L'histoire :
Après un séjour en chambre de vérité, Anton-5 est relâché par deux androïdes gardiens, parmi les autres humains incarcérés dans la prison souterraine Asylum. Jusqu’alors, il portait une tunique verte, mais il vient d’apprendre avec amertume qu’il était désormais « un jaune ». Il a une attitude désabusée mais semble décidé. Il passe voir son ami « vert » Mark, un bricoleur de génie qui souffre d’une petite névrose « ouvert-fermé », et lui annonce sa rétrogradation. Or l’objectif de sa visite à Mark était aussi de lui faucher en douce un tournevis. Car à peine Anton a-t-il rejoint le grand hall du pénitencier, qu’il assassine un rouge en lui plantant furieusement l’outil dans la carotide. Une émeute éclate… aussitôt endiguée. Le directeur de la prison Pastor lâche ses androïdes et apparait sur les écrans géants pour annoncer la sentence : Anton-5 sera incinéré sur le champ et la prochaine incarnation de son ADN recevra une éducation conforme à ses tendances jaunes. Mark et Sophie sont désormais les deux derniers verts de la prison. Pour sa négligence quant à son tournevis, Mark est de corvée de nettoyage des canalisations. Il va découvrir qu’il est désormais la cible de la vengeance des rouges. Mais bien plus encore, en bricolant une sonde trouvée dans un couloir, il va entrer en contact avec l’extérieur et tomber des nues…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cette fuite d’un centre carcéral hermétique et futuriste répond certes en tous points au cahier des charges de la série La grande évasion. Mais le scénariste Serge Lehman dépasse et transcende ici le concept, en bombardant le lecteur de moult sujets de réflexions philosophiques et sociaux, sans jamais se départir du divertissement de science-fiction. Difficile d’évoquer le récit dans tous ses aspects sans trop en dire sur les tenants et aboutissants de cette prison particulière… Aussi, si vous souhaitez conserver un maximum de plaisir à la lecture, n’hésitez pas à spoiler ce laïus en ne retenant qu’une chose : voilà de la pu*** de bonne SF d’anticipation ! Bref, Lehman nous incarcère d’entrée de jeu au sein d’une société carcérale de castes, organisée par couleurs selon les tendances psychologiques de ses détenus. Les rouges sont des tueurs organisés, les jaunes des psychotiques, les bleus développent des approches politiques pour leurs méfaits. Logiquement, les verts sont mâtinés de bleu et de jaune, et leur comportement de chaque instant incurve leur réel déterminisme social. Or tous semblent être les jouets et les cobayes de Pastor, un directeur omnipotent qui juge, décide, distribue les bons et les mauvais points… Un des détenus, un vert, va faire figure de héros en découvrant (par hasard) sa réelle condition, en découvrant la nature stupéfiante de son milieu carcéral et en apprenant tout connement qu’il existe un monde extérieur... Il y a du mythe platonicien de la caverne, de l’existentialisme nietzschéen, du libre-arbitre de Sartre et une myriade de sujets de philosophie dans les fondements de cette histoire (dans le registre, intéressez-vous aussi à Segments, par Malka et Gimenez). Le fonds est donc puissant, la manière de l’amener très habile et la narration dynamique et prenante : un sans-faute. Et pour cause, pour magnifier cela, le dessinateur anglais Dylan Teague se met au niveau. Son dessin encré réaliste, rehaussé de la juste colorisation de Cyril Saint Blancat, offre l’immersion idéale dans cet univers étouffant. Les plans et les angles sont variés et inventifs, les personnages bien définis et expressifs, les décors high-tech et cloisonnés idoines… Sur ce plan encore, un sans-faute !