiselle suisse fortunée, distinguée, lettrée et casse-pied, se morfond au fond de son lit et enquiquine durablement son médecin. De nature hypocondriaque, elle a décidé qu’une vague maladie était progressivement en train de l’emporter. Le médecin lui impose donc un petit voyage en France, afin de la divertir, de lui faire prendre l’air – et sans doute de ne plus avoir à s’en occuper. Quelques jours plus tard, au terme d’un voyage en calèche qu’elle décide barbant, elle foule, émerveillée, le sable de la côte. Et, surprise, elle mange des huîtres ! Elle se surprend alors d’avoir plaisir à voyager et ne ressent plus le moindre mal. Elle descend donc jusque Valence, estime les espagnols trop laids et poursuit jusqu’à Tanger. Elle a en effet très envie de retrouver la douce sensation d’exotisme qu’elle avait connu, enfant, en visitant l’exposition universelle de 1867, et qu’elle compulse régulièrement dans l’épais catalogue qui l’accompagne partout. Là-bas, elle s’arrange pour se faire inviter à la table du gouverneur : la noble compagnie lui manque. Elle y rencontre la fille de ce dernier, Fortunée, une jeune bourgeoise gourmande des bonnes choses (toutes les bonnes choses…), qui doit être très prochainement envoyée au couvent. Elle fait également la connaissance d’une véritable aventurière, qui lui donne envie de pousser l’exploration jusqu’au Gabon…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’époque coloniale inspire décidément Chloé Cruchaudet. Après l’excellent Groenland-Manhattan (prix René Goscinny 2008), cette jeune auteur complète poursuit dans la même veine avec Ida, premier tome d’une chronique historique de voyage, intéressante à plusieurs degrés. D’une part, la personnalité d’Ida est truculente : hypocondriaque, à la fois curieuse et casanière, farcie de préjugés, elle se retrouve malgré elle à prendre du plaisir à voyager… et transgresse ainsi ses certitudes. Là où ses paires se complaisent de salons en diners mondains, Ida veut à tout prix explorer les recoins les plus sauvages de la planète. Qu’importe qu’elle soit folle ou courageuse, elle fait figure d’héroïne très « positive », dans le sens où elle exhorte au dépassement de soi. D’autre part, cette personnalité complexe vient en écho aux comportements coloniaux de l’époque. En ce sens, Chloé Cruchaudet livre un formidable travail de reconstitution, après s’être documentée sur des premiers récits de femmes voyageuses au XIXe siècle. Le rythme et le mode narratif est jubilatoire, exposant des situations préalables, pour s’en moquer en commentaires. Or, dialogues et voix-off sont exquis, le personnage de Fortunée ainsi que les second-couteaux picaresques (avec notamment Jean Rochefort, dans le rôle d’un gouverneur fort amène). De même, le dessin emprunte une ligne graphique originale et cohérente, impeccablement séquencé… Bref, Chloé Cruchaudet creuse un sillon à part, décidemment très enthousiasmant !